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L’école inclusive va-t-elle vraiment de soi ? Que se passe-t-il quand le handicap parait à l’école maternelle ? Dans cette école les enseignants doivent déjà s’accommoder de la présence d’un tiers dans leur classe : l’Atsem. Que se passe-t-il quand un troisième adulte entre dans le jeu : l’AVS ? Et quand finalement les parents des enfants handicapés portent eux aussi leurs exigences particulières et souvent sont confrontés au handicap de leur enfant ? Le numéro 57 de la revue Spirale, entièrement consacré à la politique inclusive en maternelle, analyse en détail les défis posés à l’école et aux enseignants par une une nouvelle politique qui ne va pas de soi.

Déstabiliser l’enseignant

« Pour l’enseignant, la particularité d’une affectation dans une clase du cycle 1 réside dans la nécessaire coopération avec un autre adulte », écrit Philippe Martin-Noureux (université Lyon Lumière 2). « Lorsque la scolarisation d’u enfant en situation de handicap implique une compensation, une 3_me personne pénètre l’espace de la classe , l’accompagnant (AESH)… En quoi le handicap vient-il interroger l’enseignant dans sa pratique professionnelle et dans sa relation avec l’Atsem ? ». Philippe Martin-Noureux a consacré sa thèse de doctorat à cette question et il en donne des éléments dans le numéro 56 de la revue Spirale.

Selon Philippe Martin-Noureux, le premier effet de l’inclusion c’est de déstabiliser l’enseignant du fait des stéréotypes sur le handicap. « La plupart des enseignants utilisent une terminologie fortement chargée d’affects renvoyant au champ sémantique de la peur », note-il. « J’appréhendais vraiment », déclare une enseignante. C’est surtout le handicap mental qui effraie, les enseignants opposant handicap psychique et physique, selon un stéréotype assez classique.

Pour Philippe Martin-Noureux, cette peur est liée à l’obsession du contrôle. « S’il me met en échec, je risque de perdre le contrôle sur la gestion de la classe », témoigne une enseignante, « en moyenne section ça va très vite ».

Quelle place pour l’AVS ?

Philippe Martin-Noureux relève aussi l’effet sur la relation maitre – atsem. « Il y a là une ambiguité. D’une part la présence de l’AVS est perçue « comme une amélioration possible des conditions de travail », d’autre part avec lui « c’est plus compliqué de travailler ». Philippe Martin-Noureux note ce témoignage : « avec l’atsem j’ai l’habitude, elle sait ce que j’attends d’elle, elle connait les enfants ce qui n’est pas le cas de l’AESH ». C’est la question de la place de l’Aesh qui se pose : que peut-on lui demander. Les aesh témoignent eux d’un ressenti d’exclusion.

Un autre article, de Diane Bedoin et Martine Janner Raimonde, détaille l’intégration de l’aesh dans des classes de maternelle. Elle relève l’ambiguité de son rôle : « même si l’enseignante considère l’AVS comme peu formé, il doit quand même faire preuve d’expertise pour créer les conditions de l’aide. Les AVS sont vus comme peu formés, c’est pourtant à eux que sont confiées le taches expertes de devoir s’adapter aux besoins spécifiques du jeune enfant ».

Pour Philippe Martin-Noureux, l’école inclusive oblige les enseignants à relever un nouveau défi : celui de la construction de la coopération. C’est une situation nouvelle pour les enseignants formés à un métier qui s’exerce solitairement. Diane Bedoin et Martine Janner Raimonde soulignent la nécessité de faire preuve de tact et de souplesse pour permettre cette adaptation.

Ecole inclusive et injonctions contradictoires

Un dernier type d’intervenant vient forcer la porte de la classe inclusive : les parents des enfants handicapés. Laurence Thouronde (Université de Rouen) détaille les interactions qui se nouent à ce moment là. Car les parents de ces enfants ne sont pas des parents ordinaires. Pour eux, c’ets souvent l’école maternelle qui annonce le handicap. Dans tous les cas c’est là qu’ils mesurent la différence avec les autres enfants.

En même temps, explique-t-elle, l’école inclusive prend à rebours les objectifs mêmes de l’école. « La contradiction dans laquelle l’école maternelle française se trouve prise quant aux objectifs qu’ele poursuit nous semble s’être accentuée depuis la loi de 2005 », écrit-elle. « D’un coté le droit à la scolarisation pour tous suppose des adaptations du milieu; de l’autre les évaluations systématiques, les injonctions officielles d’arriver à 100% de lecteurs en fin de CP ont contribué à resserrer la norme ». L’enseignant se trouve pris en sandwich entre des injonctions opposées , entre le pédocentré et le normatif.

Laurence Thouronde en donne de beaux exemples dans les entretiens menés avec des parents et des enseignants. A l’idée que « la maternelle n’est pas la garderie », émise par une directrice d’école, répond des parents déçus. L’enseignante souligne que l’enfant « n’a aucun problème de comportement » quand la mère attend qu’on valorise les acquis de sa fille..

« La situation peut devenir conflictuelle quand parents et enseignants ont des objectifs divergents vis à vis de la scolarisation », note l’article. « L’identité professionnelle des enseignants subit des évolutions obligées dans un contexte institutionnel qui reste globalement normatif. La politique inclusive pose donc des problèmes à la fois de pratiques et de posture pédagogique ». C’est finalement le plus important défi de l’école inclusive que de changer les objectifs de l’école , la posture des enseignants, le regard porté sur l’enfant et finalement la requalification sociale des parents. Un sacré défi !

François Jarraud

Spirale n°2016/57

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