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On peut lire entre les lignes et s’intéresser au niveau subliminal des termes utilisés pour désigner les élèves. Écoliers, collégiens, lycéens, enfants, adolescents, jeunes, majeurs, mineurs… si le lexique a un sens, la manière d’appeler les élèves donnent des indications sur ceux qui font le choix des mots …

Espèces d’élèves

Quelle représentation les établissements donnent-ils de leurs élèves ? Pour le découvrir, il suffit de puiser dans la somme des projets d’établissement et des règlements intérieurs que l’on trouve à foison sur internet. Au fil des centaines de pages écran, on découvre des kyrielles d’espèces d’élèves chacune pouvant être déclinée en de multiples sous-espèces et branches…

Par exemple, dans un établissement lambda, l’espèce générique des élèves sera subdivisée en deux sous-espèces : d’une part, les externes ; d’autre part, les demi-pensionnaires. Par ailleurs, la sous-espèce des demi-pensionnaires est elle-même scindée en deux branches : celle des non-autorisés à sortir de l’établissement après avoir pris leur repas (1); et celle des demi-pensionnaires autorisés à le faire. Corrélativement, ces deux branches en génèrent deux autres particulièrement recherchées, celle des externes qui tentent de déjeuner en se faisant passer pour des demi-pensionnaires et celle des demi-pensionnaires préférant sauter un repas pour sortir au plus vite de l’établissement.

À elle seule, une discipline comme l’Éducation Physique et Sportive génère deux sous-espèces : celle des élèves non dispensés et celle des dispensés. Ces derniers sont tenus d’être présents durant les cours, même s’ils ne pratiquent aucune activité (2). S’ils ne viennent pas, les dispensés entrent dans la branche des élèves absentéistes qui sont de très mauvais sujets gravement fautifs susceptibles d’être sanctionnés (3).

En l’occurrence, les collèges et les lycées ont le plus souvent une perception tératologique de leur public. C’est du moins ce qui ressort de la glose qu’ils diffusent sur le web. Les espèces d’élèves non-conformes sont pléthoriques : élèves à problèmes (4), élèves indisciplinés(5) , élèves qui refusent de travailler (6), élèves indésirables (7), élèves porteurs de piercings (8), élèves ayant fraudés à un devoir surveillé (9)…

Apprenant est à la mode…

Notons au passage que l’apprenti est un novice en formation par la voie de l’apprentissage dans une filière professionnelle, ce qui ne l’empêche pas d’être un apprenant. Jean-Pierre Gaté (10) explique qu’une apprenant est une personne quel que soit son âge qui s’engage dans une situation d’apprentissage, en vue de l’acquisition d’un savoir, d’un savoir-faire ou d’un savoir être. On peut donc résumer par un truisme : l’apprenant est le sujet de l’apprendre (sic). Le participe présent induit l’idée d’une action, d’une participation active dans l’ici et maintenant d’une situation alors que l’élève est souvent affublé de passivité voire de futilité (se comporter comme élève). L’apprenant est définit comme l’acteur de sa propre formation quand l’élève en est le spectateur, le consommateur.

L’individualisation des pédagogies tient compte de la singularité de chaque apprenant alors que l’enseignement standard applique des méthodes collectives uniformes qui ne tiennent pas systématiquement compte de l’histoire personnelle des élèves, notamment des ses aptitudes cognitives singulières pour ne pas dire unique. Autant dire que l’apprenant est un concept propre aux sciences de l’éducation. En vérité, il s’agit d’un élève fantasmé, celui que certaines orientations politiques auraient voulu mettre au centre de l’école si l’école avait été un cercle et non un maelstrom patatoïde…

Un élève… Une élève… L’élève… Les élèves…

Les auteurs de projets d’établissement et de règlements intérieurs utilisent soit des tournures au pluriel … Accompagner les élèves vers l’autonomie (11)… soit au singulier : accompagner l’élève vers l’autonomie (12)… Mais, dans les deux cas il n’est pas question d’un individu particulier, ni d’une somme d’êtres individués (13); il n’est question que d’une entité désincarnée.

Les établissements inventent un élève présomptif, un élève pour la rhétorique, en face de qui la communauté scolaire déploie ses savoirs disciplinaires, ses notions psychosociologiques, ses pédagogies, ses préjugés et ses stéréotypes. Cet élève hypéronyme n’a souvent pas de commune mesure avec les élèves tangibles qui peuplent les classes, néanmoins il est un étalon à partir duquel on pourra critiquer voire sanctionner l’élève réel : Un élève se doit d’être à jour dans son travail (14)… L’élève est un futur citoyen (15)…

Dans cet ordre d’idée, à la représentation triviale des élèves pluriels qui font du bruit et courent dans les couloirs, on oppose une image édulcorée d’élève au singulier qui sied mieux aux assertions de grande envergure. L’emploie du singulier permet de comprendre sans difficulté les phrases suivantes : la maternelle c’est le passage de l’enfant à l’élève (16)… L’élève est porteur des singularités de son adolescence (17) … L’enfant n’est pas seulement un élève (18)… L’élève est une personne (19)… L’élève a le droit de développer sa propre personnalité au sein de la communauté scolaire (20)… Cette utilisation quasi transcendante du singulier est fréquente dans les considérations didactiques, pédagogiques, psychosociologiques, idéologiques : L’élève est acteur, responsable et auteur de son apprentissage (21).

