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L’ENT fait peur. Peur de l’intervention des parents dans l’école pour les enseignants. Modifications irréfléchies dans la gestion des établissements permises par la communication électronique. Anxiété des élèves devant la transparence sur leurs résultats. Faut il avoir peur des ENT ? Comment dominer la situation ?

ENT, the french Touch…

La généralisation des ENT fait de la France un pays bien particulier qui a, dès 2003, décidé d’encadrer l’usage des technologies dans ses établissements scolaires. Plus globalement, le déploiement rapide d’Internet dans la société a amené les responsables politiques à lancer un plan général qui vise à imposer l’accès aux ressources et services informatiques dans les établissements scolaires au travers d’un portail qui regrouperait l’ensemble des possibilités offertes à l’ensemble des membres de la communauté éducative. Cette initiative ne se dément pas depuis 2003 et continue son chemin. Le SDET 6.0 (Schéma directeur des ENT, devrait être publié au printemps). Passons ici sur les différents textes publiés depuis le début de cette initiative pour nous intéresser, maintenant que les ENT sont répandus, à ce que les usagers peuvent en « tirer ». Enseignants, Élèves, Parents, éducateurs, responsables, chefs d’établissement sont directement concernés par ces moyens mis en place, leurs usages et leurs conséquences.

Des résistances…

La question posée dans le titre de notre article semble prendre consistance, partiellement, au travers du « rapport annuel du comité de suivi de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 au parlement » présenté en janvier 2015. On peut y lire le passage suivant : « En effet, si, d’un côté, il est considéré par certains que le numérique fait que l’institution a une relation immédiate avec les parents, avec des relations numériques nombreuses sous forme de mails, d’ENT, etc. il apparaît aussi à d’autres que le numérique est un argument pour les chefs d’établissement pour faire moins de réunions en présentiel, que l’hyper information (en particulier sur les notes via les ENT) puisse être anxiogène et ne représente finalement qu’un aspect réduit de la relation parents-école. » (p.93)

Quelques lignes plus loin il est écrit aussi: « …les raisons de la résistance sensible de certains au numérique dans la relation parents-école. Inversement, dans certaines familles, il est observé une consultation jugée excessive des notes des enfants par les parents grâce aux logiciels le permettant sur les ENT, qui provoque de l’anxiété chez les enfants et se révèle contreproductive. »

Les dangers des ENT

Pour poursuivre dans cette direction, certains collègues enseignants, découvrant ces ENT, ont déjà déploré les dangers liés au déploiement de ce type de solution logicielle. On peut ainsi analyser quelques-unes des questions évoquées, en partie, à partir d’un témoignage anonyme publié en fin 2014 sur Rue89 et intitulé : « Dans l’univers de Pronote, on fait comme si les gens étaient des robots ». La peur des ENT et plus globalement du numérique dans les écoles et dans la société est une question que l’on ne peut négliger, même si de la peur ou la crainte à l’angoisse il y a un écart non négligeable…. Examinons donc quelques une de ces questions posées à partir de ces lectures :

Modification de la place habituelle des acteurs de l’école

Intrusion des parents dans l’espace habituellement réservé

Droit de regard de la hiérarchie sur le travail de chacun dans l’établissement

Redéfinition du métier d’enseignant

ENT et consumérisme scolaire

L’ENT, parce qu’il permet aux familles d’accéder à des informations variées sur ce qui se passe dans l’établissement, ouvre un droit de regard sur un espace qui est considéré comme devant être protégé par et pour certains. Cette crainte liée à ce que Robert Ballion appelle le « consumérisme scolaire » se comprend dans certains cas. Il y a dans tous les établissements des familles intrusives, qui parfois outrepassent certaines limites. Cependant il faut signaler ici que mettre en place un ENT, ce n’est pas imposer une transparence à tous, sur tous les aspects de la scolarité. Ce devrait être, bien au contraire, à l’instar du règlement intérieur, une négociation sur les droits et les devoirs liés à cet ENT : paramétrage des droits de chacun, charte déontologique, etc… Le problème vient souvent du fait que ce paramétrage est fait « par défaut » et qu’il n’est pas réfléchi par les acteurs concernés. Une question se pose, celle du cahier de texte numérique, régi par une circulaire du 6 septembre 2010) qui précise : « Ils favorisent une meilleure communication avec les familles et les partenaires de l’École, notamment en permettant aux parents de suivre le travail et la scolarité de leurs enfants. » Sans pour autant en définir le contour précis, ce passage introduit une modification substantielle par rapport à la circulaire de 1961.

Le droit de regard sur l’activité de chacun au travers de l’ENT est dépendant de ce que chacun y met, et des droits que l’on accorde à chacun. Ce qui fait peur c’est bien sûr que ce consumérisme scolaire ne devienne revendicatif et ne nourrisse une défiance vis-à-vis d’un métier à la reconnaissance désormais fragile. A l’intérieur de l’établissement et plus largement pour la profession enseignante, ce droit de regard donné aux responsables institutionnels n’est pas non plus à négliger. Toutefois, là encore, les limites doivent être posées, non seulement sur un plan déontologique, mais aussi sur un plan réglementaire.

