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Les nouveaux programmes sont-ils vraiment nuls ? C’est la question que semble se poser, Didier Delignières, professeur des universités, directeur de l’UFR STAPS de Montpellier et président de la Conférence des Directeurs et Doyens d’UFR STAPS.

La profession semble accueillir de façon mitigée les programmes EPS. Quel est votre avis sur ces derniers ?

On assiste depuis quelques jours à une levée de boucliers assez unanime envers la nouvelle proposition de programmes présentée en septembre. N’ayant pas l’habitude de me sentir obligé de suivre les meutes, je me permets des remarques peut être discordantes.

Tout d’abord, j’ai toujours été circonspect quant à la nécessité même des programmes. Je pense que l’EPS a plus besoin de finalités claires et explicites (jusqu’à présent elle avait plutôt un catalogue de finalités, souvent incompatibles entre elles), que d’un listing de notions, concepts, savoirs, compétences, etc. à enseigner de manière exhaustive. Donc je ne demande pas vraiment si ces programmes sont bons, mais plutôt s’ils vont vers du mieux par rapport aux précédents.

Je ne suis pas persuadé que regretter comme le fait le SNEP « l’imprécision dans les attendus de fin de cycle et dans les repères de progressivité » soit le bon combat à mener. En tant que formateur, je fais davantage confiance aux enseignants et à leurs compétences pour faire une EPS de qualité qu’à la précision des programmes nationaux. Les attendus de fin de cycle, ce sont aux enseignants de les déterminer, compte tenu de la réalité de leurs élèves, des installations dont ils disposent, de leur propre expertise dans l’activité enseignée, du projet pédagogique de leur établissement.

Quant aux « incohérences » relatives à l’apprentissage ou la didactique, j’admets évidemment qu’on aurait pu mieux faire. J’ai tendance à ce niveau à être de plus en plus indulgent, sans doute à force de lire les copies de mes étudiants. Plus les programmes seront explicites et précis, plus ils prêteront le flanc à ce type de critique. Qui peut actuellement avoir la prétention d’avancer des savoirs définitifs sur ces sujets ? Si je devais rédiger des programmes, je crois que je m’en tiendrais au niveau des finalités, laissant aux véritables experts (les enseignants) le soin de décliner les mises en œuvre.

Vous semblez en décalage avec nos analyses dans le Café Pédagogique ?

Cela dépend, par exemple quand vous affirmez qu’« au final, ces programmes sont beaucoup moins prescriptifs que ceux de 2008, mais il vont nécessiter un travail très conséquent de la part des collègues ». Je suis d’accord. En effet, et ce caractère peu prescriptif est à mes yeux leur qualité première. Je pense de plus en plus que l’EPS doit se construire dans la singularité des établissements et des classes. Je ne crois pas à une EPS jacobine, décidée de manière centralisée et technocratique, et uniforme sur l’ensemble du territoire, avec des élèves épistémiques et des enseignants supposés interchangeables. La cohérence nationale n’est-elle pas un principe à discuter ? Je préfère une EPS différenciée, adaptée aux élèves et aux contextes réels, qu’une discipline qui ne ferait que se conformer à des exigences abstraites, définie par des instances nationales.

Il serait d’ailleurs temps de se rendre compte que l’objectif de la mastérisation des métiers de l’enseignement était à l’origine de permettre aux enseignants de devenir de véritables concepteurs de leurs pratiques (même si les choix qui ont été fait, sacrifiant la première année du master à la préparation au concours, ne sont certes pas optimaux dans cette optique). Alors en effet les enseignants « devront nécessairement passer par un temps de travail, d’échange conséquent pour construire un projet cohérent ». Je trouve ça infiniment souhaitable.

Par contre, j’ai été surpris par votre analyse de la finalité de l’EPS : « former un citoyen lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué, dans le souci du vivre ensemble» (on aura noté la nouveauté du « souci de vivre ensemble »). A cause de cette finalité, l’EPS serait une discipline « au service de ». Je ne suis absolument pas d’accord. Si l’on ne retient des pratiques de références que la mise en jeu de la motricité, alors en effet cette finalité est une verrue artificielle rajoutée à l’EPS « légitime ». Mais si l’on conçoit les pratiques sportives et artistiques comme des lieux où se déploient la citoyenneté et le vivre ensemble dans nos sociétés, alors cette finalité est en effet centrale, première, essentielle.

J’ai bien noté aussi la critique sur la confusion entre activités gymniques et artistiques, et la mise en danger programmée des secondes. Mais obliger des enseignants à enseigner des pratiques artistiques alors qu’ils ne sont pas formés pour cela ou n’en voient pas l’intérêt n’est pas non plus une solution satisfaisante. Là encore, l’issue n’est certainement pas dans une classification coercitive, mais plutôt dans la formation initiale et continue des enseignants. Si les enseignants se sentent en confiance avec l’artistique et sont imprégnés de son importance, ils l’enseigneront. Encore une fois, il serait bon que l’on passe moins de temps dans les Masters Enseignement à préparer les épreuves du concours, et davantage à former les compétences professionnelles des futurs enseignants.

Vous étiez intervenu dans les colonnes du café en 2009 concernant les derniers programmes du collège et notamment sur la terminologie utilisée. Quand est-il aujourd’hui sur l’évolution de la structure des programmes ou des termes employés ?

Les huit groupements d’activités de la première mouture ont en effet été supprimés. Pour ma part ce n’est pas une mauvaise nouvelle, même si les enseignants souhaitaient comme l’annonce le SNEP ce retour aux « huit familles ». Je dénonce depuis des années le zapping pédagogique auquel les classifications pléthoriques contraignent les enseignants et leurs élèves. Alors toute structuration réduisant le nombre de cases à remplir va plutôt dans le bon sens.

Quant aux « compétences propres », j’ai suffisamment combattu ce terme vide de sens pour ne pas regretter sa disparition. « Champs d’apprentissage » est épistémologiquement plus clair : cette classification désigne en effet davantage des domaines à travailler que des compétences à acquérir.

Enfin personne me semble-t-il n’a encore fustigé la disparition de l’objectif de « développement des ressources », qui perdurait depuis plusieurs décennies en première ligne des finalités de la discipline. On ne voit plus apparaître qu’au détour de quelques paragraphes l’idée de « mobiliser ses ressources ». Alors que le programme de l’écrit 2 du CAPEPS fait encore apparaître cet item, c’est un contre-pied assez savoureux.

Pour finir, je voudrais revenir sur l’introduction du «socialement éduqué, dans le souci du vivre ensemble » dans l’énoncé de la finalité principale de l’EPS. Il s’agit d’une précision qui prend toute sa valeur dans le contexte politique et social du moment. Je sais aussi que c’est une idée qui ne manquera pas d’être banalisée : l’EPS n’est-elle pas déjà naturellement une discipline du « vivre ensemble », par exemple dans la pratique des sports collectifs ? Les programmes précisent opportunément l’importance de l’engagement et de l’implication dans des projets collectifs. C’est en effet un axe de travail qu’il conviendrait de travailler de manière systématique : la construction de la cohésion des groupes au travers de la poursuite prolongée de projets communs, la naissance de l’intérêt mutuel qui émerge de ces expériences essentielles. Et enfin l’acceptation de l’autre et de ses différences, cette indifférence aux différences qui devrait notamment être le principe central d’une laïcité bien comprise.

Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut

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