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Pour les 25 ans de la Convention internationale des Droits de l’enfant, la Fondation des Apprentis d’Auteuil organisait une table ronde, ce jeudi 11 décembre, à Paris, sur le thème : Comment permettre aux enfants le plein exercice de leurs droits ? Alors que le ministère lance un vaste projet de lutte contre le décrochage scolaire, la Fondation des Apprentis d’Auteuil, engagée dans la prévention des difficultés et la protection de l’enfance, propose une réflexion sur l’appropriation de ces droits par les intéressés eux-mêmes. Pour les intervenants, conduits par Christine Rossignol, directrice du pôle scolarité et prévention du décrochage de la Fondation, les difficultés semblent liées à la peur et au manque d’expérience pratique. Peur d’être débordés, pour des adultes qui craignent de voir leurs propres droits fragilisés au sein même de leur responsabilité éducative, et défaut de modèles pédagogiques adéquats, pour exercer ce qui ne peut s’apprendre de manière livresque. L’Éducation nationale, en première ligne sur ce front, peut-elle trouver les solutions qu’on attend d’elle ?

25 ans après la convention, quel état des lieux ?

Conviés à participer au débat, Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, président du Bureau international des droits de l’enfant, entendait rappeler la prévalence de la notion de droit sur celle de devoir et dénoncer la peur de la jeunesse, dont il estime qu’elle a imprégné les débats dans la dernière décennie. Jonathan Lévy, psychopédagogue, responsable pédagogique d’Éducation à la Paix pour l’UNESCO, défendait l’idée d’une pédagogie des droits fondée sur une vision globale de l’enfant, plutôt que fragmentée entre ses statuts d’élèves, d’enfant, ou d’apprenti-citoyen. Julie Zerlauth-Disic présentait le rapport de la consultation nationale des 6/18 ans de l’UNICEF, menée auprès de 11200 enfants sur toute la France en 2014, qu’elle a coordonnée. Stéphanie Chaulet Mauro, chargée du dossier prévention violence et droits de l’enfant à la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire, témoignait des démarches entreprises par l’institution pour contribuer à la connaissance et au respect des droits de l’enfant dans l’institution.

« Écoutons ce que les enfants ont à nous dire »

Selon le rapport de l’UNICEF, précise Julie Zerlauth-Disic, les enfants estiment connaître leurs droits (87 %) et les pensent respectés (80 %) mais n’ont pas le sentiment de les exercer (59 %) surtout à l’école (49 %). Les enfants concernés par la privation éprouvent plus encore cette impression négative. La peur d’un possible harcèlement à l’école (34 %) ou sur internet (17 %) ou encore la peur des adultes à l’école (24 %) constituent pour eux des menaces sur leurs droits. Une peur qui joue aussi côté adulte : Julie Zerlauth-Disic souligne les difficultés à faire passer les questionnaires aux adolescents via l’école, les enseignants craignant de leur « donner des idées », en particulier sur la question du suicide. Indice de l’équivoque de leur situation, entre injonction d’ouverture et devoir de responsabilité ?

Que font les adultes avec le droit des enfants ?

« Le point de vue des enfants sur leurs droits ne m’intéresse pas ! » lance, en guise de provocation assumée, le président Rosenczveig. « La question est plutôt : qu’en font les adultes ? A quel niveau ces droits sont-ils reconnus ? Quel écart demeure avec l’utopie ? » La marge de progression est large, insiste l’ancien magistrat. On évoque l’intérêt des enfants en termes de filiation mais on ne pose pas la question juridique de leurs affiliations. On évoque le respect des enfants mais on n’ose pas légiférer, on n’ose même pas envisager, au Conseil de l’Europe, la question du marquage de leurs corps, par la circoncision ou l’excision. La capacité juridique de discernement est admise à partir de 13 ans, pour agir et rendre compte de ses actes, on peut même encourir la réclusion à perpétuité à 18 ans à peine, mais on ne peut pas déposer une demande d’émancipation, ni à 13 ans, ni même à 16 ans. Quant à l’exercice de leurs droits par les enfants, cela supposerait qu’ils en aient une connaissance plus adaptée que celle donnée par la culture télévisuelle. Ce qui supposerait que les adultes en soient moins ignorants et leur fassent connaître.