À l’inverse, le pluriel apparaît plus aisément dans des contextes comminatoires : Les élèves attendent la permission de l’enseignant pour ranger leurs affaires ou se lever (22)… Les élèves doivent avoir l’autorisation de la direction s’ils veulent organiser une réunion (23)… Les élèves font des exercices en petits groupes (24)… Les élèves passent cinq semaines en entreprise (25)…

Notons au passage que le mot élève, s’il donne à réfléchir selon l’utilisation au singulier ou au pluriel ; devient bien commode quant au genre. En effet, le féminin et le masculin s’écrivent pareil. Certes un déterminant fait parfois son œuvre (une élève, un élève ; cette élève, cet élève) ; mais, la limite est vite atteinte ; alors le genre doit se déduire du contexte … Dans les classes, les élèves garçons sont perçus comme des individualités et les élèves filles comme un groupe indifférencié (26).

Désagréables, morveux, agités, meneurs…

Le terrain, la base, ne fait pas dans la dentelle. Il arrive que les enseignants utilisent des notions très éloignées de la psychopédagogie pour évoquer l’état des jeunes qui leur sont confiés… Au collège Céleste d’Ambles pendant une récréation, à toute vitesse, les profs font le point sur la Cinquième 6. Dans les pétarades de la vieille cafetière qui rend l’âme, on parle : le niveau baisse, la jeunesse n’a plus de repère, les parents ont démissionné… Une professeure de français, se plaint de la mauvaise ambiance qui règne dans cette classe. Les enfants sont désagréables. C’est comme le vin, il y a des années ou l’élève est imbuvable. L’expérience parle : cette classe a mauvais esprit. Tous des morveux ! Inutile de chercher midi à quatorze heures, les élèves de Cinquième 6 sont désagréables et ont mauvais fond, sauf trois ou quatre filles plutôt sages.

Il suffirait que cinq à six meneurs disparaissent et tout irait mieux. Il faudrait orienter les faibles qui sont calmes, en lycée professionnel et caser les agités dans des établissements faits pour eux. Au lieu de cela on laisse les parents décider de l’orientation et on supprime les redoublements et la direction de ce collège se vautre dans la complaisance, pleurniche sur le poids du cartable, l’emploi du temps trop chargé et les programmes démentiels. Bientôt, il faudra l’accord des délégués de classe pour placer une interro ! Un coup de sirène abrutissant marque la fin banale d’une récré ordinaire durant laquelle les noms d’oiseaux sur les élèves ont fusé entre professionnels de l’éducation…

Gilbert Longhi

Notes

1 http://www.providence-strasbourg.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=66&Itemid=82

2 http://www.clg-peguy-lechesnay.ac-versailles.fr/spip.php?article6

3 www.cndp.fr/entrepot/ville…/fiche-action.html

4 http://www.versailles.snes.edu/spip.php?article2464

5 http://www.collegeelysee.com/index.php?option=com_content&view=article&id=566&Itemid=60

6 http://www.neoprofs.org/t19343-eleve-qui-refuse-de-travailler-pendant-le-cours

7 L’école et les parents : la grande explication Philippe MEIRIEU http://b105.chez.com/lectures/meirieu2.htm

8 http://saintjoseph-gravelines.com/MENU/StJoInfo/St_Jo_Info.pdf

9 http://www.adusolier-nontron.fr/articles.php?lng=fr&pg=622 collège Alcide Dusolier

10 http://www.cairn.info/l-abc-de-la-vae–9782749211091-page-77.htm

11 http://webradio.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/spip.php?rubrique4

12 http://www.ac-caen.fr/academie_272_projet-academique.html

13 Cf. le travail de Claire Beyssade consacré statut sémantique des espèces à travers l’emploi du défini générique singulier ou du défini générique pluriel. Les définis génériques en français : noms d’espèces ou sommes maximales Claire Beyssade lumiere.ens.fr/~amari/def-gen-22-08.rtf

14 http://lyceejdarc.org/lycee/index.php?id=93

15 www.ipet.be/documents/Projet_pedagogique

16 http://education-creative.com/blog/?p=4197

Pierre Therme Université d’Aix-Marseille

17 http://www.inrp.fr/zep2/partheme/textes/eps/therme.pdf

18 www.laligue.org/assets/Uploads/PDF/14.FCPE.3.pdf

19 www.charmeux.fr/elevepersonne.html

20 http://www.lcd.lu/lycee/codedevie/index.php

21 http://www.ndj.edu.lb/node/149

22 http://www.lcd.lu/lycee/codedevie/index.php

23 http://www.lcd.lu/lycee/codedevie/index.php

24 http://www.media-awareness.ca/francais/ressources/educatif/outils_de_reflexion/qlq_strategies.cfm

25 http://admissible.enpc.org/index.php?module=visiteurs&action=presentation&PHPSESSID=db0573427002528e54be336398898015

26 http://1libertaire.free.fr/EcoleFillesRolesSociaux.html