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C’est le motif qui devrait faire défiler le plus d’enseignants le 26 janvier. Les syndicats enseignants, comme ceux des autres secteurs de la Fonction publique, appellent à la grève pour demander une revalorisation salariale. Si la question semble commune avec les autres fonctionnaires, eux aussi en grève, en réalité la situation est nettement plus détériorée à l’éducation nationale que dans les autres ministères. Alors que l’éducation nationale voit son budget sans cesse augmenter, la revalorisation est devenue le premier point de blocage entre les enseignants et leur ministre. Comment l’expliquer ?

Les enseignants sont-ils mal payés ? Autant partir des études officielles pour le savoir. En octobre 2015, la Depp, division des études du ministère, a publié une Note sur les salaires enseignants.

Un salaire qui n’évolue pas comme celui des autres fonctionnaires

Comme les autres fonctionnaires, les enseignants voient le « point fonction public » , c’ets à dire la valeur de l’indice salarial, bloqué depuis 2010 alors que l’inflation et les charges continuent à augmenter. En clair le pouvoir d’achat se réduit et, en plus, le bulletin de paye baisse en net. Des enseignants nous ont déjà confié qu’ils n’avaient même plus envie de le lire tellement l’exercice est décourageant. Ainsi le salaire net d’un professeur des écoles débutant est passé de 1649 € en 2013 à 1634 en 2015. La prochaine baisse du salaire net est attendu… le 27 janvier 2016.

Mais comment évolue le salaire enseignant par rapport à celui des autres fonctionnaires ? Les autres fonctionnaires sont-il aussi touchés par le gel du point Fonction publique ? Une étude Insee publiée en août montre que ce n’est pas le cas. Les salaires des fonctionnaires ont globalement diminué de 0,7% en 2013. Mais chez les enseignants la baisse a été trois fois plus rapide : -0,4 pour les non enseignants, – 1,1% pour les enseignants. Cela en euros constants. Les enseignants sont donc bien, dans leur ministère et dans la fonction publique, les champions de la baisse. L’écart s’explique par le fait que dans les autres ministères, le gel du point FP a été partiellement compensée par des primes, ce qui n’est pas le cas à l’Education nationale. Une seule lueur positive : en 2012 les salaires enseignants avaient diminué 15 fois plus vite que ceux des autres fonctionnaires

Un salaire inférieur à celui des autres pays

Comment cela se passe-t-il ailleurs ? Exprimé en euros, 14 pays européens versent un salaire de débutant supérieur au salaire français. Alors que le salaire moyen annuel du professeur des écoles est de 24 724 €, on, est à 42 891 en Allemagne, 25123 en Angleterre; 27 754 en Espagne, 30 335 en Belgique, 32 225 aux Pays Bas, 48 360 en Norvège, 31 699 en Finlande, selon Eurostat. Il atteint même 70 450 € au Luxembourg. Exprimé par rapport au PIB national ce n’est pas mieux. Le salaire du professeur des écoles français débutant représente 79% du PIB national. Or chez la plupart de nos voisins, il est supérieur au PIB. C’est le cas en Allemagne (126%), en Angleterre (100%), en Espagne (124%) ou au Portugal (138%).

Est-ce du au fait que les enseignants français travaillent moins que les autres ? C’est un argument que l’on entend à droite où on promet d’augmenter les enseignants en les faisant travailler plus pour en diminuer leur nombre. L’argument ne vaut pas si l’on s’en tient aux heures effectuées devant élèves. En France, les enseignants du primaire sont, en moyenne et par an, 924 heures devant les élèves, soit 142 heures de plus que la moyenne de l’OCDE, qui s’établit à 782 heures ». La France est d’ailleurs aussi mal placée dans le nombre d’élèves par classe au primaire : 22.8 élèves en France contre 21.4 dans l’OCDE. Le Royaume Uni et le Japon sont les seuls grands pays développés à avoir davantage d’élèves par classe que la France. Dans la majorité des pays européens on en compte 17 à 19.

Comment augmenter la dépense d’éducation sans augmenter les enseignants ?

C’est peut-être la coupe qui fait déborder le vase pour les enseignants. Ils ne cessent de voir leur employeur engager de nouvelles dépenses… mais pas pour eux. Ils ont vu les cadres de l’Education nationale obtenir une revalorisation. L’épisode des 10 000 euros versés aux recteurs il y a un an n’a pas été oublié. Très récemment c’était une catégorie d’inspecteurs qui obtenait un nouveau grade de fin de carrière repoussant plus loi leur échelle indiciaire.

Ensuite il y a les milliards déversés autour d’eux. Il ont vu l’Etat donner un milliard aux collectivités pour les activités périscolaires. Un autre milliard est annoncé pour le plan numérique. Et très récemment c’est un troisième milliard que F Hollande a promis pour le service civique, dont on voit bien qu’il a une finalité éducative. Le pays dépense de plus en plus en éducation mais souvent pour des dépenses éloignées de l’enseignement. Allez comprendre !

Il y a pourtant intérêt à augmenter les salaires des enseignants

Augmenter le salaire des enseignants a-t-il un effet sur les résultats scolaires ? Pour l’OCDE, augmenter le salaire des professeurs est un levier d’amélioration des systèmes éducatifs dans les pays riches. Elle a montré qu’il y a bien, chez les pays riches (plus de 20 000 $ de PIB) une tendance entre l’importance du salaire enseignant et le niveau de performance des élèves. La France où le salaire, relativement au PIB du pays, est plus faible que celui des enseignants coréens ou canadiens, performe moins bien qu’eux. La tendance est nette.


L’OCDE arrive à expliquer cette situation. Pour elle, avoir des salaires élevés permet d’attirer vers les métiers de l’enseignement les meilleurs étudiants. Quand les salaires sont faibles, on se retrouve en manque d’enseignants ou avec des candidats médiocres qu’il faut bien accepter pour remplir les places. Et finalement la société paye la note….

Quelles perspectives ?

Apparemment la ministre est convaincue de la nécessité d’augmenter les enseignants. « Ce qui nous distingue de l’opposition », a dit N Vallaud Belkacem le 20 octobre à l’Assemblée, « c’est que j’estime qu’il faut augmenter les enseignants mais que ça ne peut pas se faire avec un budget contraint… Il faut se donner les moyens budgétaires d’assumer la hausse de la rémunération des enseignants ». La ministre a confirmé l’augmentation de l’ISAE, une prime versée aux enseignants du primaire, en 2016 mais sans en dévoiler le montant. Début février vont s’ouvrir les négociations sur l’accord sur la « modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations» (PPCR). Il prévoit d’intégrer dans le salaire une partie des primes ce qui serait particulièrement intéressant pour les enseignants. Pour les catégories A (celles des enseignants), cela voudrait dire passer de l’indice 365 à l’indice 390 en début de carrière et de 783 à 821 en fin de carrière mais pas avant 2020… Le ministère ouvrirait aussi un nouveau grade , le GRAF allant de l’indice 655 à 963, où l’entrée correspondrait à un gain de 29 points. C’est aussi en prévision de ces négociations que les enseignants font grève.

François Jarraud

Note Depp

Note Insee

En 2012

Pourquoi préserver salaire des enseignants ?

Les profs champions

Les syndicats du primaire ont-ils raison ?