Le point de vue de JP Rosenczveig

Interrogé par le Café pédagogique sur le respect des droits dans l’Éducation nationale, Jean-Pierre Rosenczveig invite l’Éducation nationale à s’adapter.  » La plupart des enseignants sont incultes sur le plan des institutions et du droit des personnes, comme tout le monde, d’ailleurs. Mais eux sont en situation d’être des modèles dans les modes de fonctionnement des droits des personnes. On attend énormément d’eux, mais c’est normal. Et c’est normal que leur institution, qui a réfléchi à un certain nombre d’objectifs, se donne les moyens de les mettre en œuvre. En 1991, l’institution a pris des décrets sur le droit des enfants en établissements scolaires, 5 ou 6 ans plus tard l’immense majorité des enseignants en ignorait entièrement l’existence. Aujourd’hui, elle fait bis repetita. Il faut qu’elle se donne les moyens de ses grandes orientations. On attend énormément de l’EN, on la critique démesurément, mais est-ce que ce serait mieux si on disait que l’éducation est essentiellement parentale, éventuellement médiatique et très peu l’affaire de l’institution ? Le monde a changé, aujourd’hui ; tout est plus exigeant, dans tous les domaines. Il faut s’adapter. « 

« On ne peut pas naître citoyen, par magie, le jour de ses 18 ans ! »

L’invention d’une pédagogie vivante, pratique du droit, c’est la priorité formulée par Jonathan Lévy : transformer les droits en expérience, faire vivre les articles de la convention des droits dans des contextes réels. Cinq éléments sont à privilégier : la notion de justice, à commencer par la prise en compte de l’exclamation : « c’est pas juste ! », dans la construction d’une relation transparente et équitable. Le respect réciproque, ensuite, qui conduit à prendre les enfants au sérieux et les tenir pour des partenaires compétents. Créer le climat pour entendre ce que l’enfant a à dire : c’est un travail de dés-apprentissage, qui va à l’encontre de tout ce qu’on a appris à l’enfant jusqu’alors. La participation réelle et pas feinte, en troisième lieu, entre enfants et adultes : trop souvent, on fait des choses pour les enfants et on est très déçu qu’ils n’en soient pas contents. Le dialogue, enfin, et l’interaction. On peut ainsi beaucoup gagner en termes d’estime de soi et de confiance en soi. « On ne peut pas espérer que par magie, à 18 ans, naissent des citoyens qui ont tout ce qu’il faut pour la vie démocratique sans en avoir rien expérimenté, concrètement, auparavant », conclut Jonathan Lévy. Une tâche supplémentaire et un défi de plus pour l’école, que cette pédagogie vivante des droits ?

Les droits des enfants au cœur de l’enseignement civique et moral.

Avec la loi de refondation de 2013, intervient Stéphanie Chaulet Mauro, représentant la Degesco, la vision globale du bien-être de l’enfant a fait son entrée officielle dans les textes régissant l’école. Un guide pour repérer les signes de malaise des adolescents au collège a été diffusé, et la grande majorité des enfants témoignent d’une bonne qualité de vie scolaire. Si l’école ne « fait pas vivre » les droits des enfants de manière suffisante, elle met en place des conditions de règlement intérieur, d’élaboration collective et de respect des règles de pluralisme, de neutralité, de respect de la dignité et des droits. Les droits des enfants sont au cœur des programmes d’enseignement civique et moral et d’ECJS. Tous les enfants ont droit d’accueil en primaire, quelle que soit leur situation et celle de leurs parents.

Social et santé scolaires, secteurs sinistrés

Mais faire vivre les droits, est-ce seulement les enseigner ? Les secteurs de la santé et du social sont sinistrés dans le domaine scolaire, affirme Jean-Pierre Rosenczveig. Il faut les restaurer, faire du repérage et proposer des services au sein du système scolaire. S’il est impossible de créer des postes, il faut faire jouer l’alliance des compétences de l’État et des Conseils régionaux, associer apprentissages et gestion en matière de droit. Les résistances corporatistes et syndicales constituent des blocages qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt des enfants, estime-t-il. Ces blocages sont d’autant plus forts, au sein de l’Éducation nationale, que les adultes voient une remise en question de leurs propres droits dans les évolutions préconisées. On brandit les devoirs comme corollaires prioritaires des droits alors qu’il faut commencer par affirmer les droits, dont les responsabilités découlent. Ce qui ne signifie pas mettre en cause les responsabilités ni les droits des adultes, qui se situent à un point de vue différent.

