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Après une carrière éclair dans la haute hiérarchie de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer publie avec « L’école de la vie » un livre qui est plus que des mémoires ou un plaidoyer sur son action. Certes il y livre quelques moments de sa vie. Certes il revient sur son action à la tête de la Dgesco, la principale direction du ministère de l’éducation nationale. Mais ce livre est avant tout un programme. Il présente ce que ferait Jean-Michel Blanquer s’il arrivait à la tête de l’Éducation nationale. C’est le livre d’une ambition.

De 2004 à 2012, Jean-Michel Blanquer a gravi à toute vitesse, sous des ministres de droite, les échelons qui mènent aux plus hautes responsabilités de l’éducation nationale. Universitaire, docteur en droit et spécialiste de l’Amérique latine, il est nommé par Jacques Chirac premier recteur de Guyane en 2004. Il manque s’y noyer si l’on en croit une scène épique racontée dans son livre. En 2006, il est appelé à Paris et devient directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien alors en pleine guerre scolaire sur les méthodes de lecture. Juste avant les élections présidentielles de 2007, il est nommé recteur de Créteil. L’apothéose c’est 2009 : il est choisi par Luc Chatel pour devenir directeur de l’enseignement scolaire (Dgesco), c’est-à-dire patron des programmes et des moyens d’enseignement de la maternelle au lycée. Cela fait de lui le numéro 2 de l’Éducation Nationale. Il reste à ce poste jusqu’en novembre 2012 où il est remercié par Vincent Peillon. Sur cet itinéraire professionnel, il a acquis une grande expérience d’administrateur de l’éducation nationale. Il en connaît tous les rouages. Il a laissé au ministère des fidèles et quelques solides inimitiés. Il a aussi l’expérience du combat politique acquise dans l’entourage d’un ministre qui a particulièrement violenté l’institution scolaire.

Le programme Blanquer

Ce qui fait de ce livre un programme c’est d’abord que toute cette violence a disparu. Le livre évoque bien de façon lointaine quelques difficultés. Mais tous les personnages et toutes les situations narrées sont positives. L’autre élément programmatique, c’est la foi. L’auteur est animé d’une vision de l’École qui commande son action. La foi que veut transmettre JM Blanquer c’est qu’il connaît les méthodes « scientifiquement établies » qui permettent de réussir à l’école. Piloté par cette idée, tout son travail n’est plus que de « bon sens » à condition d’être « progressif ». JM Blanquer veut « remettre les étapes dans le bon ordre : une école primaire qui s’appuie sur des méthodes dont on s’assure scientifiquement qu’elles ont fait leurs preuves; une école secondaire qui tienne compte de la diversité ».

Ainsi au primaire il s’agit d’appliquer « ce que nous apprennent les sciences ». Il s’agit des idées sur l’éducation de S. Dehaene, J. Deauvieau et A. Bentolila. « Il faut que le discours de l’institution repose sur des bases véritablement scientifiques », écrit-il. Cet emballage scientifique permet de faire passer des normes de gestion (par exemple l’autonomie des établissements) et des décisions administratives (par exemple les programmes de 2008) qui, du coup se trouvent nimbées d’une lumière pseudo scientifique. Et de façon très progressive, l’autre idée forte du livre, JM Blanquer en montre les effets de la maternelle au lycée, avec un chapitre par niveau éducatif.

En maternelle, l’idée principale c’est qu’il faut détecter « scientifiquement » les difficultés des élèves. L’idée avait été lancée par l’Inserm en 2005 et reprise en 2006 dans un rapport officiel qui demandait aux enseignants d’alimenter un fichier des enfants menteurs et désobéissants à partir de l’âge de 3 ans. L’idée est revenue à plusieurs reprises mais la puissance du mouvement « pas de 0 de conduite » a suffi à la faire repousser ce que déplore JM Blanquer. En échec sur ce point, JM Blanquer vante les programmes de 2008 présentés comme l’explication à l’amélioration des résultats à l’entrée en CP. Pour lui la grande section est « la propédeutique du CP ». C’est la primarisation de la maternelle.

Mais c’est au primaire que l’on retrouve toute la puissance de la foi dans la science de JM Blanquer. « Il se présente pourfendant « le voile de l’ignorance » et définissant scientifiquement « les bons manuels » et la bonne méthode : la méthode syllabique. JM Blanquer a été l’artisan du combat qu’a mené G de Robien pour imposer la méthode syllabique dans l’Éducation Nationale. Le combat continue tout au long du chapitre où il occupe une place bien plus grande que le socle. Celui-ci se réduit à la maitrise du français, des maths et des « humanités ». C’est l’école d’avant Jules Ferry que nous ramène « scientifiquement » l’auteur.

