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Alors que le quotidien espagnol El País a publié ce 14 janvier la double page centrale du Charlie Hebdo des survivants traduite en espagnol, on apprend que Reporters sans Frontières a missionné l´écrivain et dessinateur espagnol, Carles Romeu, pour sa traduction complète. Depuis ce tragique 7 janvier 2015, les réactions de la presse internationale et du monde des dessinateurs et caricaturistes ont été très nombreuses. Quinze jours plus tard, il est possible de dresser un panorama des hommages rendus à Charlie Hebdo par les hispanophones du monde entier et il y a une profusion de documents exploitables en classe.

La revue satirique hebdomadaire El Jueves a sorti ce 14 janvier son numéro spécial Charlie ; cette même revue qui avait déjà soutenu Charlie Hebdo au moment de la publication des caricatures, avec en Une : « Pero… ¿alguien sabe cómo es Mahoma ? ». Par ailleurs, sur leur site internet, une page rassemble des réactions de confrères et peut ensuite permettre à nos élèves d´un niveau B1-B2 de créer une page avec les réactions de tous les membres de leur classe sur ce modèle. La Revista Mongolia déclare vouloir publier les caricatures de Mahomet dans son mensuel de février.

Quant au mensuel satirique Orgullo y Satisfacción, il propose un numéro spécial en hommage à Charlie Hebdo, téléchargeable en PDF, qui compte 40 pages. La page 4, avec le dessin intitulé « ¿Es la pluma más fuerte que la espada? » ou encore les 9, 13, 14 et 25, permettent de travailler sur le thème de la liberté d´expression et d´opinion correspondant aux articles 11 et 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l´Homme et du Citoyen.

Ces trois médias satiriques espagnols mettent donc à plat ces principes fondamentaux en redéfinissant les contours des missions de leurs caricaturistes ou dessinateurs de presse. La réflexion amorcée à l´aide des dessins présents dans le dossier spécial Orgullo y Satisfacción peut être prolongée par quelques extraits choisis d´un débat sur la liberté d´expression et sur l´événement Charlie Hebdo organisé par le quotidien eldiario.es et la PDLI (Plataforma en Defensa de la Libertad de Información) le 13 janvier dernier. « L´humour doit-il avoir des limites ? La liberté d´expression est-elle respectée en Espagne ? » font partie des questions abordées lors de ce débat. Ces deux heures d´échanges ont eu lieu dans un contexte espagnol particulier puisqu´il intervient peu de temps après la mise en examen de l´humoriste Facu Díaz et au milieu de la tourmente liée à une nouvelle loi : la Ley de Seguridad Ciudadana, surnommée ´ley Mordaza`. Selon le même quotidien qui a organisé le débat, plus de la moitié des espagnols n´accepterait pas les satires de Charlie Hebdo.

Qu´en est-il chez les hispano-américains ?

En Amérique Latine, comme on peut le lire en ce 15 janvier dans l´Express, par exemple : après avoir fortement dénoncé l´acte terroriste et rendu hommage aux victimes, être ou ne pas être Charlie est le grand dilemme de l´Amérique Latine. Dans cet article donnant la parole à un certain nombre de représentants de nations latino-américaines, les mots employés sont forts pour parler de notre position politique et de la leur, au-delà des mœurs et coutumes qui varient d´un continent à l´autre. On parle de « la France colonialiste », « de l´anti-impérialisme en Amérique Latine », même « d´une espèce d’anti-européisme et d’anti-occidentalisme dans certains cas : l’idée que l’ennemi, ce n’est pas seulement les États-Unis, mais aussi l’Occident. » Il est aussi question des nuances apportées selon les pays lors de cet événement, qui varient entre ceux qui ont dénoncé l´acte terroriste et revendiquer la liberté d´expression et de la presse, et ceux qui n´ont que rendu hommage aux victimes.

Ce constat doit nous faire réfléchir.

