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Et si le redoublement durait parce que finalement tout le monde y tient ? La proposition peut surprendre mais au final tout le monde l’aime le redoublement. Selon une étude réalisée par le Cnesco auprès de près de 6000 collégiens et lycéens, les élèves sont très majoritairement favorables au redoublement… Mais ils sont aussi bien placés pour connaitre ses effets négatifs. Une position ambivalente qui n’est pas éloignée de celle des enseignants et parents. Les professeurs se lamentent aussi sur le redoublement mais continuent très majoritairement à le juger utile. Les parents aussi. Comment expliquer cette ambiguïté ?

Des élèves attachés mais critiques

Le Cnesco a pris l’initiative d’interroger 3302 collégiens et 2314 lycéens venus de 59 établissements sur leur rapport au redoublement. L’enquête confirme ce que l’on sait de l’attachement au redoublement. Elle apporte néanmoins de fortes nuances.

Selon cette étude, 69% des lycéens et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile. L’adhésion au redoublement est plus forte chez les lycéens que chez les collégiens, chez les filles que chez les garçons, chez les « bons élèves » que chez les élèves faibles. Les redoublants gardent le souvenir positif d’une année d’efforts.  » 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ; 71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée » », affirme l’étude.

Mais cet attachement n’empêche pas les jeunes de pointer les dégâts qui accompagnent le redoublement. 64% estiment que le redoublement démotive. On constate aussi un fort sentiment d’injustice. Un collégien redoublant sur deux déclare que la décision de redoubler était pas juste. 59% se sont ennuyés en refaisant les mêmes programmes. 35% déclarent avoir eu envie d’arrêter l’école.

Et si le redoublement avait son utilité ?

Du coté des enseignants, Hugues Draelants a étudié de près, en 2012, le rapport qu’entretiennent les enseignants belges au redoublement. Pour lui, s’il se maintient contre vents et marées, c’est tout simplement parce qu’il a son utilité.  » Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir », écrit-il. « D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans son efficacité.. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes ». Il en distingue quatre : « une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ».

Ainsi le redoublement participerait du fonctionnement ordinaire du système , du positionnement symbolique des établissements et de l’ordre scolaire quotidien. « En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler », écrit-il. « Ce type de réaction… traduit ainsi le problème d’une relation de longue complicité entre le principe de la menace et le système scolaire qui a été observée en Belgique francophone. La remise en cause du redoublement, bouleverse donc les rôles jusque là établis et soutenus par ce dispositif et redistribue les cartes du pouvoir. Les enseignants ressentent en effet des problèmes d’autorité…, ce qui apparaît fortement déstabilisant ».

H Draelants soulève une dernière raison qui explique l’attachement des enseignants au redoublement. « L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire. Face à cette abolition des anciens repères, certains enseignants résistent afin de conserver la maîtrise de leur profession. Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît en effet comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle même, symbolise un certain pouvoir enseignant et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise ». La défense du redoublement par les enseignants est donc liée à la défense de l’ « autonomie relative » de l’Ecole par rapport au politique et par rapport aux chercheurs et experts qui inspirent celle-ci, voire par rapport aux parents ou au « marché » ».

Les parents attachés aussi au redoublement

Le dernier paradoxe est à chercher du coté des parents. Selon un sondage réalisé pour l’Apel en décembre 2012, seulement une minorité de parents (41%) le jugent mauvais ou estiment qu’il n’aide pas (43%). Des pourcentages qui sont proches des enseignants ces derniers ayant une opinion un peu plus positive encore du redoublement. Il est vrai que, comme pour les enseignants, le redoublement entre aussi dans les stratégies familiales. C’est particulièrement clair en 3èe et en seconde où de nombreux parents préfèrent le redoublement à une orientation non souhaitée (en L.P. par exemple). S’attaquer au redoublement c’est au final aussi bien créer de l’insécurité que détruire ce qui est vraiment un mythe collectif.

François Jarraud

Draelants

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