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Quand on pénètre dans le collège Sonia Delaunay de Paris 19ème, la première chose que l’on voit c’est un dessin qui souhaite la bienvenue. Ce n’est pas par hasard. Le principal, Christian Garcia, a co-écrit avec Caroline Veltcheff l’ouvrage « Oser le bien être au collège ». Muté tout droit du Mexique dans ce collège Rep+ parisien, il y a importé ce qu’il avait découvert outre-Atlantique : l’importance de la relation personnelle avec les élèves et les familles. La volonté de prendre en compte le bien être des élèves et aussi des adultes. Un exercice de pacification dont il nous livre quelques secrets…

Pourquoi s’intéresser au bien être des élèves dans votre collège ?

Deux facteurs ont joué. A l’origine il y a une proposition de la MGEN et du Centre social Villette d’expérimenter un projet dans le cadre d’une recherche action. Ils cherchaient un établissement scolaire. Il y a ensuite une préoccupation issue de mon parcours personnel. J’ai été personnel de direction au Mexique. Et là j’ai pris conscience de la particularité du système éducatif français. Il fallait chaque année que j’explique aux enfants et aux familles que l’école « à la française » met les enfants face à leurs difficultés. Les Mexicains ont un système plus encourageant et le système français pouvait bloquer des enfants.

Enfin, quand je suis devenu principal du collège Delaunay, j’ai trouvé, avec le principal adjoint qui arrivait lui aussi, un établissement où il y avait des actions de prévention mais pas de cohérence d’ensemble. Le collège avait aussi une réputation pas fameuse avec un taux d’évitement important. Les enseignants eux-mêmes évitaient de dire dans le quartier qu’ils y enseignaient.

Dans le projet de la Mgen j’ai vu l’idée d’un projet global qui nous permette d’échanger dans l’établissement, de trouver une direction commune.

Le thème du bien être, celui de la bienveillance ne sont pas populaires dans le monde enseignant. Comment vous y êtes vous pris pour le faire accepter ?

C’est bien tout le problème . Certains enseignants se demandent si leur mission est de se préoccuper du bien être. Pourtant, dans leur classe, tous le font ! Mais, quand il s’agit de le formaliser c’est différent ! D’ailleurs, c’est la même chose chez les personnels de direction. On parle rarement de bien être.

La solution c’est de se tourner vers tous les acteurs de la communauté scolaire pour leur demander ce qui peut être fait en terme de bien être. Il faut viser le bien être de tous. Pour autant le mot bien être n’est toujours pas dans le projet d’établissement de notre collège. Le bien être n’est pas devenu un étendard pour le collège. Mais il imprègne tous nos projets.

Alors qu’est ce qui a changé dans le collège finalement ?

Le premier changement c’est l’évaluation par compétences. C’est arrivé en 6ème avec le projet et sur proposition de l’inspection d’académie, sous la forme d’une évaluation plus bienveillante et plus en rapport avec les performances des élèves. On a décidé cela collectivement et on l’a reconduit à la fin de la première année. Aujourd’hui l‘évaluation par compétences est présente chez toutes les 6èmes.

On avait constaté le stress des élèves en 6ème. Aujourd’hui il reste encore du rouge dans le bulletin pour les compétences non maitrisées. Mais le bulletin coloré n’a pas la même violence que la note aux yeux des élèves .

En 5ème on a introduit les compétences mais on a aussi gardé des notes : une moyenne dans chaque discipline.

Un second changement a été le programme d’accueil des enfants arrivant en 6ème . Nos enquêtes montrent que c’est très important. Dans une première journée on forme le groupe classe avec des jeux où les enfants se découvrent. Une seconde demi journée est utilisée pour que les élèves découvrent le collège avec la vie scolaire. Les professeurs principaux ont été formés à l’animation de ces demi journées. Chaque année en juin avec les professeurs principaux de 6ème on revoit le protocole ensemble.

Avez-vous travaillé la liaison avec les écoles du secteur ?

Bien obligé ! On avait un taux d’évitement important. A l’étranger j’ai eu en charge des classes du primaire (elles sont intégrées dans les lycées français à l’étranger). J’avais l’habitude du premier degré. On assiste maintenant à au moins un conseil d’école chaque année dans les écoles du secteur pour répondre aux questions des représentants des parents et des enseignants. Et j’assiste aux réunions des parents de CM2 et CM1 avec le principal de l’autre collège du secteur.

Et puis il y a la journée portes ouvertes. Les parents voient le collège comme une boite noire. Alors chaque année les élèves de 6ème accueillent les parents des écoliers du secteur chez nous. Ils font visiter le collège. Les parents participent à de brefs ateliers sur le sport, l’histoire des arts et la vie scolaire. On cherche à expliquer ce qu’est un collège.

Il y a une question sensible dont vous ne m’avez pas parlé : les toilettes…

On a fait rénover les toilettes au début de l’expérimentation. On les a équipées de papier et de savon. Mais on a aussi mis un poste de surveillant devant les toilettes aux heures de récréation. Dans les autres heures elles sont fermées.

Vous utilisez les heures de vie de classe ?

Ici elles existent vraiment et les professeurs principaux et les CPE les occupent vraiment. Je dispose d’une demi IMP pour rémunérer le travail qui y est fait.

Tout cela a –t-il un impact sur les résultats ?

C’est difficile à dire pour les résultats scolaires. Nos résultats au brevet se sont stabilisés et sont à un niveau correct pour la population du collège : entre 65 et 75%. On peut difficilement monter plus haut ne serait ce que parce qu’on a plusieurs classes d’UPE2A, autrement dit de nouveaux arrivants en France. On a aussi 20% d’élèves qui arrivent avec au moins une année de retard en 6ème.

Les progrès les plus importants sont dans l’ambiance du collège. On a constaté une baisse sensible des conseils de discipline et des exclusions. On est passé de 15 à 6 conseils en moyenne. On a une vraie baisse des tensions dans l’établissement et ça se sent.

Cela tient aussi à une mesure toute simple que l’on a pris, les CPE et moi. Tous les matins on accueille chaque élève à la porte du collège et on lui dit « bonjour ! ». Cela a des résultats extraordinaires. Les élèves avaient l’habitude d’avoir un échange avec les adultes que pour entendre des remarques ou des reproches. Maintenant c’est difficile pour eux d’être désagréables avec quelqu’un qui leur souhaite un « bonjour » ! Le résultat est durable. Quand on se croise dans la journée on peut discuter tranquillement.

Qu’est ce qui a changé pour les adultes ?

Des choses basiques. Par exemple peu d’enseignants déjeunaient au collège. On a aménagé une salle pour eux à coté de la salle des professeurs avec tout l’équipement nécessaire.

Comment se profile la réforme du collège à Delaunay ?

Ce ne devrait pas être un problème ou un traumatisme.

Qu’attendez vous de ce livre ?

On voulait témoigner en l’écrivant. Et montrer qu’il y autre chose dans la vie d’un établissement scolaire que la transmission des connaissances. Construire un cadre de vie favorable au collège est indispensable et cela même dans des établissements calmes. Il ne faut pas attendre une crise pour s’y atteler.

Propos recueillis par François Jarraud