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Les politiques doivent-ils avoir leur mot à dire dans les procédés pédagogiques comme l’évaluation ? A coup sur, la tentative, après 2005, d’imposer l’évaluation par compétences au collège grâce au livret personnel de compétences (LPC) n’a pas laissé un bon souvenir. Ce pensum administratif a détourné les enseignants d’une approche par compétences. Elle a conduit à des pratiques de validation très éloignées des objectifs affichés. Cette tentation d’imposer une nouvelle évaluation bureaucratiquement est-elle écartée par la nouvelle évaluation ? Comment peut-on changer des pratiques profondément ancrées dans le métier ?

L’évaluation est une activité identitaire

La correction de copies est l’activité qui identifie le mieux le métier d’enseignant. Quand on entend les enseignants on pourrait croire que c’est la part la moins appréciée du métier. En fait c’est celle où ils se retrouvent. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d’avenir de l’École. C’est aussi l’activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. Aucun corps d’enseignant n’y échappe. Ainsi la maitresse de maternelle passe 1h43 à corriger les travaux de ses élèves. Le professeur d’EPS 1h49. Pas de correction, pas de professeur… S’attaquer à l’évaluation, c’est donc s’attaquer au coeur du métier.

Quelles sont les pratiques d’évaluation des enseignants ?

Mais quelles méthodes d’évaluation sont-elles utilisées aujourd’hui par les enseignants ? Permettent-elles de faire progresser les élèves ? L’Inspection générale a publié en juillet 2013 un rapport sur « la notation et l’évaluation des élèves  » coordonné par Alain Houchot et Frédéric Thollon. Il dresse un état des lieux des pratiques d’évaluation de l’école au lycée. Son principal apport c’est de montrer un système éducatif coupé en deux. A l’école primaire l’évaluation chiffrée a pratiquement disparu même si le Livret personnel de compétences n’a pas trouvé sa place. Par contre dans le secondaire, les notes sont toujours là et ce sont les autres modes d’évaluation qui dérogent. Le rapport souligne que toute modification de l’évaluation a des conséquences sur l’organisation des établissements et la charge de travail. Au final, les inspecteurs généraux estiment que « dans la plupart des écoles et des collèges, la réflexion sur l’évaluation n’a guère abouti… Le constat d’une absence d’objectivité est quasi constant : on ne sait pas ce qu’on évalue ». Des tentatives ont eu lieu pour faire avancer les choses.

Les ambitions de 2014

La circulaire de rentrée 2014 était allée très loin dans les préconisation sur l’évaluation. Selon le texte ministériel, les contenus évalués devront être « précisés à l’avance, les objectifs et les critères de l’évaluation sont énoncés et explicités ». La communication des résultats de l’évaluation devra être « accompagnée de commentaires précis mettant en évidence non seulement les erreurs, les insuffisances, les fragilités, mais aussi et surtout les réussites et les progrès de l’élève afin de lui permettre d’en tirer le meilleur profit ». A l’école comme au collège l’évaluation s’appuiera sur les compétences du socle commun. « Dans cette perspective, la notation chiffrée peut jouer tout son rôle dans la démarche d’évaluation dès lors qu’elle identifie les réussites comme les points à améliorer et indique à l’élève les moyens pour améliorer ses résultats », précise la circulaire. C’est dire qu’elle n’est plus jugée suffisante. La circulaire invite fermement les enseignants à associer note et évaluation des compétences. « Au collège, les évaluations sont restituées sous deux formes compatibles et complémentaires : notation chiffrée et renseignement des compétences ». Évidemment cette circulaire est restée lettre morte démontrant si nécessaire qu’on ne change pas les pratiques par voie de circulaire.

Le livret numérique de tous les français

C’est pour cela qu’il faudra suivre de près un point précis des nouveaux textes : l’informatisation de l’évaluation. L’arrêté sur le livret scolaire précise que les livrets et les relevés intermédiaires seront obligatoirement saisis dans une application informatique. Pour la première fois on aura un outil piloté par le ministère dans lequel les enseignants devront inscrire les résultats de l’évaluation.

Cet outil pose de nombreuses questions. Pour les jeunes il y a bien sûr celle de la sécurité des accès et de la mémorisation définitive de tout leur parcours scolaire, y compris leurs absences et les remarques sur leur comportement. L’État va mettre en mémoire de façon ultra détaillée le parcours scolaire de tous les Français. Quelles utilisations en sera-t-il fait par la suite ? Comment empêcher que la justice, la police, les employeurs aient accès à ces données ? Les autorités académiques auront aussi un formidable outil de repérage des enseignants. Mme Dupont note-elle plus gentiment que Mme Durand ? Avec quel professeur le niveau est-il meilleur ?

Informatiser pour changer ?

Mais le principal effet de cet outil risque d’être une normalisation des conduites enseignantes. L’outil informatique est-il là pour faire ce que le livret de compétences n’a pas réussi à faire, c’est-à-dire faire entrer l’évaluation par compétences dans les pratiques enseignantes ?

La saisie du LPC avait pu être contournée par des accords tacites d’établissement. Face à la résistance des enseignants, les principaux ont trouvé d’autres systèmes de validation des compétences, souvent en les confiant à un seul enseignant ou en pratiquant eux-mêmes une validation massive. La question du changement des pratiques a été réglée localement en fonction des rapports de force et des habitude des établissements.

La mise en place d’un livret scolaire numérique part sur la même approche du changement pédagogique. Pour l’imposer, le ministère se dote d’un outil technique qui n’est plus un livret d’établissement mais un livret numérique national. En obligeant les enseignants à alimenter une base de données commune, le ministère veut se donner les moyens d’imposer des types d’évaluation communs.

L’illusion du changement bureaucratique

On entre avec ce livret numérique dans une seconde contradiction interne à la réforme. Alors que le ministère lance un vaste plan de formation des enseignants des collèges et manifeste la volonté de faire évoluer les pratiques par la formation, il se dote d’un instrument de contrôle centralisé et informatisé.

Évidemment, cet outil va entrer en conflit avec les usages locaux. Il n’est pas certain que les établissements pionniers qui ont déjà introduit des formes d’évaluation par compétences sur un niveau ou un domaine s’y retrouvent avec ce nouvel outil dont la philosophie est de toute façon contradictoire avec la volonté de donner plus d’autonomie aux établissements.

Mais plus globalement, le ministère renoue avec l’illusion des changements de pratiques imposées de façon bureaucratique. Elle rejoint une autre illusion : celle de confier à la technique des évolutions de société.

On sait encore peu de choses du logiciel qui sera utilisé pour enregistrer l’évaluation de tous les jeunes français. Mettre un outil numérique au coeur d’un changement radical du système éducatif n’est pas anodin. Il serait bon de ne pas laisser les informaticiens et les bureaux seuls aux commandes…

François Jarraud

Le projet d’arrêté sur le livret