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Ils sont une cinquantaine à avoir rejoint le collectif « Apprendre ensemble » dans le 18ème arrondissement de Paris. Leur objectif : que leurs enfants gardent à l’école les copains avec qui ils jouent dans le quartier où subsiste une certaine mixité sociale. Reportage à une réunion de rentrée du collectif, samedi 10 octobre.

Les adhérents l’ont appris par mail. Dans certaines écoles du quartier où les directeurs et directrices ont bien voulu, des parents ont découvert des petits mots dans les cahiers des enfants. Les membres du collectif ont aussi beaucoup parlé autour d’eux pour inviter aux deux réunions, l’une sur le collège Maurice Utrillo, l’autre sur Hector Berlioz, ce samedi de 10 heures à midi.

Ces réunions de rentrée devaient se faire plus tard. « Mais on a accéléré, explique Denis Gautreau, co fondateur du collectif en mai dernier, car on a appris que les écoles privées commençaient les pré-inscriptions au collège dès maintenant. Il fallait au plus vite informer les parents sur la réalité des collèges publics qu’ils veulent éviter. Afin qu’ils décident en connaissance de cause et non en fonction de rumeurs. »

La rumeur, ennemie numéro un

C’est la grande ennemie du collectif : la rumeur. Inquiétante, déformée et souvent infondée, elle amplifie le moindre incident, traumatise les parents et fabrique des réputations (mauvaises) durables. On parle des rumeurs qui présentent les collèges en Education prioritaire (les REP) du nord de l’arrondissement, la partie populaire, comme des établissements dangereux, violents, où les profs n’arrivent pas à faire cours, etc. A fuir pour ceux qui en ont les moyens.

Pour informer sur le collège Berlioz, rendez-vous a été donné à la Maison Bleue, un centre social à la Porte Montmartre. Une quinzaine de personnes s’assied en rond dans une salle du premier. Thermos de café, gâteaux pour les enfants … La principale et la nouvelle CPE (conseillère principale d’éducation) sont présentes. Et même parmi les premières arrivées.

« Elle est vivante !»

Plusieurs parents proches du collectif sont venus témoigner qu’au collège Berlioz, leurs enfants se sentent bien et que s’il y a parfois des incidents, ce n’est pas l’enfer. Kascia, une mère qui anime un blog sur l’établissement, est venue avec sa fille, aussi blonde qu’elle, en quatrième à Berlioz. «Et elle est vivante ! », rigole Denis qui anime la réunion. «Je la vois s’épanouir », assure sa mère. Sa fille approuve, souriante .

Une « ancienne », dont les enfants ont fréquenté Berlioz, raconte que son fils est aujourd’hui en prépa et qu’il sera sans doute demain ingénieur. Et cela, en faisant sa scolarité dans le quartier. Preuve que l’on peut réussir sans aller acheter une chambre de bonne aux Abbesses, dans la partie chic du 18ème, afin d’inscrire ses enfants dans un « bon » établissement. Une pratique décriée en début de réunion.

« Je suis une enfant du 18ème »

La principale Linda Cortes et la CPE Juliette Renucci, sont venues pour rassurer. Et il y a du boulot. Des doutes, des inquiétudes traversent la réunion. Sur le niveau scolaire, sur la discipline, sur l’ambiance… Un père avoue : « j’ai un fils turbulent. Le collège est en face de chez moi. On l’a inscrit et on va voir. Sinon, ce sera le privé.»

« Je suis née dans le 18ème, j’y suis allée à l’école, j’ai même fréquenté le collège, mes deux fils aussi y ont grandi. J’entame ma 8ème année comme principale de ce collège. J’adore le quartier et je suis très touchée par votre action», commence la principale.

Elle évoque ensuite « l’équipe de grande qualité» qui ne ménage pas ses efforts, les profs qui prennent en charge des élèves problématiques en dehors de leurs heures. « Mais il y a une question de nombre, poursuit la principale, quand il y a plus de 50% d’élèves en difficultés, aucune équipe ne peut faire de miracle. Il faut de la mixité et inverser la proportion, la ramener à 60% – 40% d’enfants en difficultés.»

« Rassurez-nous »

Un père du collectif insiste : « mais que pouvez-vous faire pour contrecarrer la mauvaise réputation qui colle à votre établissement ? ». Juste avant, il a raconté l’histoire d’une principale qui, après les cours, sillonne les abords du collège et rappelle à l’ordre les élèves qui traînent. « On la surnomme la bac »…

Sans aller jusque là, la CPE, qui arrive d’un établissement d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), expose le solide dispositif qui se met en place. Le collège va bénéficier de deux CPE titulaires. Avant, le second, non titulaire, changeait tous les ans. L’adjoint de la principale est aussi désormais un titulaire.

« On organise des tutorats avec les élèves en difficulté et des assistants d’éducation (les anciens surveillants), poursuit Juliette Renucci, on forme des élèves médiateurs, on surveille de près les absences pour éviter le dérochage. On va envoyer des SMS pour informer les parents, ça marchait à Aubervilliers. »

Les élèves dont personne ne veut

La principale explique la difficulté où elle s’est trouvée. Face au boum démographique, le Rectorat lui a demandé il y a quelques années d’ouvrir une nouvelle classe de 6è, puis une supplémentaire de 5è.

Or comme le collège est peu demandé, il est resté des places. Et on a affecté des élèves en difficulté et ceux que les collèges ne veulent pas et se refilent, exclus et perturbateurs… « Le boum démographique est passé, nous avons moins de classes et cela s’est arrangé», précise la principale.

Mais il en faut plus. Une mère intervient. Elle a regardé le site et a vu que le projet du collège était notamment d’ « apprendre le vivre ensemble », ce qu’elle juge bien peu ambitieux pour un établissement dont les résultats au brevet sont médiocres. «Le vivre ensemble, on apprend ça en maternelle ! », s’exclame-t-elle.

« Vivre ensemble, ça s’apprend »

La principale répond que non, « que la mixité, ça n’est pas acquis mais que cela s’acquiert et qu’il faut commencer par apprendre à se respecter à l’école». Comme des bases qui permettront ensuite d’apprendre.

Khadija, venue avec son petit dernier qu’elle berce dans son landau, a une fille en cinquième à Berlioz. Elle s’inquiète du racisme qu’elle voit pointer partout. « Les gens disent qu’ils ne veulent pas venir car il y a trop de noirs et d’arabes. Mais les arabes et les noirs eux-mêmes sont racistes entre eux. Je connais des maghrébins comme moi, qui cherchent à éviter le collège et à aller dans le privé. »

Au moment de se séparer, tout le monde tombe d’accord pour continuer ces réunions. Les organisateurs auraient souhaité plus de monde. Mais cela s’est décidé au dernier moment. La principale veut poursuivre : « je suis allée dans les écoles, j’ai déjà fait de multiple démarches, mais je ne suis pas fatiguée.»

Séquences ministérielles

A côté de ce travail de persuasion « à la base », le collectif « Apprendre ensemble » veut interpeler les décideurs et les pouvoirs publics. Il a des rendez-vous à la mairie du 18ème, à la Maire de Paris, au Rectorat, etc.

Najat Vallaud-Belkacem a évoqué la possibilité d’expérimenter des secteurs multi collèges – qui permettraient de répartir plus équitablement les élèves de milieux défavorisés et d’éviter ainsi les collèges-ghettos.

Depuis, la ministre est passée à d’autres « séquences » (des sujets dans la langue de la com’) et n’en parle plus guère. Le collectif, lui, n’a pas oublié et rêve que le 18ème tente l’expérience.

Véronique Soulé

Le collectif Apprendre

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