Print Friendly, PDF & Email

L’enseignant est-il seul responsable des vies réussies de ses élèves ? Votre instit de CP est-il responsable de votre chômage ? C’est le paradoxe de « l’effet maitre » qu’a tenté d’imposer le colloque  » La cognition du maître  » organisé par le Groupe Compas avec le soutien de l’ENS, de Paris Sorbonne et du CNRS. Pascal Bressoux, Marc Gurgand, Francesco Avvisati ont fait le tour d’une notion qui semble banale mais qui pose de sérieux problèmes : le bon maître…

Cela sert-il à quelque chose d’avoir un bon enseignant ? Poser la question semble parfaitement inutile et nous avons tous en mémoire tel enseignant quia pesé positivement sur notre destin. Mais les enseignants sont-ils les premiers responsables des échecs et des difficultés de l’école ? Peut-on isoler l’apport d’un enseignant dans la réussite d’une classe et évaluer son efficacité ? Là ça se complexifie. C’est pourtant sans complexe ce qu’a essayé de faire le colloque La cognition du maître le 16 décembre à Paris.

Seulement un quart de bons maitres..

Pascal Bressoux , université de Grenoble, tente ainsi d’évaluer la part du niveau de départ, de l’origine sociale dans les acquisitions des écoliers de ce2 à cm2. Il arrive à la conclusion que l’effet classe est important . Dans cet effet classe « tout ne revient pas à l’enseignant », il y a la composition d e la classe, sa taille,  » mais l’enseignant est la pièce majeure de cet écart entre classes ».

Cela lui permet de chercher les critères du bon maitre. Il promeut ainsi un enseignement explicite. Le bon maitre applique une stimulation cognitive avec des questions stimulantes, il gère la classe de façon à privilégier le temps de travail et à favoriser l’engagement des enfants. Il entretient un climat positif avec des feed backs fréquents.

Peut-on alors rechercher l’efficacité de chaque enseignant ? P Bressoux présente le modèle CLASS (Classrom Assesment Scoring System) appliqué aux Etats Unis à grande échelle en se basant sur les résultats des tests. Ce modèle promet d’évaluer en partant des résultats des élèves chaque enseignant. Selon lui seulement un quart des classes a un enseignant qui soutient réellement les élèves. Les autres pénalisent les élèves.

Les bons maitres vous font gagner plus

Marc Gurgand, Ecole d’économie de Paris, se demande ce qu’on peut faire de cet effet maitre. Il cite une étude américaine qui partant des résultats d’un million d’élèves, isole les meilleurs enseignants pour voir ce qu’ils ont apporté à la vie des élèves. Autrement dit, quand on a eu un bon maitre, cela augmente-il le revenu 20 ans plus tard ? Bingo ! L’étude montre que remplacer un mauvais maitre par un bon fait gagner sur une vie jusqu’à 250 000 $ de plus ! Voilà une sacrée incitation à faire le ménage !

Oui mais comment avoir davantage de bons maitres ? Transformer de mauvais maîtres en bons semble plus difficile que diminuer le nombre d’élèves par classe.. Pire les travaux montrent que les bons maitres ne le sont pas toute leur vie. D’autres travaux montrent, selon MGurgand, que les directeurs d’école et les inspecteurs savent détecter les très mauvais ou le strès bons maitres. C’est moins sur entre ces deux extrêmes.

Conclusion : pour Marc Gurgand on ne sait pas assez de quoi sont faits les effets maitres pour les utiliser. Et on sait trop mal comment changer les pratiques des enseignants.

L’effet maitre fruit de l’obsession évaluatrice

Tous ces travaux américains ont beaucoup à voir avec la mise e place du système colossal d’évaluation des établissements mis en place à la suite du No Child Left Behind Act. Ces systèmes ont créé des masses de données qui incitent aux travaux sur la recherche de l’efficacité des enseignants. On sait que les Etats-Unis en sont un peu revenus. Ils ont découvert « l’enseignement pour les tests » et de nombreux cas de fraude. Mais ces travaux ont trouvé un moteur dans la crise financière de 2007-2008 qui, aux Etats-Unis comme ailleurs s’est traduite par une baisse des dépenses d’éducation et par suite de pressions sur les salaires et la carrière des enseignants. C’est dans ce contexte que les travaux américains ont été utilisés, par exemple pour définir une paye au mérite des enseignants.