Par conséquent, de nombreuses ressources dans la presse en ligne des différents pays hispanophones peuvent être confrontées dans le cadre de la notion Espaces et Échanges (Réalités et conséquences des échanges imposés/subis/volontaires face aux crises économiques, sociales, politiques : intégration ou stigmatisation et acculturation ? Les conséquences humaines de la perte des colonies peuvent-elles justifiées ces prises de positions si différentes? ; Existe-t-il plusieurs types de frontières ? Les frontières naturelles, les frontières géopolitiques, les frontières économiques, les frontières sociales ? Expliquent-elles ces différentes résonances ?), pour la notion d´Idée de Progrès (L’accélération de la communication dans les médias, dans la vie quotidienne…, ne se fait-elle pas au détriment du temps nécessaire à l’analyse? ; Et peut-il y avoir progrès sans dommages ?), et pour la notion Lieux et Formes du Pouvoir (Le pouvoir des médias : information, manipulation, désinformation ; Le journaliste et l’opinion publique. Quelles sont les règles déontologiques du métier de journaliste ? Le journaliste exerce-t-il un pouvoir sur l’opinion publique ? Peut-il jouer le rôle de contre-pouvoir ?).

L´hommage aux victimes a quant à lui été unanime. Tous les pays hispano-américains sont représentés par les vignettes créées par leurs concitoyens, leurs dessinateurs de presse ou leurs caricaturistes. Quelques exemples de vignettes de dessinateurs ou caricaturistes d´Équateur, du Pérou, de Colombie, du Costa Rica, d´Uruguay montrent l´ampleur de la mobilisation des hispano-américains. En Argentine : Un hommage est rendu depuis le Museo del Humor de Buenos Aires, venant de Fernando Javier Sendra, de Quino et d´ Hermenegildo Sabat. Un article présente également la revue satirique argentine intitulée Barcelona. En Équateur, une interview de Xavier Bonilla, alias Bonil, caricaturiste équatorien affirme ici qu´en Équateur l´humour est rébellion par essence. Une vidéo qui rassemble 500 des vignettes publiées en hommage à Charlie Hebdo durant la semaine écoulée.

Toujours en nous inspirant des ressources Éduscol pour le cycle terminal, problématisons autour de l´événement Charlie Hebdo en particulier. De toute évidence, cette réflexion trouvera un écho dans d´autres événements socio-politiques de notre Histoire.

Pour la notion Mythes et héros

– Alors, les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient-ils / sont-ils des héros engagés ? Héros ? Stars ? Super-héros ? Idoles ? Pas tous ? Seulement Charb ?

-`Je suis Charlie´. `Je suis Charlie´. `Je suis Charlie´. `Je suis Charlie´… `Nous sommes Charlie´. Peut-on parler d´héroïsme collectif ? D´un peuple héros lorsqu´il se mobilise face à des crises, à des événements historiques ?

-De nombreux réseaux sociaux ont légendé des photos de rassemblements de soutien avec l´inscription : 66 millions de blessés. Doit-on voir Charlie comme un héros national ?

-Ensuite, `Je suis Charlie´ est-il victime de la médiatisation ? Ou au contraire un héros grâce à la médiatisation ? Pourrait-on parler de publicité ?

Pour la notion Espaces et échanges : Le monde numérique, les espaces virtuels nouveaux lieux d´échanges et de socialisations ? Quel rôle a joué le monde numérique dans le développement des échanges autour de l´événement Charlie Hebdo ? Quels sont les enjeux des communautés virtuelles ? Leur influence ? Dépassent-elles les cultures nationales pour en construire de différentes ? Quel rôle a joué les réseaux sociaux dans la couverture médiatique de l´événement ? Que doit-on penser des échanges grâce au hashtag #JeSuisCharlie ? Des publications internationales via la presse en ligne ? Des interventions d´illustres inconnus pour échanger, partager, témoigner, dessiner, écrire, chanter, s´indigner via le numérique?

Pour la notion Idée de progrès : La culture comme moteur de progrès

Peut-on considérer Charlie Hebdo comme créatif ? Sa créativité est-elle symbole de réussite, de modernité et de nouveauté dans notre société occidentale en pleine mutation?

Pour la notion Lieux et formes du pouvoir : Arts et pouvoir. De tous temps les arts ont permis de représenter et de symboliser le pouvoir et ont ainsi contribué à sa légitimité ou à sa contestation posant la question du statut de l’artiste: témoin, complice ou critique ? Il sera intéressant aussi de s’interroger avec les élèves sur la nécessité de l’engagement de l’artiste.

Stéphanie Fizailne