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Langue régionale, langue d’une minorité ou langue majoritaire mais déniée, comment une langue peut-elle devenir langue d’enseignement ? La revue internationale d’éducation de Sèvres interroge les politiques linguistiques en consacrant son nouveau numéro aux langues d’enseignement. C’est se pencher sur les tensions qui agitent les systèmes éducatifs et les sociétés un peu partout. La revue offre un tour du monde qui nous ramène en France où la question des langues d’enseignement se pose aussi.

Comme d’habitude, la revue utilise son exceptionnel réseau de correspondants pour analyser la situation dans 9 pays situés sur 4 continents. Outre la France, sur laquelle on reviendra, la revue interroge la politique linguistique en Algérie, au Burkina Faso, aux Comores, au Paraguay, en Inde, à Singapour, en Espagne et en Estonie. Des cas qui illustrent des rapports différentes entre une langue et sa société.

Devenir une langue d’enseignement est toujours un chemin politique. K.T. Ibrahimi, qui analys ele cas de l’Algérie, le montre de façon très brillante. Après l’indépendance le pays s’est engagé dans une politique d’arabisation forcée. Il s’agissait de lutter contre l’influence coloniale mais aussi de flatter la tradition, liée à la religion. Le français a été petit à petit repoussé du monde scolaire au profit d’un arabe classique qui n’est pas l’arabe dialectal. Un demi siècle plus tard, le système éducatif est en train de s’ouvrir. C’est lié à une certaine ouverture politique à la pression politique de la minorité berbère. Mais aussi à celle des parents aisés qui scolarisent leurs enfants en français.

Au pays basque espagnol, B Muguruza peut montrer le lien étroit entre les équilibres politiques et les choix d’un système éducatif en faveur du basque. En Estonie post soviétique, c’est la place du russe porté par une minorité qui fait problème. Mais la question est en train d’être dépassée : les études supérieures sont majoritairement en anglais… devenu la langue utile depuis l’indépendance du pays. Au Paraguay, en Inde, la langue minoritaire, imposée par l’Etat se heurte à la résistance des parents. Au Paraguay, ils préfèrent que leurs enfants apprennent l’espagnol que le guarani. En Inde les parents favorisent l’anglais à la langue locale.

A coté de la religion, des minorités, du poids de la vie économique, un autre acteur prend une importance croissante dans les politiques linguistiques c’est les organisations internationales. On le sait en France où le conseil de l’Europe a réussi à imposer son cadre d’enseignement des langues. Dans les pays en développement, l’Unesco, la Banque mondiale, qui tendent à favoriser la langue maternelle au primaire, jouent un role important du fait des crédits qu’ils peuvent réunir.

Et la France ? L’article de Gérard Vigner voudrait nous faire croire que le français est bien installé comme langue d’enseignement d’un état centralisé qui a déjà imposé la langue d’oil. En fait la situation est plus complexe. Si l’état tient bien en main les programmes scolaires et l’organisation du système éducatif, le statut du français n’est pas aussi solide qu’il y parait. D’une part sa qualité s’affaiblit chez les élèves.

Cela tient en partie au fait que le français n’arrive pas à évoluer. L’orthographe nouvelle n’arrive pas à s’imposer à l’école entre autre parce que l’orthographe traditionnelle est devenue un marqueur social. Il n’est de voir les efforts déployés par les formations élitistes pour son enseignement. L’écart se creuse avec les français de la rue. Et le blocage orthographique éloigne aussi la France des autres régions du monde où la langue est utilisée.

D’autre part les revendications régionales progressent. Il y a au moins une région où la langue régionale touche la quasi totalité des élèves c’est la Corse. La progression de la langue locale n’est peut être pas terminée alors que les indépendantistes arrivent au pouvoir sur l’ile.

Après ces cas précis on peut distinguer ce qui fait d’une langue une langue d’enseignement. C’est bien sur toujours un acte gouvernemental. « Le choix de la langue d’instruction est un thème politique qui dépasse largement le cadre de l’enseignement », affirment Abdeljallil Akkari et Daniel Coste les coordonnateurs de ce numéro. Mais « les parents sont aussi susceptibles de contourner les orientations politiques nationales ou régionales ». Etre une langue d’enseignement c’est aussi participer des conflits politiques sociaux, identitaires d’un pays.

François Jarraud

Les langues d’enseignement un enjeu politique, Revue internationale d’éducation de Sévres n°70.

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