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Les élèves de Seine-Saint-Denis sont (parfois) vernis. Au collège et au lycée, ils bénéficient de nombreux dispositifs. A Bondy par exemple, la 5è C du collège Pierre Curie accueille toute l’année un archéologue en résidence. Et va de découverte en découverte.

– « Moi j’ai trouvé une dent ! », lance, triomphale, une collégienne, brandissant un minuscule objet couvert de terre.

– « Et moi un os ! », renchérit à côté sa copine, sortant du sol un petite forme sombre.

– « Il s’agit plutôt d’un morceau de tuile…, » rectifie l’accompagnateur de l’INRAP (l’Institut national de recherches archéologiques préventives). Il rappelle qu’il va falloir nettoyer les pièces, puis les étudier soigneusement avant de les identifier avec certitude. Les archéologues en herbe reprennent leurs fouilles.

– « Il faut ramener la terre vers soi, dans ce sens », enchaîne l’accompagnateur en mimant le geste avec la truelle.

Ce mardi 3 novembre 2015, la 5è C du collège Pierre Curie de Bondy faisait une séance de fouilles en plein centre-ville. Il est rare que des élèves aient ainsi accès à un vrai chantier. L’INRAP, qui en est chargé, l’a presque terminé. Ses spécialistes repasseront derrière les collégiens et d’ici deux à trois semaines, ils fermeront le chantier. Les travaux pour construire une route pourront alors commencer.

Les filles fouillent d’un côté, les garçons de l’autre

Pour les collégiens, c’est le début d’une aventure inédite qu’ils vont mener avec Cyrille Le Forestier. Cet archéologue de l’INRAP est en résidence toute l’année à Pierre Curie dans le cadre du dispositif (1) In Situ du conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

Les élèves ont été répartis par petits groupes sur 5 emplacements du chantier. Outre les spécialistes de l’INRAP, le prof de maths du collège et sa collègue de latin les accompagnent.

Les filles se sont mises ensemble pour fouiller, les garçons aussi. Il sont cinq à creuser dans un coin. Pour l’instant, la moisson est maigre. Un peu déçus, ils continuent de gratter le sol, pas mécontents d’avoir les mains dans la terre, loin, très loin de la salle de classe. A cette heure-là, habituellement, ils ont maths.

Une ancienne nécropole gallo-romaine

Les filles ont plus de chances. Ou peut-être est-ce l’emplacement où elles fouillent. Le chantier, qui a déjà été largement travaillé par les archéologues de l’INRAP, recouvre une ancienne nécropole gallo romaine ainsi que des vestiges d’habitations de villages carolingiens et mérovingiens.

Les collégiennes ramassent des bouts de céramiques, de tuiles, d’objets métalliques, des clous de cercueil… Cyrille Le Forestier passe de groupe en groupe, s’agenouille pour aider à gratter sans brusquerie ou à bien tenir les instruments.

Ecrivains, vidéastes, botaniste…

Dans le cadre d’In Situ, dix collèges accueillent en résidence des artistes au sens large, qui ouvrent de nouveaux horizons aux élèves – écrivains, musiciens, plasticiens, vidéastes, comédiens, photographes, mais aussi un archéologue à Bondy ou encore une artiste botaniste à Montreuil. L’idée est d’apporter un plus à des collégiens en majorité issus de milieux défavorisés, vivant souvent dans des quartiers enclavés.

Le choix des artistes est de qualité. L’écrivaine Maylis de Kérangal a fait, par exemple, une résidence In Situ. Comme la chanteuse Barbara Carlotti ou encore le danseur Thierry Thieu Niang (2).

Les artistes en résidence suivent une classe avec qui ils mènent un projet. Ils viennent régulièrement au collège et travaillent avec au moins un professeur, et si possible avec plusieurs, l’idée étant que leur présence irrigue tout l’établissement. Ils proposent aussi des sorties et mènent en parallèle un projet personnel, souvent une création.

Les squelettes ne font plus peur

Depuis la séance de fouilles, Cyrille Le Forestier a bien avancé avec la 5è C, une classe dynamique de latinistes. Les élèves ont nettoyé tout « le mobilier » collecté – bouts de céramiques, d’os humain et animal … – dans une bassine avec une brosse à dents. Puis sur une fiche Excel, ils ont recensé les objets, indiqué leur nombre, leur poids…

« J’alterne des petits cours théoriques avec les séquences de manipulation », souligne Cyrille Le Forestier. Il a ainsi expliqué en quoi les objets ramassés racontaient un mode de vie à une époque. « J’ai expliqué que l’on ne ramassait pas les céramiques pour les ramasser mais pour aider à dater les vestiges car elles évoluent tous les demi siècles, comme les canettes de coca ou les téléphones portables qui évoluent sans cesse. »

Lors d’une toute première séance, les élèves avaient poussé des hauts cris lorsque l’archéologue leur avait montré sur une vidéo un squelette reconstitué. « Ils ont passé le cap, se félicite-t-il. Je leur ai apporté l’autre jour un sac contenant les os humains retrouvés dans une grande sépulture. Ils les ont identifiés tout naturellement. Ils savent désormais qu’ils travaillent sur des vestiges archéologiques. » La prochaine fois, Cyrille Le Forestier les fera identifier le sexe d’un défunt à partir des os du bassin.

Un cahier de fouilles et une conférence

L’archéologue collabore avec pratiquement tous les profs de la classe, qui lui donnent des heures. L’enseignant de maths est venu expliquer le fichier Excel. Son collègue de SVT a participé à la séance sur l’identification des os, etc.

Le grand cahier de fouilles A 3 commence à s’étoffer avec des tableaux, des photos, des compte rendus… A la fin de l’année, les collégiens donneront une conférence à la mairie de Bondy – le 18 juin à 18 heures.

Cyrille Le Forestier a suggéré à la mairie d’exposer des photos des fouilles dans les rues, « pour que les habitants les voient en allant au travail ». « C’est sur leur territoire, cela doit faire partie de leur quotidien d’autant que la Seine-Saint-Denis et particulièrement Bondy sont très riches en vestiges », estime l’archéologue qui veut démocratiser sa discipline.

Avec sa 5è C, Cyrille Le Forestier pense qu’il touche au but: « que les collégiens s’approprient l’archéologie, que cela devienne naturel pour eux de côtoyer des fouilles ».

Véronique Soulé

Les précédentes chroniques

(1) http://www.seine-saint-denis.fr/In-Situ-artistes-en-residence-dans-les-colleges

(2) http://www.liberation.fr/societe/2013/05/03/une-integration-tout-en-danseur_900715