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Le « mieux vivre » et « le mieux être » sont possibles à condition que l’élève se transforme, s’émancipe. Le rôle de l’enseignant est indispensable dans ce processus, notamment en s’intéressant au langage corporel de l’élève, véritable témoin de son rapport à l’école. Ghislain Carlier, Professeur émérite à l’université catholique de Louvain, au sein de laquelle il a enseigné, durant 42 ans, dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants. Il s’est notamment intéressé au plaisir d’enseigner et à la transmission de cette passion.

Que faut-il entendre par bien être ?

C’est un concept que je trouve un peu usé car souvent utilisé à toutes les sauces… Ne faudrait-il pas le renouveler ? Personnellement, je préfère le concept de « mieux vivre » et « mieux être » proposé par Rafael Correa, président de la république d’Equateur et surtout sociologue, qui a d’ailleurs étudié au sein de l’université Catholique de Louvain.

Cela me semble tout particulièrement intéressant car débouchant sur un passage à l’acte. Il ne s’agit de revendiquer un sentiment, une attitude, mais un état, conséquence d’apprentissages concrets, où l’élève : « s’élève réellement ».

Comment objectiver ce mieux être, ce mieux vivre ?

Il existe plusieurs échelles qui mesurent l’atmosphère, l’ambiance, le climat d’une classe, mais ce qui me semble particulièrement important de souligner, ici, est que le climat d’une classe participe de manière très importante à la réussite.

Les recherches ont montré que les trois facteurs les plus importants pour que l’élève apprenne sont: le temps passé à la tâche, les feedbacks et rétroactions reçus et enfin le climat d’apprentissage.

Le mieux être, le mieux vivre participent inévitablement à bonifier ou en tout cas à optimaliser les apprentissages. Il n’y aurait pas de mieux vivre à l’école sans qu’il y ait d’apprentissage.

Le concept de « Flow » proposé par Csikszentmihalyi (2005) est également un indicateur pertinent dans le sens il est compris comme un état de grâce, de parfaite maîtrise et témoigne d’un engagement total dans la situation. Le flow doit être présent à l’école à travers ce plaisir et contre « l’impuissance apprise ». Mais tout cela ne peut exister que par l’enseignant…

Justement, comment l’opérationnaliser ?

Ce qui me semble essentiel, important, c’est le ressenti des élèves et la conscience qu’ils ont d’avoir progressés individuellement, collectivement, de s’être « élevés ». La perception par l’élève et par les élèves et même du « groupe» est au cœur de l’opérationnalisation. Très souvent, ce changement dépasse les apprentissages classiques réalisés au quotidien, au profit de ceux réalisés à l’occasion de projet ou d’actions marquantes, remarquables et remarqués.

Il serait possible de rapprocher ce changement de l’émancipation qui, elle aussi, comme le mieux vivre est un concept qui pourrait renouveler les notions d’autonomie et de responsabilité. L’émancipation est une ambition totalement indissociable de l’apprentissage. Un savoir qui n’émancipe pas est voué, la plupart du temps, à l’oubli ou à des connaissances qu’on peut appeler ornementales ou décoratives. Force est de constater que ce sont principalement ces dernières qui sont souvent utilisées pour sélectionner dans nos systèmes éducatifs voire universitaires.

L’émancipation, ce changement à rechercher, n’est-elle pas en lien direct avec le processus plaisir/déplaisir que vous avez souvent utilisé dans vos travaux ?

Il est important de différencier les plaisirs immédiats des plaisirs différés. Souvent, il y a une confusion en pensant que les apprentissages doivent générer du plaisir. En réalité, l’apprentissage est une période, comme le précise Michel Serres, qui est relativement angoissante, voire qui entraîne des résistances.

Il prend l’exemple de la traversée d’une rivière. Lorsque l’on se trouve au milieu de la rivière, c’est relativement déstabilisant et inquiétant… Il y a le courant qui nous entraine, on n’a pas particulièrement envie de revenir en arrière, sur la rive sécurisante, et il faut arriver de l’autre côté. Les certitudes de maîtrise que nous avions ont disparues, et il y a cette angoisse de quitter ses certitudes. Va t’on y arriver ?

Du coup, l’enseignant s’attache à créer un climat sécurisant dans l’apprentissage, fait de rétroactions, mais surtout l’objectif d’augmenter son pouvoir d’exister, de l’élever. Il y a des plaisirs immédiats comme le flow mais aussi des plaisirs différés qui viennent d’apprentissages exigeants.

Je me retrouve dans la métaphore de Brunelle lorsqu’il parle de plaisirs convexes et de plaisirs concaves. Il utilise l’image d’un bol. Si l’on dispose de l’eau sur un bol retourné et donc convexe, elle ne reste pas, à l’inverse (concave), elle reste. Il existe des plaisirs convexes qui ne restent pas et des plaisirs concaves qui durent et qui sont constructeurs de la personne, de son émancipation.

Quelle place accordez-vous au corps à la fois média et témoin?

Je dois avouer que j’ai un certain problème avec le concept de corps car il fait référence à « objet matériel, inerte, » du coup, j’ai une certaine résistance à parler du corps. Ainsi, à l’école et dans le cadre de l’’éducation physique, je lui préfère le terme de mouvement.

Tout comme il existe le langage de la parole, le langage mathématique, on devrait s’intéresser davantage au langage psycho-socio-moteur. Quand, lors d’un cours, un élève s’affale sur son bureau, il est certain que le professeur est sensible et décode ce type de langage qui témoigne de l’ennui ou d’un manque de confiance en soi ou d’un sentiment d’échec.

Je pense que le langage du corps n’est pas suffisamment pris en compte par l’ensemble du corps professoral, alors qu’il est un élément remarquable qui témoigne de ce que vit la personne.

Ce langage est minoré, j’en veux pour preuve le fait que les élèves passent les trois quarts de leur temps assis, à écouter quelqu’un qui parle ou à faire des exercices sur papier ou sur tablette alors que dans tous les autres domaines de la vie, les apprentissages passent par le corps !

Je réclame un rôle éminemment important pour le professeur d’EPS qui serait à l’école le référent de ce langage. Tout comme le professeur de langue maternelle est le référent concernant les langues. D’ailleurs, ce rôle souligné en maternelle, tend à être de plus en plus minoré au fur et à mesure des années au sein du premier degré…

Par Antoine Maurice et Benoit Montégut

Une EPS ancrée sur le bien-être