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Comment être plus efficace en SVT ? Le projet de Frédéric Guilleray vise à motiver davantage les élèves et à permettre de gagner du temps en cours. Cet enseignant de SVT au lycée Louis Jouvet de Taverny (95) a présenté sa démarche au 8ème Forum des enseignants innovants. Des capsules vidéos postées sur sa propre chaîne You Tube aux badges numériques gérés sur son site internet, Frédéric Guilleray bouleverse depuis un an sa façon d’enseigner.

Votre projet associe « pédagogie inversée  » et badges numériques. Où est le lien ?

Comme son nom l’indique, ce projet a deux volets. Dans la partie « pédagogie inversée », l’objectif de classe inversée est de libérer du temps en classe pour travailler autrement et être davantage disponible pour intervenir de manière individuelle auprès des élèves. En faisant « moins de cours en cours », les élèves ont plus de temps pour réaliser les activités chacun à son rythme. De plus, cela me permet d’intégrer pendant le temps de la classe un premier temps de mémorisation de la leçon d’une dizaine de minutes par séance, ce qui est indispensable pour ancrer en mémoire de manière plus efficace les notions abordées. De manière concrète, les élèves doivent écrire dans leur cours le titre de la séance et la problématique, visionner une vidéo en ligne, disponible sur ma chaîne Youtube, et répondre à un formulaire (googleForm). Je reçois les réponses, ce qui me permet de commencer le cours par un rappel des notions de la vidéo et éventuellement une remédiation des questions les moins bien comprises.

Les badges numériques, quant à eux, sont inspirés directement des titres et trophées de l’univers des jeux vidéo. Cette ludification du système d’évaluation est déjà utilisée dans certaines universités. Un badge est un dispositif numérique qui se présente sous forme d’icône et qui valide l’acquisition d’aptitudes, de savoir faire ou de compétences. Les badges ont différents niveaux d’acquisition. Pour la plupart de mes badges, il y a 3 niveaux : bronze, argent et or. Dans ce projet, les badges numériques récompensent l’investissement dans la matière et non pas l’acquisition de compétences en SVT. Actuellement, les badges récompensent donc les éléments suivants : responsabilité, régularité, curiosité, recherche, progression, organisation et sérieux.

Enfin, dans ce projet, les élèves se connectent à un site dédié sur lequel ils trouvent le travail hebdomadaire à effectuer (visionner une capsule, répondre à des questions) ainsi que les badges qu’ils ont obtenu et ceux qu’ils peuvent obtenir. Ils ont également accès de manière personnalisée à une courbe de progression de leurs résultats et aux annotations de chacun de leur devoir. Enfin, ils peuvent lire les news écrites par les autres et accéder à divers documents (articles, révisions pour les contrôles, etc.). Dans la partie « prof », on peut également gérer l’attribution des badges et tous les contenus très facilement. Pour l’instant, j’ai investi ce projet avec mes classes de seconde.

Quels avantages voyez-vous à travailler de cette façon avec vos classes ? Quels sont les retours des élèves ?

Comme les notions sont en grande partie abordées avant et que les explications sont réduites en cours, le temps de classe est consacré quasiment exclusivement au travail d’équipe, aux discussions et aux activités d’apprentissage actives. Chacun peut s’approprier le travail à son rythme, et moi je garde un maximum de disponibilité pour eux lors du temps de classe. Les plus rapides, quant à eux, peuvent commencer leur travail de mémorisation. C’est plus satisfaisant pour moi et pour eux. Les retours sont positifs sur le visionnage de vidéo. Certains apprécient car c’est plus ludique qu’un document traditionnel à lire et certains disent aussi qu’ils peuvent mettre pause et le faire à leur rythme ou la revoir. Avec les badges, je vois aussi une nette différence dans l’investissement sur les points qui permettent d’en acquérir. J’ai à tous les cours un nettoyeur de tableau, un distributeur de photocopies ou un ramasseur de papiers. Et je reçois tout le trimestre des nouvelles intéressantes. Donc de ce côté-là aussi, je tire un bilan positif.

Vos capsules vidéos sont très regardées même au-delà de vos classes. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Déjà par l’avantage du réseau car elles sont sur Youtube et donc accessibles facilement pour les autres collègues ou les autres élèves. Elles sont aussi facilement accessibles sur les différents terminaux des élèves (ordinateur, tablette, smartphone). Ensuite certaines des plus regardées sont des capsules de méthode qui intéressent aussi tous les niveaux. Et puis je pense que des capsules vidéo de moins de 5 minutes sont un support de travail qui nécessite peu d’investissement en termes de temps pour l’apprenant mais qui permet d’aborder une notion plus facilement qu’un texte. En effet, en plus des mots présentés, les images, les animations et la voix contribuent à multiplier le codage sensoriel de l’information, ce qui peut aider à la mémorisation et à la restitution.

