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Et si pour jouer et gagner il fallait être altruiste ? C4est un des sujets évoqués dans l’atelier « je joue donc je pense » organisé lors des rencontres maternelle du GFEN le 30 janvier. UN autre atelier s’intéresse au dessin, une activité formatrice en maternelle.

Le dessin d’observation est-il un objet d’enseignement approprié à l’école maternelle ?

Jacqueline Bonnard est convaincue qu’il faut inscrire les enfants dans « l’histoire des savoirs » , pas seulement en manipulant les objets, mais aussi en les analysant, en les décortiquant, autant en sciences qu’en arts. Le « dessin d’observation » lui semble utile pour apprendre à tous les enfants, comme le demandent les programmes, à entrer dans une posture « scolaire », en prenant des objets du quotidien pour en faire des objets d’étude, passer d’un apprentissage empirique à un apprentissage structuré. Pourtant, le « dessin d’observation » ne figure pas explicitement dans les recommandations des programmes.

Damin Sage, enseignant en maternelle à Paris, avait horreur de la technologie quand il était élève, mais ses rencontres professionnelles l’ont engagé vers de nouvelles conceptions. En s’interrogeant sur le sens du mot « observer », comme J. Bonnard le demande aux participants de l’atelier, il a compris que c’est à la fois décrire, percevoir, dégager des propriétés, sélectionner à partir de ses connaissance sur l’objet, à partir d’un point de vue, d’une intention, d’une grille de lecture enrichie par l’enseignant dans le cadre scolaire, ou par la famille dans le cadre privé. Observer n’est pas donc pas explorer ni découvrir. L’observation est donc une méthode et un processus volontaire qui va déplacer la connaissance « familière » acquise en contexte. On regarde l’objet différemment quand on en fait un objet d’étude : on le met à distance, et on le dessinera différemment selon les connaissances dont on dispose, qui permettent d’élaguer dans les perceptions, de symboliser, de généraliser.

Peut-on apprendre à observer ? Évidemment en apprenant à observer, à reconnaître par comparaison, faire des inférences sur la catégorie, déduire, infirmer ou confirmer. Damien demande à ses élèves de moyenne section de dessiner un des objets d’une collection, et demande ensuite à d’autres enfants de venir dire quel est l’objet dessiné par l’autre, en justifiant sa réponse par explicitation orale à l’enseignant : « Je fais des photos pour garder des traces et communiquer avec les parents, mais c’est le passage par le langagier qui amène l’enfant à expliciter ses critères de choix » Pas la peine de vouloir ensuite tirer trop vite des règles ou des codages sur les bonnes manières de faire ». Il précise sa difficulté dans les activités de « graphisme » dans une perspective selon lui trop ritualisée, alors qu’il observe des compétences remarquables de certains élèves « en difficulté en graphisme » lorsqu’ils se retrouvent avec le défi de leur dessin d’observation. Il fait le lien avec le travail de Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, qui invite à mettre en place des situations de « dictées graphiques à l’adulte » pour développer les habiletés motrices des élèves en passant par les explicitations langagières.

J. Bonnard insiste également sur l’importance qu’elle accorde à la confrontation des points de vue lors des séances d’observation, qui vont permettre à l’enfant de compléter son dessin, dans une activité réitérée modifiée par l’échange.

Mais alors, fait-on appel aux même compétences dans le dessin d’art ou le dessin d’observation ? « Le passage de la 3D à la 2D, le respect des proportions, c’est évidemment difficile, et l’humanité a mis longtemps à y parvenir » explique J. Bonnard. Il en est de même pour l’enfant qui peut avoir des difficultés à ne pas tout représenter, ou à organiser les éléments les uns par rapport aux autres. Remarquer les détails, nommer les éléments d’un ensemble, garder des traces d’activité, formuler des verbes associés va être une expérience langagière très riche pour les élèves et la classe. Le dessin n’est donc pas la finalité, ni même le support à évaluer… « Ce sont des moments où ça argumente dans tous les sens, très foisonnants dans ma classe » précise Damien. « J’ai moi-même été bluffée », précise J. Bonnard, qui ne pensait pas que des élèves si jeunes puissent avoir ce genre de compétences. J’ai été estomaquée de voir des productions qui pouvaient être meilleures que certaines productions que j’ai vues en collège. Et pourtant le matériel qui est vendu propose souvent des « fioritures pour faire joli » qui éloignent de la « vraie vie » et rendent plus difficile le passage à la démarche d’investigation.

