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Mickaël Bertrand, professeur au Lycée Anna Judic de Semur-en-Auxois, dans l’académie de Dijon, propose à ses élèves d’intégrer la communauté Historicophiles qu’il anime sur Internet. Là, se regroupent des lycéens, des parents, quelques collègues et autres curieux qui considèrent que l’histoire et la géographie ne sont pas seulement des disciplines scolaires, mais aussi un formidable support permettant de comprendre le monde, se découvrir et se construire en tant que citoyen, échanger, créer… Mais la #PEPS y est aussi pour beaucoup. Un projet présenté au 8ème Forum des enseignants innovants.

Votre projet s’intitule « Pour une pédagogie participative et sociale » (PEPS). Voilà des adjectifs à justifier…

La #PEPS est le résultat d’une construction progressive depuis quatre ans et qui, je l’espère, va encore évoluée. Au départ, il s’agissait simplement d’un blog de classe permettant à mes élèves de disposer de ressources complémentaires, fiables et gratuites sans avoir à dépenser des sommes astronomiques en cours particuliers ou manuels qui fleurissent dans les librairies et alimentent un contexte concurrentiel important au lycée à l’approche des conseils de classe et examens.

Face au succès rencontré par ce site (plus de 150 visites par jour, pour un total de 113 000 actuellement), j’ai pu observer une évolution dans la relation que mes élèves entretiennent avec le savoir. Nés à l’époque de la démocratisation de l’Internet et familiarisés dès leur plus jeune âge avec les terminaux mobiles (tablettes et smartphone), ils ont probablement compris avant nous que l’école n’avait plus le monopole de la transmission des connaissances.

Nos échanges m’ont conduit à interroger ma pratique professionnelle quotidienne et à considérer que le salut de l’enseignant face au déferlement de ressources en ligne se situe de plus en plus du côté de l’ingénierie pédagogique, c’est-à-dire sur sa capacité à mettre en oeuvre des stratégies d’apprentissage et une scénarisation du cours adaptées à un environnement social défini, à un groupe classe plus ou moins cohérent et à des compétences individuelles diverses.

J’en suis donc rapidement arrivé à m’intéresser à la pratique de la “classe inversée” à une époque où l’on ne l’appelait pas encore ainsi. Concrètement, cela signifie que mes élèves n’ont plus de devoirs ou de travail à la maison, mais uniquement des activités préparatoires qui ont pour objectif de les accompagner dans l’acquisition des connaissances préliminaires d’une séquence ou d’une séance. Les résultats statistiques de ces exercices me permettent dès lors d’adapter à chaque fois mon cours à la classe dans une démarche de co-construction des savoirs. Les élèves prennent en effet rapidement conscience qu’ils ne sont plus seulement des consommateurs de l’école, mais bien des acteurs d’une progression collective indispensable à leur réussite individuelle.

Cette méthode nous permet ensuite d’être beaucoup plus actifs et efficaces en classe en mettant en oeuvre des exercices d’écriture, de réflexion, d’échanges, d’argumentation… c’est-à-dire des activités complexes et chronophages que l’on avait parfois trop tendance à extérioriser sans réaliser qu’elles contribuent énormément aux inégalités scolaires.

Enfin, Historicophiles s’est également doté d’une chaîne YouTube, et de profils Facebook, Twitter et Instagram qui permettant à notre communauté de prolonger les échanges et la réflexion collective, mais aussi de ne jamais laisser un élève seul face à une difficulté lorsqu’il n’est plus en classe.

Dans quel contexte s’inscrit-il?

Mon établissement se situe en milieu rural et rassemble des élèves issus de familles aux profils sociaux très diversifiés. L’un de nos principaux enjeux consiste à favoriser la mixité sociale au sein du lycée, mais aussi à les aider à prendre confiance en eux et à ne pas censurer leurs rêves et leurs ambitions. Beaucoup d’entre eux ont tendance à intérioriser un sentiment d’infériorité car ils étudient dans un établissement géographiquement reculé et relativement délabré.

Quelle a été l’origine de cette mise en oeuvre?

La Pédagogie Participative et Sociale (#PEPS) témoigne évidemment d’une forme d’engagement et de convictions qui constituent le socle de ma réflexion pédagogique théorique. Trois éléments sont plus particulièrement à l’origine de ce projet.