En mai 2012, l’OCDE avait publié une étude hésitante sur l’efficacité de cette politique. Selon l’Organisation, dans les pays où le salaire des enseignants est particulièrement bas par rapport au PIB local, la performance des élèves est meilleure avec une paye au mérite. Dans les pays où le salaire des enseignants est élevé, la paye au mérite fait baisser les performances des élèves. Mais encore faut-il que la paye au mérite soit reconnue comme juste et équitable par les enseignants. Enfin l’Organisation insiste aussi sur le fait que la revalorisation de la fonction enseignante est liée à autre chose que la paye, par exemple en proposant de vraies carrières aux enseignants.

Cette position embarrassée de l’OCDE s’explique par une caractéristique propre au métier d’enseignant : il est très difficile d’évaluer le mérite d’un enseignant. Comme le remarque Bruno Suchaut, dans un article donné au Café en 2008, « l’efficacité de l’acte pédagogique (est) en partie liée au contexte d’enseignement, c’est-à-dire à la classe et aux élèves qui la composent. Pour le métier d’enseignant, la définition même du concept de mérite ne va pas donc de soi et nécessiterait de mobiliser des indicateurs nombreux pour l’appréhender dans son ensemble ».

Mais comment isoler l’effet maitre ?

Alain Chaptal, auteur d’un ouvrage sur la paye au mérite, a présenté la situation de façon très claire. « Entrez dans une salle des profs, passez suffisamment de temps pour gagner la confiance des enseignants, interrogez-les pour savoir si certains collègues ont plus de charisme que d’autres ou bien si certains d’entre eux ne sont pas à la hauteur. Très vite, les réponses vont converger, le consensus se réaliser entre pairs. Poussez plus loin l’exercice, essayez de faire émerger des critères objectifs susceptibles d’étayer ce jugement collectif. Echec sur toute la ligne. D’autant plus que la variabilité des situations est extrême. Tel enseignant qui réussit bien avec la quasi-totalité de ses classes pourra être confronté à de grandes difficultés avec telle autre ». Si le mérite est insaisissable, l’efficacité de la paye au mérite calcule seulement celle de l’incitation financière et du climat de l’entreprise.

Une réflexion poursuivie par le sociologue Choukri Ben Ayed. Dans un article donné au Café pédagogique en 2012, il montre qu’il est bien difficile d’isoler l’apport d’un enseignant. « Les recherches qui tentent d’appréhender « l’efficacité » propre des enseignants sont confrontées à de redoutables difficultés méthodologiques et procèdent de protocoles scientifiques particulièrement élaborés », écrit-il. « Même dans ces conditions elles parviennent difficilement à isoler un « effet maître » totalement indépendant de la composition des classes ou des caractéristiques de l’environnement scolaire. Les recherches consacrées à l’influence des contextes locaux sur les apprentissages insistent notamment sur les jeux de concurrence entre les établissements et les phénomènes ségrégatifs qui relèvent pour une bonne part des choix effectués en matière de politique éducative. La « performance » éducative est donc co-produite par une multitude d’acteurs et de processus imbriqués.

Efficacité théorique et inégalités sociales

Mais déjà , lors du colloque, le démontage des argumentations proposées a débuté. Helena Pasquinelli relève la faiblesse méthodologique quand on tente d’évaluer le devenir de quelqu’un 20 ans après avoir croisé un « bon maitre ».

Outre ses retombées en terme d’économies budgétaires, la recherche du bon maitre a l’avantage de détourner l’opinion et finalement la recherche des vraies questions de l’école française. La vraie question n’est pas son efficacité théorique mais la réalité des inégalités sociales d’efficacité. Ce n’est pas tant le bon maitre qu’il faut chercher dans le 93 que le maitre tout court, ou le maitre formé. Pour le moment la question n’est pas tant le tri à faire et la hiérarchisation de tous les enseignants qu’apporter une offre éducative égale dans un système où elle est devenue très inégale.

François Jarraud

Sur la paye au mérite

Choukri Ben Ayed

A quoi servent le profs ?