D’autres collègues vous suivent-ils dans votre démarche ? Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui souhaite faire cette démarche ?

J’ai quelques collègues qui sont séduits par l’aspect visuel des capsules, mais ils n’osent pas encore vraiment se lancer. J’utilise audacity pour faire le son et Moovly pour le montage vidéo. Ce sont des logiciels gratuits. Audacity est très simple d’utilisation. Moovly en revanche demande un peu de temps pour la prise en main mais permet de faire des vidéos vraiment jolies et animées. Je leur dis donc, tout comme à tous ceux qui veulent essayer : lancez-vous et commencez petit. J’ai commencé à faire des vidéos l’année dernière donc j’en avais déjà une dizaine pour cette année. Cette année, j’en fais une par semaine, ce qui représente un rythme de production important mais en année 0 de pédagogie inversée c’est assez classique. Après j’ai choisi de faire tous mes cours de cette manière. Mais pour se lancer, je pense qu’il faut essayer sur une séquence ou même sur un seul cours. Cela permet de se frotter un peu aux outils techniques (les choisir et s’entraîner), à la manière de refaire son cours et de gérer son déroulé avec les élèves. Je pense aussi qu’il est important de persévérer car les élèves ne sont pas habitués à cette façon de travailler. Il ne faudrait pas évaluer son essai sur une seule séance et arrêter si elle ne fonctionne pas parfaitement. Tester ces nouvelles façons d’enseigner demande de la persévérance.

Votre projet a été présenté au forum des enseignants innovants. Quel bilan tirez-vous de ces échanges ?

C’est la deuxième fois que j’ai la chance de défendre un projet au forum des enseignants innovants et je dois avouer que ce moment intense est toujours très riche et ressourçant même. Au forum, le moindre collègue qu’on croise a monté un projet attractif et inventif, la plupart assez impressionnant. Tout le monde discute de ses outils et de ses pratiques. Il y a une véritable effervescence. Du coup on apprend beaucoup, que ce soit dans la découverte de nouveaux outils, de nouvelles idées de partenaires, sur de nouvelles façons de faire ou encore dans le questionnement de notre propre pratique pédagogique. C’est aussi l’occasion de sentir qu’on est nombreux à essayer d’innover. C’est très inspirant et puis cela permet de se tisser un réseau de collègues innovants, voire de participer à leurs projets.

Participer à un tel événement renforce la motivation pour continuer à innover. A ce propos, Philippe Meirieu, qui ouvrait le forum des enseignants innovants 2015 sur le thème « à quoi sert un enseignant innovant ? », a dit : « les enseignants innovants inventent sans cesse et de manière toujours plus approfondie les moyens d’incarner les finalités de l’éducation dans la réalité de l’école ». C’est typiquement ce genre de moment au forum qui (re)donne une légitimité à ce qu’on fait au quotidien dans nos classes et qui (re)gonfle vraiment le moral.

Comment pensez-vous faire évoluer votre projet ? D’autres idées pour la suite ?

J’ai deux évolutions en tête pour ce projet. La première est plutôt technique. En effet, j’ai moi-même réalisé le site que j’utilise, ce qui m’a permis de coder les fonctions que je souhaitais (par exemple, la possibilité d’afficher les responsabilités que les élèves ont réservé sur le site et un bouton pour les valider qui met à jour automatiquement le badge « Responsable » pour chacun d’entre eux). Du coup, j’ai des idées d’amélioration comme par exemple la possibilité de choisir un travail à faire parmi des activités de niveau différent. Ainsi, chacun choisirait ce qu’il a envie de faire comme sujet et comme niveau de difficulté en fonction de ce qui l’intéresse ou de son projet d’orientation. C’est une suite que je souhaite donner à ma classe inversée. J’ai vu un super projet qui mettait déjà cela en application en histoire au forum des enseignants innovants, celui d’Alexandre Balet.

La deuxième évolution concerne les badges numériques. Je voudrais les rendre encore plus ludiques en imaginant plutôt des personnages ou des animaux (et oui, prof de SVT) à faire évoluer grâce à de l’expérience gagnée en classe en s’investissant dans la matière. Disons que le fond resterait le même mais je souhaite rendre la forme encore plus amusante pour les élèves.

Propos recueillis par Julien Cabioch