Print Friendly, PDF & Email

Qu’est ce qui est au coeur de l’identité enseignante et qui parait immuable ? La discipline scolaire. Dans un article de la revue Administration & éducation (n°4), Alain Boissinot remet en question l’ordre disciplinaire. Pour lui il empêche l’Ecole de s’adapter à l’évolution des besoins éducatifs et conduit à l’inflation des horaires. Ancien président du Conseil supérieur des programmes et ancien recteur, nous avons recueilli son avis. Au moment où le ministère introduit deux nouvelles disciplines du primaire à la terminale, l’enseignement moral et civique et l’informatique, pour lui la coupe est pleine…

Pourquoi remettre en cause les disciplines ?

Dans le débat éducatif on est souvent sommé de choisir entre l’éducation et l’instruction, les connaissances et les compétences, pour ou contre les disciplines. Pour certains celles-ci sont porteuses de tous les maux comme le corporatisme. Pour d’autres elles sont intouchables. En fait, il est impossible de faire abstraction des disciplines. En revanche il faut admettre qu’elles ont des défauts et il faut les analyser pour que le système éducatif réponde mieux aux besoins de la société actuelle.

On peut distinguer deux défauts. D’abord le risque de fixisme disciplinaire. C’est à dire considérer qu’elles sont définies une fois pour toutes et qu’elles ne doivent plus évoluer. On peut citer par exemple l’histoire-géo. Par exemple quand sont nées les SES, la géographie aurait pu répondre au besoin de connaissances économiques. Mais il a fallu créer une nouvelle discipline. Ou encore le français. On dit qu’il faut développer les pratiques de dialogue, de débat chez les élèves. Cela devrait être dans l’enseignement du français. Mais cette discipline s’est sclérosée avec des exercices imposés comme le commentaire de texte. Les disciplines doivent être capable d’évoluer.

Le second reproche que l’on peut faire aux disciplines c’est qu’elles ne correspondent pas entre elles. Au lieu de cela elles se définissent d’une façon de plus en plus étroites. On arrive à l’émiettement. Par exemple faut il 3 ou 4 disciplines scientifiques au collège ? Au lycée devait-on ajouter l’ECJS ?

Mais le système éducatif multiplie encore les disciplines avec par exemple l’ECJS, l’Histoire des arts, une discipline non universitaire, l’informatique bientôt l’enseignement moral et civique (EMC) et le coding. Ce n’est pas nécessaire ?

Il faut s’interroger. En se spécialisant les disciplines laissent échapper des champs savants et on invente des disciplines nouvelles pour les traiter. C’est dramatique. L’ECJS est née des carences du français, des SES, de la philosophie. Le futur EMC c’est un peu pareil. Agir ainsi c’est une forme d’échec d’un système éducatif qui n’arrive pas à gérer les évolutions nécessaires. Cela aboutit à l’inflation des horaires qui ne sont plus raisonnables.

Des disciplines doivent disparaitre ? Lesquelles ?

Certaines tendent à disparaitre. Regardez par exemple les langues anciennes. Elles n’occupent plus la place qui était la leur. On a besoin des disciplines mais vivantes, capables de dialoguer avec les autres. L’exemple de l’enseignement supérieur montre que des évolutions sont possibles. Actuellement dans l’enseignement supérieur on se rend compte que trop de spécialisation freine la réflexion et on voit se créer en université des formations à spectre large qui décloisonnent. Par exemple Paris Ouest a créé une licence humanités qui regroupe des lettres, de la linguistique, des techniques commerciales, de l’histoire. On voit aussi des bi-licences apparaitre.

Mais toucher aux disciplines c’est toucher à l’identité des enseignants. Ca semble impossible.

On peut les faire évoluer, les enrichir et simplement leur redonner du sens. Regardez l’expérience de l’enseignement intégré des sciences (EIST).

Cette réflexion est prévue dans les nouveaux programmes du collège ?

Je l’espère. Ca me semble indispensable. L’émiettement disciplinaire au collège est excessif. C’est particulièrement vrai en 6ème. On a maintenant un cycle commun cm1- 6ème qui devrait pouvoir faire bouger les choses. Mais on voit les choses bouger aussi au lycée. Observez les enseignements d’exploration. Les enseignants y trouvent de l’intérêt à décloisonner leur discipline dans des enseignements comme « littérature et société », qui devrait en fait remplacer le programme de français, ou « méthodes et pratiques des sciences » où les disciplines se croisent.

Propos recueillis par François Jarraud

Missions et formations des enseignants de demain, Revue Administration & éducation, n°4 2014.