Print Friendly, PDF & Email

L’extraordinaire progression du bac professionnel s’accompagne d’un changement radical du comportement de ces bacheliers. Le bac pro a changé d’identité. D’un diplôme de fin d’études signifiant une qualification professionnelle, il est devenu une porte d’accès à l’enseignement supérieur. Les bacheliers professionnels posent la redoutable question de la démocratisation de l’enseignement supérieur.

Panique à bord !

La marée de bacheliers professionnels, 119 000 en 2010 et 190 000 en 2014, vient cogner à la porte de l’enseignement supérieur. En 2000, 17% des bacheliers professionnels poursuivaient des études post bac. En 2014 ils sont 48%. Un tiers poursuit dans l’enseignement supérieur et 17% en contrats de professionnalisation. Ils représentent aujourd’hui 27% des étudiants des STS. Selon Vincent Troger, qui a été le premier à mettre en évidence cette mutation en 2012, la voie professionnelle s’est banalisée. D’abord voie de qualification pour entrer sur le marché de l’emploi, elle est devenue un chemin commode vers le supérieur. Le changement a été rapide. Ce choix du professionnel pour atteindre le supérieur est souvent fait par le jeune dès la seconde. « L’objectif c’est de s’assurer une meilleure insertion et aussi avoir une chance de promotion professionnelle. Autrefois ils auraient cru dans la promotion interne », nous disait-il. « Aujourd’hui ils pensent que c’est très difficile d’accéder un statut supérieur avec un CAP ».

Des jeunes à profil particulier

Or ces jeunes ont des profils particuliers. Ils sont moins mobiles que les bacheliers généraux et vont privilégier des formations courtes près de chez eux. Ils ont moins d’appétence pour l’enseignement général. Ces deux caractéristiques font que le débouché normal des bacheliers professionnels sont les BTS, une voie où ils réussissent plutôt bien. Depuis 2014, l’Education nationale a mis en place des quotas académiques qui facilitent l’entrée des bacheliers professionnels en STS. Et ça commence à porter des fruits. « Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761) », révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014.

Mais leur arrivée en BTS s’accompagne d’une forte lassitude des enseignants des STS mis devant un défi pédagogique totalement nouveau. Ils dénoncent une baisse de niveau résultant de la réforme du bac professionnel dont le rapport Doucet s’est fait l’écho. La députée reprend les propos de la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT, pour qui  » le nouveau « bac pro » aurait fait perdre (aux jeunes) « l’habitude du travail » du fait de coefficients qui invitent à délaisser les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. Pour S Doucet il y a bien « un risque de décrochage » du BTS. Il y a peu d’expériences de préparation des bacheliers professionnels à cette poursuite d’étude. Encore moins de communication entre les enseignants de bac pro et ceux du supérieur ne serait ce que pour connaitre les programmes des uns et des autres.

La tentation de la relégation

Alors, cette arrivée des bacheliers professionnels pose un autre défi à l’éducation nationale : celui du coût. Un étudiant en BTS revient à 13 510 euros en moyenne, soit nettement plus qu’un étudiant ordinaire. Dans le cas des bacheliers professionnels, seuls 60% obtiennent le diplôme du BTS. Il y a donc une forte perte de moyens dans une période budgétaire difficile.

D’où l’idée émise par G Fioraso en décembre 2014 de créer une filière supérieure particulière pour des bacheliers particuliers. Le nouveau  » Brevet professionnel supérieur » (appellation encore provisoire) devrait être un diplôme de niveau III délivré en alternance. C’est sur les entreprises que reposerait donc le coût de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Mais ce serait au prix d’une nouvelle sélection de ces jeunes. Au regard de ce qui se pratique déjà dans les stages professionnels, on peut craindre que les jeunes fassent à nouveau l’expérience de la discrimination dans cette nouvelle filière si elle voit le jour.

Finalement, au printemps 2016, le ministère opte pour le renforcement des places en BTS : 2000 devraient être créées chaque année pendant 5 ans pour offrir 10 000 places supplémentaires. Des postes d’enseignants devront être créés en même temps. Parallèlement, le ministère promet d’imposer effectivement des quotas pour l’accès des bacheliers professionnels en STS.

L’impossible démocratisation du système éducatif ?

Se rejoue pour l’enseignement supérieur un scénario que l’éducation nationale connait bien. Le bac professionnel a permis de démocratiser le bac. C’est à travers le bac professionnel que les jeunes des milieux populaires ont accédé au bac. On compte trois fois plus de titulaires du bac professionnel que du baccalauréat général chez les ouvriers (34,3 % contre 11,4 %) et un rapport inverse chez les cadres (10 % contre 36,1 %). Le système éducatif a démocratisé le bac en créant une nouvelle voie réservée aux enfants des classes populaires plutôt qu’en les aidant à accéder à un bac général. Il leur a ainsi ouvert l’accès au supérieur. Mais celle-ci tourne au mensonge. Le taux de réussite à la licence en trois ans des bacheliers professionnels est de 3,1 % seulement. En BTS, seule la moitié des bacheliers professionnels obtient le diplôme en trois ans, ce qui est nettement moins que les bacheliers technologiques (73 %) et les bacheliers généraux (85 %). Il reste bien du chemin pour une véritable démocratisation, même si les derniers engagements ministériels montrent que le sujet est enfin pris en compte.

François Jarraud

La proposition Fioraso

V Troger

Le rapport Doucet

A Jellab : la voie professionnelle, voie d’émancipation ?



Sur le site du Café