« Ce n’est pas une preuve que les compétences technologiques sont acquises, dans le cas du travail de représentation des engrenages, explique l’enseignant. Mais ce que j’ai observé, c’est que les discussions sur les dessins d’autrui finissent par attirer leur attention sur le fait que les roues soient engrenées, et cela passe à la fois par les dessins, les allers-et-retours, les discussions, les mimiques, tout ce tissage d’informations qui crée un milieu propice à l’apprentissage… »

Atelier : « Je joue donc je pense » Des cartes (à jouer évidemment)

Les deux animateurs de l’atelier, Michel Baraël et Françoise Toanen proposent de réfléchir à l’activité mentale des enfants à partir de deux jeux : les tours (situation issue du manuel vers les maths GS, ed. ACCESS,) et un jeu coopératif « Oudordodo » (Djeco) variante à plusieurs du célèbre « Qui est-ce ? » En préambule on précise ici que l’on détourne consciemment le jeu, instrumenté à des fins scolaires, ce qui nous intéresse c’est l’activité mentale des élèves.

« Vous devez construire 3 cubes. Il y a 3 sortes de cubes : des rouges, des bleus, des verts. Caque tour doit être construite avec des cubes de couleurs différentes. Combien pouvez-vous construire de tours différentes ? ».

De la même manière que les enfants qui ont eu à le résoudre, le problème des tours est soumis aux participants de l’atelier (et l’on voit que même adulte, les procédures logiques sont loin d’être acquises) avec la consigne de réfléchir aux opérations mentales nécessaires à accomplir pour réaliser la tâche. Nous sommes adultes, les animateurs nous demandent de faire et de nous regarder faire pour bien identifier ce qui va poser obstacle.

Comme en classe, au cours de l’atelier, sont vécus en alternance la réflexion en situation et la projection de séquences vidéos où l’on voit les élèves de Françoise Toanen s’essayer à la résolution de cette situation complexe. Dans l’assistance on prend conscience qu’on avait éludé une partie du cheminement de l’enfant : la consigne est complexe, les enfants commencent par la contourner en fonction de leurs propres besoins ou désirs (construire une grande tour, construire une pyramide). Petit à petit à force de patience et d’alternance de moments de recherche individuelle et de rassemblement par petits groupes pour confronter les procédures, les élèves s’engagent dans la recherche en prenant en compte toutes les composantes de la consigne. On pointe du doigt la précision de l’enseignante qui guide, explicite tout en ne faisant jamais à la place des enfants, tenir cette posture d’équilibriste c’est tout l’enjeu.

La discussion est féconde, on se questionne sur comment procéder pour que l’intérêt pour l’activité ne retombe jamais même s’il y a de multiples essais, allers-retours entre activité individuelle et réflexion collective, on évoque l’opportunité d’introduire une consigne intermédiaire, on montre qu’il faut expérimenter, épuiser toutes les solutions pour construire la certitude qu’on a bien résolu le problème. Si c’est le collectif qui permet d’apprendre, la maîtresse reste le centre du motif : c’est elle qui met sous le regard du groupe les procédures de chacun et permet que les enfants comparent, raisonnent.

Avec le jeu Oudordodo, présenté comme deuxième activité où les enfants apprennent à raisonner par déduction, il faut poser les questions qui permettront d’évincer le plus de cartes possibles (au critère commun). Avant de pouvoir jouer un travail préalable de catégorisation avec les élèves est indispensable.

Même si parfois le hasard permet de gagner, l’enjeu d’apprentissage sera de cibler ses questions pour la plus grande efficacité. C’est un travail exigeant, où l’on peut aussi aborder les caractéristiques de la négation (si je réponds oui, il faut enlever les cartes en inversant le critère).

Comme le jeu est coopératif il faut par ailleurs, que les enfants aient développé un sentiment altruiste et qu’ils acceptent que la progression de leurs réponses puisse faire gagner un autre enfant.

Lucie Gillet