Le collège et le lycée sont survolés dans l’ouvrage. Le modèle de JM BLanquer c’est la cité scolaire, c’est-à-dire les anciens lycées de centre ville qui réunissent collège et lycée. Les résultats y sont meilleurs et pour JM Blanquer, qui fait l’impasse sur leur composition sociale, c’est la preuve que la formule est bonne… Il refuse le collège unique et propose aux élèves qui perturbent les cours « un parcours personnalisé » sur lequel il ne s’étend pas. Au lycée , JM Blanquer propose de réformer le bac en ne gardant que quelques épreuves finales.

Les derniers chapitres du livre sont consacrés à la gestion du système éducatif. Il défend l’idée d’une augmentation de l’autonomie des établissements, le terme englobant le primaire puisqu’il est favorable à la personnalité morale des écoles. À leur tête il met des chefs d’établissement ayant des pouvoirs renforcés comme celui d’embaucher les enseignants. Il propose aussi d’augmenter la hiérarchisation en créant de nouveaux corps intermédiaires comme les préfets des études et les coordonnateurs de niveau. Là le modèle est clair : c’est celui de l’entreprise et de la concurrence entre établissements. On sait aussi que ce modèle, s’il n’est pas fortement encadré, mène tout droit à l’augmentation des inégalités entre établissements et se fait aux dépens des plus démunis. Pour les simples enseignants, en bas de la pyramide, JM Blanquer veut rétablir « la dignité du maître ». Mais il ne propose au final que de les contraindre à être « correctement habillés ».

La négation du projet politique de l’École

Le problème de la démonstration Blanquer c’est d’abord que JM Blanquer n’est pas un scientifique. Cela se voit déjà quand il utilise des éléments scientifiques pour justifier des organisations humaines pratiquant en fait un scientisme. La démonstration en a été faite aussi quand il a mis en place, à la Dgesco, ses propres indicateurs permettant soi-disant d’évaluer le niveau de compétences des élèves. Il les défend fortement dans l’ouvrage alors que leur crédibilité a été mise en doute dès leur installation y compris par des institutions comme le HCE. La démonstration en est faite aussi devant la faiblesse de l’argumentation de l’auteur. Ainsi il valide une classe Montessori parce qu’il a entendu un enfant de 4 ans lire couramment. JM Blanquer écarte totalement le fait que les applications en classe des travaux scientifiques qu’il met en avant ont toutes échoué. L’étude Deauvieau « démontrant » la supériorité du manuel qui lui est le plus proche a été vivement critiquée sur son manque de sérieux scientifique. Les travaux de Dehaene sont d’une grande valeur. Mais leur transcription dans l’école n’a pas plus fait ses preuves que d’autres méthodes évoquées dans le livre. S’il y a consensus sur l’enseignement de la conscience phonologique pour l’apprentissage de la lecture, ça ne veut pas dire pour autant que cet apprentissage se réduise à la méthode syllabique. Les vérités scientifiques des laboratoires ne fonctionnent pas automatiquement dans le monde de la classe. Par contre la façon brutale et primitive avec laquelle l’équipe de Robien et JM Blanquer ont voulu imposer cette méthode a nui à l’école publique et à ses élèves.

En réduisant les difficultés scolaires à des questions de méthode, le raisonnement de JM Blanquer évacue toute la dimension sociale et organisationnelle de l’échec scolaire. L’échec scolaire se construit dès la maternelle dans l’environnement socio-culturel de l’enfant. Pour le diminuer il faudrait un effort réel en éducation prioritaire que JM Blanquer et ses ministres n’ont pas fait, préférant mettre des moyens dans des « internats d’excellence » qui sortaient une poignée d’élèves des quartiers. Il se construit ensuite dans la façon dont l’institution scolaire établit une ségrégation et un tri sélectif des élèves. De cela aussi JM Blanquer ne parle pas. C’est pourtant lui qui a appliqué la suppression de la carte scolaire qui a accéléré la ségrégation scolaire et dégradé les établissements des quartiers populaires.

Au final, le bilan de « l’École de la vie » on le connaît. JM Blanquer a eu le temps d’appliquer ses idées. Au terme de ses trois années rue de Grenelle, des milliers d’emplois d’enseignants avaient disparu alors que les effectifs élèves augmentaient. Les résultats des jeunes français dans les évaluations internationales comme Pisa et dans les évaluations nationales sérieuses comme l’étude Cèdre, dégringolaient. Mais il y a surtout le bilan politique. Le septennat Sarkozy a été celui de la déconstruction du mythe scolaire français au nom du « bon sens » et du « parler vrai ». Les valeurs de promotion sociale par l’École et de démocratisation ont été attaquées frontalement par des politiques visant la sélection et la promotion des élites. Le livre de JM Blanquer justifie et participe de ce mouvement. Il prétend diriger l’École au nom de « la science ». Or ce qui doit diriger l’École, qui est une construction sociale, ce sont des valeurs. On les chercherait en vain dans ce livre.

François Jarraud

Jean-Michel Blanquer, L’école de la vie, Odile Jacob, ISBN 978-2-7381-3172-0