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Il arrive d’entendre des enseignants, des parents, des animateurs se plaindre que la jeunesse ne respecte plus les règles. Ce n’est pas nouveau : « Les élèves n’ont cure de leurs professeurs, pas plus que de tous ceux qui s’occupent d’eux ; et, pour tout dire, les jeunes imitent les anciens et s’opposent violemment à eux en paroles et en actes. » (Platon, La République, 563 a). Mais construire une classe sereine et fraternelle est possible, quels que soient les élèves accueillis. Mais cela ne va pas de soi. Présenter les règles, les expliquer et aller jusqu’à faire signer, ne suffit malheureusement pas. De même qu’attendre que les élèves s’entraident naturellement. C’est ici que débute la pédagogie.

Pour que de la solidarité et de la fraternité émergent et existent au sein d’un groupe, deux préoccupations pédagogiques s’imposent autour des règles et autour de la coopération

Différents niveaux de règles

Un contrat de vie, ou « règlement », regroupe l’ensemble des repères assurant la cohésion d’un groupe. Propre à chaque classe, il regroupe des lois, des règles de vie ainsi qu’un code de politesse. Les lois sont intangibles, transmises et apportées par les adultes et peuvent être soumises à des sanctions en cas d’infraction. Elles existent parce que, sans elles, la sécurité des membres du groupe n’est plus garantie. En voici un exemple de matrice :

1 – Chacun a le droit d’être tranquille dans son corps : on ne se tape pas

2 – Chacun a le droit d’être tranquille dans son cœur : on ne se moque pas

3 – Chacun a le droit d’être tranquille avec ses affaires : on ne prend pas les affaires d’un autre sans son autorisation

4 – Chacun a le droit d’être tranquille dans son travail : on respecte la concentration de chacun et si on ne comprend pas, on demande de l’aide

5 – L’enseignant(e) ne travaille pas qu’avec quelques-uns : il est disponible pour tous les élèves de la classe.

Les règles de vie peuvent être modifiées, supprimées ou complétées selon les événements rencontrés par le groupe. A l’instar de la loi, une règle de vie non respectée peut générer une sanction. Cette co-construction des règles permet l’exercice d’une démocratie participative, ce qui donne du sens et de la valeur à la démocratie.

Le code de conduite regroupe l’ensemble des éléments évidents pour la plupart des adultes, mais pas forcément encore acquis et compris par les élèves du groupe. Ce sont les codes de politesse et de bienséance. En cas de non-respect, ils ne méritent certainement pas de sanction, mais nécessitent un rappel.

L’apprentissage de la règle

Les lois ne peuvent pas être modifiées parce que sans elles, point de libertés. Mais elles sont rappelées. C’est tout le principe de la sanction, sous forme de valorisation lorsqu’elle est positive, de privation de l’exercice d’un droit et accompagnée d’une réparation lorsqu’elle est négative. La sanction se distingue de la punition par son refus de l’humiliation, qui engendrerait ressentiment, vengeance et perte de confiance. La sanction se distingue également de la punition parce qu’elle se couple à un processus de réparation, à l’initiative de la personne à l’origine de l’erreur.

Si les règles de vie et le code de conduite peuvent être modifiés, c’est d’abord pour permettre aux jeunes de comprendre d’où viennent ces limites. Pour éviter qu’ils ne soient vécus que sous le joug de l’interdit, il semble important que l’adulte rappelle régulièrement leur impact sur les libertés et pense à adapter les sanctions – leur but n’est pas d’avilir mais de faire prendre conscience

Associer des élèves à ce processus de construction et d’appropriation de la règle induit un protocole pédagogique précis. Par exemple, d’abord, en rédigeant les lois entre adultes, sans les élèves ; elles ne sont pas négociables. Penser en même temps l’organisation d’un conseil coopératif (par exemple lors des heures de vie de classe en collège), bâti sur les principes démocratiques d’un accès à la parole équitable et de prises de décisions consensuelles.

Ensuite en construisant le contrat de vie : présenter et expliquer les lois. Organiser un temps de travail pour la construction des règles de vie et du code de conduite, en précisant la différence aux élèves. Participer à ce temps en apportant une matrice initiale de règles, par exemple autour de la gestion du bruit dans la classe, de la consommation de boissons et d’aliments, de l’utilisation des ordinateurs, … Les élèves peuvent en proposer de nouvelles. Les sanctions sont apportées par les adultes, en correspondance aux règles fixées et avec la double exigence de non-humiliation et d’éducation.

Puis en proposant aux élèves une formation à la réparation, afin qu’ils en comprennent la portée et qu’ils sachent quand et comment l’effectuer. Cette formation peut être l’occasion de les préparer à une gestion non-violente et autonome des conflits : les messages clairs (1), la CNV (2), voire le message « Je » (3).

