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Comment expliquer le fort lien entre inégalités sociales et redoublement ? Peut-on parler de discrimination voir d’apartheid ? Le 27 janvier, lors de la conférence de consensus sur le redoublement organisée par le Cnesco et l’IFé, plusieurs universitaires ont choisi de mettre l’accent sur les failles culturelles des familles des redoublants. Du coup la réponse au redoublement devient strictement pédagogique. Adieu le social !

Question : « Maintenir le redoublement c’est creuser les inégalités sociales ? » Réponse : « Le problème c’est le traitement de la difficulté scolaire ». Avec quelles lunettes lire les statistiques sociales qui montrent le lien entre la catégorie sociale et le redoublement ? Le 27 janvier, les intervenants à la conférence de consensus ont choisi d’éliminer l’idée même de la discrimination sociale et des effets systémiques pour s’en tenir à la bonne vieille théorie de la discontinuité culturelle.

C’est la faute des mères immigrées…

Pour Jean-Jacques Paul le lien entre catégories populaires et redoublement est établi dès la fin du 20ème siècle. Dans l’étude Vallet et Caille en 1993, 73% de senfants de français ne connaissent pas le redoublement au primaire contre 54% des enfants immigrés. Une autre étude de 2009 montre que l’écart de taux de redoublement entre garçons et filles est plus fort chez les immigrés que les français. Pisa 2012 montre que à condition sociale égale l’écart de réussite entre autochtone et immigré est le double en France que dans la moyenne de l’OCDE. Mais pour Jean-Jacques Paul, l’explication est à chercher dans le bagage culturel des immigrés. Les mères d’enfants immigrés sont moins en situation de suivre la scolarité de leur enfant. Lee enfants immigrés entrent en CP avec des compétences moindres. Et puis il y a des effets de voisinage entre jeunes issus de l’immigration. Bref la responsabilité c’est chez eux qu’il faut la chercher.

Et de leur manque d’ambition…

Thierry Troncin partage cette analyse. « Les élèves d’origine modeste se perçoivent moins compétents et leurs parents font plus confiance en l’école. Les familles populaires ont des ambitions scoalires plus limitées et les conseils de classe ne rehaussent pas cette ambition. Du coup l’action à mener doit se porter sur l’apprentissage. Là la responsabilité passe du coté des seuls profs. Et  » ce n’est pas l’école qui va résoudre la question de la mixité sociale ».

Et si on parlait ségrégation ?

Ainsi l’Ecole comme institution et la société sont exonérés de toute responsabilité dans les inégalités sociales de réussite scolaire. Pourtant tous les chercheurs ne partagent pas l’idée que les inégalités sociales à l’Ecole reposent uniquement sur le bagage culturel des familles populaires et leur éloignement des normes scolaires. Bien des travaux ont analysé la part de l’institution dans la ségrégation scolaire. « Le modèle de la discontinuité culturelle reste valide. Mais il ne permet pas d’expliquer la hausse des inégalités depuis 20 ans »; nous disait Georges Felouzis en septembre 2014. « La discontinuité culturelle entre l’Ecole et les familles n’a pas augmenté en 20 ans. Ce sont les discriminations systémiques qui peuvent expliquer la hausse des inégalités. Par discriminations systémiques on entend les inégalités d’opportunités d’apprentissage. On dit que l’Ecole française est indifférente aux différences et que c’est un facteur d’inégalités. Mais on observe que l’Ecole est loin d’être indifférente. On s’aperçoit que la ségrégation scolaire est très forte y compris dans l’enseignement obligatoire et même qu’elle s’accentue. La séparation sociale dans les établissements augmente et cela a des conséquences sur les apprentissages. Dans les établissements ségrégés les conditions d’apprentissage sont moins bonnes. On ne donne pas les mêmes chances à tous les élèves. C’est un facteur d’inégalités très fort ». Le débat aurait gagné à ce qu’il soit invité…

François Jarraud

Felouzis

Comment l’éducation nationale fabrique de la ségrégation