Accompagnement des adultes

Le blocage des adultes vient aussi ’’d’un besoin d’accompagnement », précise Julie Zerlauth-Disic : les réticences à transmettre les questionnaires de l’enquête UNICEF tenaient ainsi en grande partie à la difficulté de gérer les débats qui pouvaient émerger à l’occasion des questions posées. Lors de visites auprès des ESPE, le manque d’information et de sensibilisation des professeurs en formation lui est apparu manifeste, mais aussi leur intérêt dès les premières informations. Julie Zerlauth-Disic souligne aussi la nécessité de former à la bienveillance et aux droits des enfants les autres acteurs, agents municipaux, animateurs, ATSEM, qui côtoient quotidiennement les enfants sans préparation particulière en ce domaine

Dix années de discours sur la délinquance juvénile comme menace pour la société ont aussi laissé des traces, rappelle Jean-Pierre Rosenczveig. S’il ne peut y avoir d’éducation sans contrainte, elle peut se faire sans violence : vouloir abaisser à 16 ans la majorité légale en vidant de sens la minorité pénale et en recourant à la solution des centres d’éducation fermés, tout en prenant des mesures contre le travail social, ne va pas dans le sens d’une défense de la cause des enfant.

« Quand ça se passe mal, on ne va plus aux cours…. »

Invitées à intervenir, deux élèves en CAPA SMR (Services en milieu rural) de l’établissement Saint-Philippe à Meudon, Jennifer Awounan et Sophia Dias Dos Santos, avouent ne pas avoir le sentiment d’un manque de respect de leurs droits dans leur scolarité. Elles bénéficient d’une entente plutôt bonne avec leurs enseignants. Quand « ça se passe mal avec des profs, on ne va plus à leurs cours de toute façon…. ». Mais leurs questions sont directes : « Que prévoit l’Éducation nationale pour les jeunes qui sont de plus en plus nombreux à décrocher ? » En diviser le nombre par deux, leur répond la représentante de la Degesco, en modérant le choc des changements de cycles et les modalités d’évaluation, conformément aux dispositions mises en œuvres par le ministère. « Pourquoi les jeunes sont-ils poussés à la délinquance ? » Parce qu’ils ont le sentiment que la loi ne les protège pas, rétorque l’ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny. Pourquoi respecter une loi et un environnement injustes ? Des parents « démissionnaires » sont souvent eux-mêmes des gens en grande difficulté, qui ne se sentent pas protégés socialement et ne parviennent pas à protéger leurs enfants. Le désespoir suicidaire d’une partie de la jeunesse (dont on constate en prison qu’ils souffrent de manque de soins médicaux élémentaires) joue aussi son rôle dans le choix de « carrières » illégales à risques mais valorisantes.

L’utopie de l’école idéale

Aujourd’hui, des progrès se jouent dans l’Éducation nationale, conclut Jean-Pierre Rosenczveig. Des enseignants du Rectorat de Paris ont établi une proposition de règlement intérieur pour les écoles, impeccable du point de vue des droits des enfants. Mais va-t-elle s’appliquer ? Pour Stéphanie Chaulet Mauro, un enjeu essentiel réside dans la suppression de l’exclusion et la recherche de moyens de progrès réels pour les jeunes. Pour la représentante de l’Unicef, citant Catherine Dolto, le but reste « d’amener l’enfant à grandir pour trouver sa juste place ». Jonathan Lévy déplore la négativité dont on entoure les enfants et plaide pour un climat constructif de félicitation et d’applaudissement. Quant aux élèves, appelées à dresser le portrait du « prof idéal », elles imaginent quelqu’un à qui on peut se confier, qui sait faire la morale en restant dans son rôle, avec qui on peut rire mais qui fait quand même son enseignement.

Un portrait qui fait rire l’assistance mais qui souligne peut-être aussi en creux les ambiguïtés des attentes de la société envers le « prof » : un éducateur moralisateur qui doit aussi instruire sans trop contraindre, et absorber souplement, de manière rassurante, les tensions qui épuisent le corps social. Des modalités implicites de pratique du métier, qui ne diminuent en rien les performances attendues en termes d’enseignement et de réussite scolaires. Reste à inventer la bonne formule pour harmoniser idéalement tous ces ingrédients !

Jeanne-Claire Fumet

Le texte de la convention internationale

En savoir plus sur la consultation nationale UNICEF

Le site de la Fondation des Apprentis d’Auteuil