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« Il faut supprimer le bac. Il ne sert à rien. D’ailleurs tout le monde l’a ». Chaque année, cette idée revient dans les médias, minimisant l’intérêt de cet examen. Chaque année, certains médias glosent sur un taux de réussite qui dépasse 80%. Est-ce à dire que le diplôme est donné à tous ?


A vrai dire, le taux de succès au bac a toujours été élevé. Cela tient à deux raisons. La première c’est que cet examen sanctionne un niveau moyen de fin d’étude. Ce n’est pas un concours. On peut attendre du système éducatif qu’il assure 80% de réussite comme il assure 90% pour les compétences en maths ou français en fin de primaire ou de collège. Ce taux est d’autant plus facile à atteindre qu’en fait la sélection a lieu avant le bac. Ce taux de 80% cache le fait que seulement 66% d’une génération (à l’exception de 2012) obtient le bac. Un jeune sur trois quitte l’école sans le bac. Ce taux de réussite n’est pas seulement faible. Il est stable depuis 1995 où déjà on atteignait 63%. Cette réalité invite à redécouvrir les taux habituels du bac. Ainsi on dit que 83% des garçons sont reçus contre 87% des filles. Cela cache en fait un écart beaucoup fois plus grand : 70% des filles d’une génération seront bachelières contre 58% des garçons.


Le bac reste un défi pour les familles populaires. Le directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, l’avait clairement signifié le 12 juin 2013. « On constate qu’il y a encore de très grandes inégalités dans notre pays dans l’accès au bac général et technologique ou même professionnel », a-t-il dit. « Trois catégories sociales dans notre pays aujourd’hui voient pour leurs enfants les chances d’obtenir le bac quel qu’il soit diminuer. Ce sont les enfants d’inactifs, d’employés de service et d’ouvriers non qualifiés ». JP Delahaye a donné des chiffres. Sur la génération qui est entrée en 6ème en 1995 et dont on peut suivre la scolarité, 13% des enfants d’inactifs n’ont même pas atteint la 3ème, contre 0,4% des enfants d’enseignants. 9% des enfants d’inactifs, 13% des enfants d’ouvriers non qualifiés ont obtenu un bac général contre 72% des enfants d’enseignants. « En réalité dans notre pays les écarts sont en train de se creuser… et tout le travail de la refondation de l’école est…de réduire ces écarts insupportables de réussite selon les origines sociales », a déclaré JP Delahaye. « C’est important d’avoir ces chiffres en mémoire… Tout le monde n’a pas le bac. Tout le monde n’entre pas en université. On a des marges de progression importantes chez les jeunes d’origine populaire ».


Le bac ségrégatif ? Mieux vaut s’appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Pour le Bac STG, par contre, Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent. C’est la leçon qu’afflige Baptiste Coulmont, docteur en sociologie et maître de conférence à Paris 8, au système éducatif français. « Georges Felouzis et ses collègues (Joëlle Perroton notamment) ont bien analysé la ségrégation ethnique et le rôle qu’elle joue dans la reproduction sociale : il s’est d’ailleurs appuyé sur un codage des prénoms pour repérer l’ethnicité revendiquée par les parents. Ils s’intéressaient aux collèges, mais les séries du bac ne remettent pas a priori en cause cette ségrégation ethnique et sociale », conclue-t-il.


Trop de diplômés ? Dans l’intérêt général, si on veut avoir par exemple une économie plus compétitive, on devrait plutôt s’inquiéter de la faiblesse de ces taux. Mais il y a une explication à cette attitude malthusienne. Ce qui défrise dans un fort taux de réussite au bac c’est quand même que certains qui n’y arrivaient pas y arrivent. Or on sait bien que statistiquement on a d’autant plus de chances de réussir le bac que l’on est issu d’un milieu favorisé. L’élévation du taux de réussite au bac renvoie à sa démocratisation. Ce n’est pas tolérable pour tout le monde… Ceux qui critiquent le bac rêvent d’un examen d’entrée en université qui garantirait à leurs enfants, seuls capables déjà de payer les frais d’examen, le monopole des études supérieures.


La France a-t-elle davantage de bacheliers que ses voisins ? Dans tous les pays de l’Union européenne, un document certifie la fin de l’enseignement secondaire Selon les statistiques de l’Unesco, le taux brut de diplômés de fin du secondaire s’établit à 51% en France contre 92% en Finlande, 73% aux Etats-Unis, 74% en Italie. Le taux brut de diplômés du supérieur est à 38% en France contre 62% aux Etats-Unis, 74% en Finlande, 55% en Italie.


Faut-il réformer le bac ? Les mêmes critiques font campagne pour une réforme du bac. A vrai dire ils ont des arguments. Le bac est une machine colossale et coûteuse. Or quelques épreuves seulement sont prédictives du résultat pour 90% des candidats. Le député UMP Apparu, dans son projet de réforme du lycée, avait demandé une simplification du bac. 4 disciplines seulement resteraient matière à contrôle final. Si elle apparaît logique, la réforme proposée semble surtout susceptible d’augmenter l’injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu’au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires. R Apparu ne demande d’ailleurs pas de contrôle continu mais un CCF où les élèves seraient notés par un professeur qui ne serait pas son professeur.


Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu’il coûte à celui qui ne l’a pas. Si en France personne ne s’est attaché à ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs études en ce sens. La plus récente provient de l’Alliance for Excellent Education (AEE), une association charitable qui milite pour la scolarisation. Pour elle « tout le monde bénéficie des progrès de qualification ». Elle a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu’au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l’économie américaine durant leur vie. Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L’AEE estime également d’autres retombées : « les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d’attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales ». L’AEE a pu calculer qu’en poussant tous les Américains jusqu’à la fin des études secondaires, l’Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela représenterait 5 milliards de dépenses policières en moins.

Alors comment augmenter la part des bacheliers ? Comment faire ? Ce n’est pas à Neuilly qu’on pourra l’augmenter significativement. Il faut évidemment aller chercher les nouveaux bacheliers là où ils sont : dans les ghettos défavorisés. Il faut que dès la maternelle, dès deux ans, il y ait un effort important de fait pour ces enfants. Or on sait que la scolarisation à deux ans régresse justement dans ces quartiers. Il faut, nous dit T Piketty, réduire le nombre d’élèves par classe significativement en ZEP. Or, là aussi, on sait que la réduction est marginale. Mieux que la prédiction du résultat à partir de certaines matières, on peut déjà prédire que le taux d’échec ne sera pas le même si l’on est fils de cadre ou d’ouvrier. C’est justement cela qu’il faudrait changer.


François Jarraud

Article de B Coulmont

http://coulmont.com/blog/2013/03/30/series-de-prenoms/



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