Tout d’abord, la réforme du lycée et des programmes qui s’inscrivent de plus en plus dans ce que Philippe Meirieu a appelé la “pédagogie des préalables”. En Histoire-Géographie, cela se traduit par une construction spiralaire des contenus à enseigner invitant sans cesse à revenir sur les mêmes thèmes en les approfondissant, comme si le cerveau de nos élèves était une sorte de disque dur qu’on pourrait remplir bout à bout. Dans la réalité, en cherchant en permanence à solidifier ce socle de connaissances, on retarde sans cesse la confrontation de nos élèves avec la culture et on leur donne souvent l’impression d’une inlassable répétition infantilisante.

Ensuite, la démocratisation de la production et de la diffusion culturelle, associée au nouveau contexte technologique d’accès et de consommation culturelle, ont à mon sens révolutionné le rapport des nouvelles générations aux savoirs et imposent à l’école de repenser son rôle.

Enfin, la publication chaque année par la DEPP des Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche constitue l’une de mes principales sources de motivation (mais aussi d’indignation) dans un système qui ne parvient plus aujourd’hui à réduire les inégalités sociales. A la rentrée 2014, 72,8% des élèves scolarisés en SEGPA étaient issus de familles défavorisées quand seulement 23,8% d’entre eux parviennent au niveau Première et Terminale générales. Comment imaginer qu’il ne puisse pas s’agir de notre priorité collective en tant que membres de la communauté éducative ?

J’ai également la chance de travailler dans un contexte particulièrement favorable et d’avoir été encouragé et soutenu dans cette voie par mon administration et mon inspection.

Quel rôle jouez-vous concrètement au quotidien? Et vos élèves?

J’attache une importance particulière à l’idée de ne pas être devant ou au-dessus de mes élèves, mais à côté d’eux. Cela passe par de multiples dispositifs qui peuvent sembler anodins mais dont la mise en oeuvre globale aboutit à un système cohérent.

Par exemple, j’ai depuis très longtemps supprimé le bureau de ma salle de classe pour le transformer en une simple table sur laquelle sont disposés mes documents. L’idée étant d’être toujours physiquement au milieu de mes élèves.

Par ailleurs, je laisse le plus souvent possible ma place à mes élèves pour des activités que nous avons fini par appeler “Quand les élèves font cours”. Cela constitue non seulement un moyen de valorisation, mais permet aussi parfois de débloquer des situations d’incompréhension car un élève parvient souvent à mieux anticiper et comprendre les difficultés rencontrées par d’autres.

Mais les espaces d’échanges sur les réseaux sociaux constituent probablement le lieu où les rôle de l’enseignant et des élèves sont les plus souples. Lorsque quelqu’un pose une question, ce n’est en effet pas forcément le prof qui répond le premier, mais d’autres élèves, voire des anciens élèves. Au fil des années, nous constituons ainsi une véritable communauté apprenante dans laquelle l’enseignant se cantonne à un rôle d’animateur favorisant la solidarité et les échanges constructifs.

Quels sont les outils qui vous permettent de répondre à ces objectifs?

Finalement assez peu car j’ai un cahier des charges plutôt exigeant. J’effectue certes une veille permanente afin de découvrir régulièrement de nouveaux outils, mais j’essaie de ne pas tomber dans une forme de fascination pour la nouveauté et je fais assez peu confiance aux industriels qui tentent de nous vanter les mérites de leurs produits. Avant d’inclure un nouvel outil dans ma pratique quotidienne, ce dernier doit répondre à plusieurs critères : offrir une véritable valeur ajoutée pédagogique, être gratuit, ne pas utiliser les données des élèves à des fins commerciales, être simple, intuitif et ergonomique.

Ainsi, Historicophiles est hébergé sur WordPress et dispose d’un prolongement sur les trois principaux réseaux sociaux utilisés par les étudiants (Facebook, Twitter et Instagram). Les vidéos sont hébérgées sur YouTube et les activités préparatoires sont réalisées avec Google Forms qui propose actuellement le retour statistique le plus performant. Les activités d’écriture collaborative en classe se font avec Google Docs, mais nous utilisons également Plikers pour effectuer des sondages en temps réel en classe, Piktochart pour créer des infographies, Thinglink, Powtoon, Prezi…

Enfin, quels bénéfices en tirez-vous ?

La satisfaction de relations constructives et apaisées avec mes élèves. Les plus faibles trouvent toujours un moyen d’être valorisés malgré leurs difficultés et continuent à s’accrocher. Les plus forts ont toujours la possibilité de repousser leurs limites. Globalement, les résultats ont augmenté mais les bénéfices me semblent être avant tout qualitatifs, tant pour les élèves qui se sentent davantage accompagnés, que pour le prof qui se sent davantage utile.

Propos recueillis par Stéphanie Fizailne

Le blog de classe Historicophiles

Le site de la Pédagogie Participative et Sociale