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Comment rendre les élèves à l’écoute des cours magistraux ? Jean-Jacques Le Quemener, enseignant de sciences-physiques au Lycée Parc de Vilgénis (91) fait appel aux neurosciences. Il ponctue désormais ses cours de questions portant sur les notions clés vues dans le quart d’heure précédent. En utilisant des applications et des QRcodes, l’enregistrement des réponses ne prend que quelques secondes. Comment s’organisent ses séances ? Quels sont les effets sur la mémorisation ? Entretien avec cet enseignant neurobranché.

Quel est votre secret pour rendre les cours de sciences addictifs ?

Evidemment « addictifs » est un point d’humour ! Mais sur le principe cela pourrait être… Car nous nous appuyons sur le système de récompense du cerveau, qui est aussi en jeu dans l’addiction, et qui met en jeu les hormones du plaisir comme l’ocytocine.

Avant de mettre en place ce fonctionnement, votre constat s’appuie sur les neurosciences et le circuit de récompense. Expliquez nous votre diagnostic et l’origine de vos inspirations.

Les élèves actuels, dits de la « génération Y » (ou électronique natives ou internet native) présents au collège et au lycée, sont en grand nombre indifférents ou insensibles aux « besoins de connaissance » dans leurs études, en face à face avec leurs professeurs en classe. Ce constat n’est pas vérifié pour une minorité d’élèves qui baigne dans une culture élitiste.

Ces élèves ne s’intéressent que peu ou pas à la connaissance que leurs aînés (ici leurs enseignants) peuvent leur apporter, car plusieurs points viennent s’y opposer :

– la connaissance leur est accessible depuis qu’ils sont nés, en libre accès sur les chaines de télévision ou le net.

– ils sont présents à l’école et en classe pour le « social » et ce que nous leur apportons ou demandons les interrompent dans leur fonctionnement social (pas de bavardages en cours, pas de téléphones en cours, impossible de « zapper le prof »). C’est souvent difficile de les motiver, quels que soient les efforts de pédagogie que fournissent les enseignants : les apprentissages sont de moindre qualité, l’apprentissage des savoirs et des savoirs-faires scolaires sont réduits.

Quand nous étions élèves, nous attendions de nos enseignants qu’ils nous apportent une ouverture sur la connaissance, sur le monde. Et c’est là notre formatage. Quand nous trouvions cette ouverture sur le monde et cette connaissance nous étions récompensés.

Nous reproduisons ce format (consciemment ou inconsciemment) sur les générations qui nous suivent. Il y a erreur sur « le deal » entre eux et nous : nos élèves ne trouvent plus de telles récompenses dans les processus d’apprentissages.

Les neurosciences (voir les cours de Stanislas Dehaene de neurosciences et pédagogie de 2014-2015 au Collège de France) nous disent que les apprentissages sont d’autant plus bénéfiques, efficaces et facilités (essais sur la mémoire de JL Berthier CANOPE-Versailles) que l’apprenant se trouve récompensé par le processus. C’est même la base de la pédagogie Montessori. Nous avons trouvé un mode de fonctionnement, en classe, en cours, pour alimenter ce « circuit de récompense ».

Les neurosciences insistent sur la nécessité de la concentration pour bien mémoriser. C’est la concentration validons régulièrement, par une procédure de votation de toute la classe. De plus ce sont les points importants du cours qui sont mis en lumière ainsi, ce qui est le premier pas de la mémorisation efficace, faisant passer les notions importantes vues en cours, de la mémoire de travail à la mémoire de stockage ; ce que nous complétons en suite par un processus de renforcement de cette mémorisation.

Concrètement, comment se déroule une de vos séances de cours ?

Nous reconstruisons nos cours pour qu’émerge toutes les 10 ou 15 minutes une des notions essentielles que nous souhaitons voir retenir par nos élèves. Dans les 10 minutes qui suivent la citation à retenir, nous posons une question fermée dont la seule réponse pour un élève qui suit est exactement le point vu en cours, ces 10 dernières minutes.

Quatre propositions de réponses (type QCM) dont la bonne, sont proposées, et les élèves ont quelques secondes pour y répondre grâce à un système de votation, pour nous Plickers. Tous les élèves donnent leur réponse que nous scannons en 20 ou 30 secondes grâce à des QRcodes (codes flashables) que nous leur avons imprimés et distribués en début d’année.