Enfin, en organisant un conseil coopératif : une assemblée démocratique régulièrement (par exemple toutes les 2 semaines). Certaines règles de vie ou éléments du code de conduite seront reconduits, modifiés, ajoutés ou supprimés. Le recours au vote n’est possible que suite à un temps de réflexion, face à l’impossibilité de trouver un consensus et parce qu’un certain nombre de contraintes pousse à la décision (une échéance, un risque, une demande extérieure, …)

Exemple d’ordre du jour d’un conseil coopératif :

1 – Ouverture du conseil et rappel des règles de fonctionnement par le président de séance

2 – Relecture et vérification des décisions prises lors du dernier conseil

3 – Les propositions : contrat de vie, projets collectifs, projets individuels, …

4 – Les problèmes et difficultés au sein de la classe

5 – Les félicitations, les encouragements et les remerciements

6 – Relecture des décisions prises et clôture du conseil

L’organisation de la coopération dans la classe

Pour éduquer, il vaut mieux vivre la mitoyenneté que parler de citoyenneté. La fraternité et la solidarité au sein d’une classe prennent sens pour les élèves parce qu’ils ont la possibilité de coopérer pour apprendre de manière ordinaire. Or, cette coopération nécessite une formation des élèves. Sinon, elle prend des formes contraires à ce dont ils ont besoin pour apprendre : désordre, asymétrie dans le travail, malentendus, … Cette formation des élèves à la coopération se fait en amont : 1 à 2 heures pendant la classe, pour tous les élèves, afin de travailler les gestes coopératifs de celui qui aide et ceux de celui qui se fait aider.

Voici ce que de nombreux enseignants utilisent comme contenu de cette formation :

Celui qui aide : il termine d’abord ce qu’il est en train d’effectuer, pour se rendre vraiment disponible. Il est d’accord pour apporter son aide, cela ne lui est pas imposé. Il s’exprime en chuchotant ou en murmurant. Il a bien compris ce qu’on lui demande, de quoi il s’agit. Sinon, il renvoie vers quelqu’un d’autre. Il peut se servir des fiches-outils et de tous les autres documents à disposition. Il ne donne pas la réponse ou la solution. Il ne se moque pas, il encourage et félicite. Il peut faire relire et expliquer la consigne, donner des exemples et montrer comment faire, expliquer avec ses mots, dire ce qu’il faut faire, donner des trucs et astuces, faire des schémas, illustrer ce qui est dit, aider à lire, observer et comprendre les fiches-outils, laisser deviner, répondre aux questions, décider d’arrêter d’aider, …

Celui qui se fait aider : d’abord, il essaye tout seul. Il choisit celui qui peut l’aider. Il attend qu’il se soit rendu disponible. Il pose une question précise. Il écoute avec attention. Il met de la bonne volonté. Il remercie celui qui l’a aidé(e). Il peut poser des questions, demander de réexpliquer, écrire, prendre des notes, décider d’arrêter de se faire aider, …

Comme pour toute leçon, certains élèves vont comprendre, d’autres pas. C’est pour cette raison, et afin d’autoriser l’autonomie des élèves qui aident, que des évaluations sont utiles, par exemple sous forme d’un brevet de tuteurs. Ainsi, pour être tuteur dans une classe, il faut réunir quatre conditions : avoir suivi une formation, être volontaire, avoir réussi le brevet et ne pas avoir perdu son brevet (respecter les règles posées).

Les enseignants peuvent alors autoriser leurs élèves à coopérer, principalement lors des phases de recherche et d’entraînement. Des outils comme les tétraaides (4) peuvent se montrer utiles pour signifier l’activité de chacun. Il en existe plusieurs autres.

C’est ainsi que les élèves ne vivent pas les règles et les sanctions comme des instruments de la toute-puissance des adultes. C’est ainsi que ces mêmes élèves considèrent la classe comme un espace d’exercice authentique de la solidarité, par un rapport au savoir partagé. Ils peuvent alors devenir des personnes autonomes, responsables et respectueuses. En somme, l’école devient un lieu d’apprentissage de la vie démocratique et fraternelle.

Sylvain Connac

MCF Université Paul Valéry de Montpellier

Des exemples de brevet pour tous les âges :

Au cycle 2

Au cycle 3

Au collège

Au lycée

Sur S Connac : Personnaliser l’Ecole

Notes :

1 http://www.decennie.org/documents/educ/communicationFP15.pdf

2 http://www.decennie.org/documents/educ/communicationFP09.pdf

3 http://www.decennie.org/documents/educ/communicationFP05.pdf

4 http://bdemauge.free.fr/tetraaide.pdf

Bibliographie :

• CONNAC S., Apprendre avec les pédagogies coopératives, ESF Editeur, 2009.

• CONNAC S., La personnalisation des apprentissages, ESF Editeur, 2012.

• LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, De Boeck et Belin, Bruxelles, 2002.

• LE MENAHEZE F. et al., Coopération et Pédagogie Freinet, Editions ICEM Pédagogie Freinet, No 33, 2002.

• PRAIRAT E., La sanction – Petites méditations à l’usage des éducateurs, L’Harmattan, Paris, 1997.

• ROBBES B., L’autorité éducative dans la classe – 12 situations pour apprendre à l’exercer, ESF Editeur, 2010.