Changement de conception et de regard sur l’élève

Déresponsabilisation des élèves du fait de la mise à disposition de ressources en ligne (cahier de texte par exemple)

Le droit de cacher, espace privatif

Brouillage temps réel, temps de loisir

Protection de la vie privée

L’élève sachant que « tout est sur Internet » se sentirait déchargé de sa responsabilité de prise de note ou d’informations pour le travail à faire. Certains peuvent penser que le cahier de texte numérique pourrait provoquer ce débordement, tandis que d’autres, a contrario, pensent que cela risque de stresser les élèves… Qui croire ? D’autant plus qu’il y a bien longtemps que les élèves ont appris à « réguler » la pression pour peu que les adultes qui les entourent ne soient pas eux-mêmes plus stressants encore.

Pour l’élève, est-il encore possible de passer « inaperçu » ? Les traces des activités sur les ENT pourraient donner envie d’aller voir dans la « vie privée » de l’élève et sur le temps non scolaire. Si en chacun de nous sommeille un « voyeur », nous savons aussi fixer nos limites. Le brouillage des temps est un phénomène plus général de l’évolution des modes de travail actuels. Les ENT fournissent un contexte, un environnement, qu’il revient à l’équipe éducative d’encadrer. La protection de la vie privée fait aussi partie de l’éducation, mais ici incarnée et mise en oeuvre concrètement.

Pour l’enseignant aussi ces questions se posent et méritent réflexion. Pour soi, pour les autres, l’usage d’un ENT devrait être ce que chacun souhaite en faire, en responsabilité et en connaissance de cause.

Évolution de l’école et de ses métiers

Technicisation du métier d’enseignant

Une école zéro dysfonctionnement

Surveillance informatique

Transparence de l’école

ENT , objet magique ?

Le numérique a envahi le quotidien de chacun de nous. La technicisation de nos vies quotidiennes a d’abord commencé par celles de nos vies professionnelles, sauf dans des métiers comme l’enseignement qui sont essentiellement humains. L’arrivée de ces technologies peut faire penser à un « décalque » de modèles de l’entreprise ou des organisations professionnelles dans le monde scolaire (cf notre article de 2004 sur les ENT dans le café pédagogique). Ce choc est réel et les interrogations sont importantes. Comme pour toute technologie nouvelle la vigilance s’impose. Cependant l’évolution de nos sociétés s’appuie aussi sur la formation initiale de la population, en particulier scolaire, et il est nécessaire d’y interroger les pratiques sociales, voir d’en préconiser certaines. L’école est un « monde à part » qui a bénéficié d’une sorte de droit, à discrétion, et d’autorité (issue du XIXè siècle). Ce « sanctuaire », comme le revendiquent certains, a justifié une opacité qui a généré des suspicions dans la société et la discréditation des métiers de l’éducation en est un indicateur et une conséquence. Aller vers la transparence relève du mythe, de l’illusion, mais est un argument médiatique fort. Associer ce thème à l’ENT est un argument fort, alors que justement les ENT visent à permettre le contrôle de cette transparence. L’imaginaire est rempli de questions fondées sur des éléments bien réels mais trop peu approfondis, c’est la raison de ce propos.

Les inquiétudes liées au numérique sont celles que l’on retrouve à l’échelle de la société et qui pourtant sont pensées depuis assez longtemps (cf. la loi de 1978 – actualisée – sur la protection des données personnelles citée ci-dessous). Il faut entendre les craintes, les peurs et sortir d’une naïveté que les pratiques quotidiennes du numérique peuvent induire. « Je redoute Google, mais j’ai une adresse Gmail et utilise un drive, etc. » Autrement dit nous sommes dans un paradoxe qui associe un usage souvent irréfléchi (quoi qu’on en dise) et des craintes énoncées mais peu analysées. Et ces craintes s’appliquent davantage aux ENT qu’aux autres pratiques du quotidien et individuelles.

Ce qui se produit actuellement renvoie chaque individu, mais aussi chaque communauté, en particulier éducative, à sa responsabilité. Si jusqu’à présent on attendait que le cadre, la charte, voire la loi, viennent d’en haut (ils encadrent) nous sommes entrés dans une ère dans laquelle il nous faut aussi impérativement construire les règles et les codes d’usage à l’intérieur des lois existantes. Si nous nous abandonnons aux seules possibilités offertes par la technique, et ses promoteurs, sans réfléchir à nos forme « d’être avec » alors nous sommes condamnés et soumis. Si par contre nous faisons de ces questions l’occasion de construire une véritable réflexion sur le « faire société » alors il y a une porte de sortie.

L’ENT n’est ni un objet magique ni un objet diabolique, il a des possibilités, il faut les connaître, il a des limites, des contraintes il faut les identifier. La responsabilité éducative est d’abord de définir les « modes d’usage », les « arts de faire » pour les éducateurs, les élèves, la communauté éducative. Les paramétrages des logiciels et leur utilisation sont de bons indicateurs de la maturité des équipes à s’emparer des questions, à définir des modes d’actions et à les imposer aux dispositifs techniques proposés (parfois imposés par des acteurs intermédiaires) que sont les ENT…C’est à ce prix que l’on construira une éducation à la liberté. Alors, encore peur des ENT ?

Bruno Devauchelle

Toutes les chroniques de B Devauchelle

L’article cité est disponible ici :
http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/23/lunivers-pronote-fait-comme-si-les-gens-etaient-robots-256715

Un autre article était publié aussi en 2010 sur le site de skholé et proposait aussi une analyse critique des ENT :
http://skhole.fr/construire-l-%C3%A9cole-transparente-par-philippe-danino-et-christian-laval

Pour mémoire on rappellera que la loi de 1978 est toujours en vigueur et qu’elle demanderait à être réinterrogée…

Loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée mise à jour le 02/08/2015 :

http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/textes/CNIL-78-17_definitive-annotee.pdf