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Qui se souviendra des EAP (Emplois d’Avenir professeurs) ? Ils avaient été lancés en fanfare en janvier 2013 par Vincent Peillon, persuadé qu’on allait ainsi démocratiser les rangs enseignants. Deux ans et demi plus tard, les voilà enterrés sans tambour ni trompette par Najat Vallaud-Belkacem. Sans qu’on ait vu passer de bilan.

V Peillon annonce les EAP 10/12/2012Pour ceux qui ont déjà oublié, les Emplois d’Avenir Professeurs sont des contrats que l’on propose à des étudiants boursiers – de deuxième année de licence jusqu’en première année de master -, se destinant à l’enseignement. Ils s’engagent à passer les concours de recrutement, vont douze heures par semaine s’initier au métier dans un établissement et perçoivent 900 euros maximum par mois, bourses comprises.

Au départ, l’objectif était double. Il s’agissait de diversifier les profils enseignants. Les coupes de l’ère Sarkozy ont découragé les étudiants de milieux défavorisés, redoutant de s’engager dans des études longues aux débouchés incertains.

Relancer le recrutement

Le but était aussi de relancer la pompe du recrutement, notamment dans les disciplines « déficitaires » comme les maths, et pour le primaire, dans les académies qui n’attirent pas.

Combien y a-t-il d’EAP aujourd’hui ? On ne sait pas exactement. Vincent Peillon avait placé la barre très haut : 6 000 contrats signés chaque année pendant trois ans, soit 18 000 en 2015-2016. En 2014-2015, on avait dénombré quelque 7 800 contrats signés ou en passe de l’être.

En fait, les EAP ont été difficile à recruter. Diverses explications ont circulé : un dispositif lancé dans la précipitation, mal ficelé, trop lourd pour les étudiants, peu connu, pas assez attractif, etc.

Evaluer avant d’enterrer

Ca aurait été logique de l’évaluer avant de l’enterrer. Mais ce n’est pas la première fois que dans l’éducation nationale, un dispositif est abandonné sans autre forme de procès.

Le 22 juillet dernier, on a simplement appris dans une note officielle que les EAP étaient « mis en extinction ». Concrètement, les titulaires de contrats peuvent demander une reconduction – les EAP sont renouvelables deux fois maximum. Mais on ne prend plus de nouvelles demandes.

A la place, le ministère propose désormais de l’alternance – la grande mode. Mais ça reste assez vague.

La colère de Vincent Peillon

La disparition des EAP n’a guère suscité de réactions. En cette rentrée, les syndicats ont d’autres chats à fouetter – la réforme du collège, le retour de la dictée…

En plus, ils avaient souvent accueilli le dispositif avec froideur. La FSU, notamment, avait regretté cette demi-mesure. Elle réclame de vrais pré-recrutements, seul moyen selon elle de relancer l’attractivité du métier et de le démocratiser.

Vincent Peillon, lui, aurait vu rouge et protesté auprès du cabinet. En vain. Il faut faire des économies, lui aurait-on rétorqué, et autant les faire là où ça fait le moins mal…

Marie devenue une espèce rare

Suivant une visite de rentrée dans une école parisienne, on est tombé nez à nez avec une étudiante en Emploi d’Avenir Professeur dans une classe de CP.

Marie, 22 ans, ignorait qu’elle était une espèce « en voie d’extinction ». Avant de disparaître dans les oubliettes de l’histoire, elle a accepté de livrer son expérience. Un bilan en demie teinte comme on va le voir : « C’est en octobre 2014 que j’ai signé mon premier contrat d’EAP. J’étais alors en troisième année de licence de Biologie.

On ne vous explique rien

Quand on signe son contrat, on ne vous explique rien. La tutrice qui m’a ensuite accueillie dans l’école primaire où j’ai été affectée à Paris n’était pas au courant non plus du dispositif.

Heureusement, elle était géniale. Je l’ai d’abord observée dans sa classe de CE2. Au fur et à mesure, j’ai appris à construire des séquences. Puis tout le dernier trimestre, j’ai pris en charge l’enseignement des sciences.

Je viens de renouveler mon contrat pour un an. Je suis dans la même école, cette fois en CP. Je pense qu’avec mon nouveau tuteur, ça va bien marcher. Dans cette école, il y a une très bonne ambiance.

Tout dépend des tuteurs

En fait, ça dépend beaucoup des tuteurs. J’ai des copines qui ont eu moins de chance que moi. L’une d’elles a passé son temps l’an dernier à observer sa tutrice faire classe. Elle en eu marre, elle a laissé tomber.

On fait 12 heures par semaine dans l’école. On croit que ce n’est pas énorme. Mais ça fait beaucoup alors qu’on doit suivre en même temps des cours à la fac.

L’an dernier, j’ai pu m’arranger. Comme je venais de médecine, à cause des équivalences, je n’avais pas de cours à la fac au second semestre. J’ai alors regroupé toutes mes heures d’EAP.

700 euros par mois

Cette année, en Master 1, j’ai tout le jeudi libre et le vendredi matin. Je ferai 9 heures par semaine dans ma classe de CP. C’est autorisé dans mon Espé (l’Ecole supérieure du professorat, à l’université). Et comme les cours à la fac terminent en mai, je serai à temps complet en juin.

Je touche 432 euros par mois, ajouté à ma bourse qui est de 266 euros. Au total, cela me fait 700 euros par mois. Comme j’habite toujours avec mon père et qu’il me paie beaucoup de choses, comme le Pass Navigo, je m’en sors.

Si je fais le bilan, ça m’a permis d’avoir une idée du métier. Il y a un réel avantage à être sur le terrain, par rapport aux autres étudiants qui font deux stages de deux semaines.

Très mal organisé

Ce qui est dommage, c’est que le rôle des EAP ne soit pas mieux défini et que les tuteurs ne soient pas mieux formés. Certains profs ne connaissent pas le dispositif, ils croient qu’on est des stagiaires. Avec les parents, c’est encore plus compliqué : certains nous prennent pour des stagiaires, d’autres pour des AVS (auxiliaires de vie scolaire).

Je trouve aussi que les facs devraient adapter leurs emplois du temps pour permettre de concilier les cours et les heures à faire en classe. Les EAP devraient bénéficier à tous, pas seulement aux boursiers. Mais si vous me dites qu’ils vont disparaître… Pour résumer, je dirais que c’est un très bon dispositif, très mal organisé.»

Véronique Soulé

Les EAP sur el site ministériel

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L’annonce des EAP le 10/12/2012

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