Dans les quelques dernières minutes du cours, nous leur demandons oralement quels étaient les 4, 5 ou 6 point essentiels à retenir. Ils les retrouvent immédiatement et avec un réel plaisir : la mémorisation a commencé.

Vous travaillez avec des outils de votation et des logiciels d’optimisation de la mémorisation ? Quels sont-ils ? Comment les élèves peuvent-ils gérer leurs apprentissages ?

Notre système de votation est le logiciel Plickers, il est gratuit, c’est l’enseignant qui s’en sert, il y prépare ses questions (et réponses) à l’avance. Ce n’est pas l’enseignant qui valide la réponse de l’élève, mais l’élève lui-même. Très peu d’interférences interviennent sur sa réponse car elle est anonyme en apparence. Chaque QRcode est différent et contient 5 informations : le numéro de l’élève, associé à son nom, et réponse A, B, C ou D. Pour flasher les QRcodes l’enseignant utilise son smartphone ou sa tablette reliée à internet. La validation des votes des élèves se fait au fur et à mesure sur le smartphone. L’enseignant sait ainsi qui n’a pas encore été flashé. Quand l’enseignant valide les réponses sur internet la bonne réponse apparait au tableau, au vidéo projecteur, grâce à l’ordinateur qui branché sur internet sur le site de Plickers présente l’histogramme des réponses et la bonne réponse.

C’est là qu’intervient le « circuit de récompense », car seul l’élève sait s’il a bien répondu. Et cela récompense son attention des 10 dernières minutes, comme dans les jeux-vidéos. Cela l’incite à être attentif en cours, par anticipation du plaisir à venir. C’est le début d’un cercle vertueux.

Ces mêmes questions dont la réponse est maintenant stockée en mémoire de stockage de l’élève, peuvent être réutilisées, le soir à la maison, dans le logiciel ANKI (mémoire en japonais).

Ce logiciel gère des cartes d’apprentissage et de mémorisation selon les connaissances que l’on a des courbes de dé-mémorisation qui président à la gestion optimales des connections dans notre cerveau.

Les élèves concerné(e)s sont très heureux de pouvoir réviser leurs cours sur leur portable dans le bus ou en attendant dans le couloir. Ils sont aussi satisfaits de pouvoir échanger leurs fiches de révisions, et très satisfaits de la rapidité d’exécution de ce travail de révision (5 min par chapitre et par matière). Ils apprécient beaucoup la liberté que cela leur donne.

Avez-vous remarqué des différences sur le travail de vos classes ? Des retours d’élèves ?

Nous en sommes au début, le rodage de la bonne utilisation en classe de Anki n’est pas instantané. Malgré cela, l’effet est pratiquement immédiat pour Plickers. Les élèves sont motivés par leur réussite. Ils deviennent plus attentifs en classe.

Pour Anki, les avantages ne s’observent pas immédiatement mais a long terme. Les élèves qui ont fait le pas d’utiliser le logiciel pour réviser et apprendre le cours, trouvent un grand intérêt dans cette méthode. Elle est sans ou presque sans effort, elle permet le partage entre pairs, et réduit les temps morts.

Votre projet a été présenté au forum des enseignants innovants. Quel bilan tirez-vous de ces échanges ?

J’ai beaucoup apprécié de pouvoir échanger avec des collègues très ouverts et demandeurs de nouveaux éclairages. J’y ai vécu une bienveillance très réconfortante, de la part de collègues qui ont une idée du poids de l’investissement que demandent les innovations que tous nous tentons. C’était très réconfortant et très enrichissant par les différents points de vue et les propositions dont les collègues sont eux-mêmes porteurs.

Comment pensez-vous faire évoluer votre projet ? D’autres idées pour la suite ?

Nous allons d’abord créer une banque de questions utilisables en cours et partageables entre collègues. Puis également les mettre à la disposition des élèves pour qu’ils puissent apprendre, mémoriser et réviser aisément (site de partage en ligne au lycée et sur Ankiweb).

Nous avons déjà une structure de cours inversés de sciences physiques pour certaines classes de sections techniques sur Claroline, et le projet de mettre en ligne des exercices d’auto formation (élémentaires types QCM, QCS, …) et d’auto-tests, de façon à permettre aux élèves une plus grande autonomie de gestion de leur travail.

Propos recueillis par Julien Cabioch