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Alors que s’ouvre le 15 juin la nouvelle session du baccalauréat, le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) publie un important dossier sur cet examen. En échec le bac à la française ? Nathalie Mons, présidente du Cnesco juge au contraire que cet examen final a un impact positif sur les élèves parce qu’il est élargi à de nombreuses matières et qu’il s’agit bien d’un examen de qualité. Pour autant le système français est marqué par de fortes inégalités sociales.

Dans votre étude vous dites que le modèle français du bac s’est imposé dans l’OCDE. Mais on voit des exemples différents selon les pays. Que voulez vous dire ?

On n’a pas exporté le bac. Mais, alors qu’en France on s’auto-flagelle sur le bac, à l’étranger on met en place partout un examen final avec les caractéristiques du bac français, c’est à dire une évaluation externe stabilisée, des sujets, une administration et des corrections harmonisés.

Or pour vous ce format d’examen final stabilisé a des effets très bénéfiques sur les élèves. Lesquels ?

Ces évaluations externes élèvent le niveau général des élèves et réduisent les écarts de résultats entre eux. Cela s’explique par le fait que l’évaluation externe fait référence dans tous les établissements. C’est un objet pédagogique externe qui oriente les pratiques pédagogiques. Dans les établissements défavorisés ça permet d’avoir des objectifs nationaux et du coup d’aller au delà des difficultés scolaires des élèves.

On se rappelle qu’Agnès van Zanten, par exemple, a montré que dans les établissements défavorisés les enseignants ont tendance à s’adapter au niveau des élèves. L’examen final externalisé rompt avec cette habitude et élève les objectifs.

Mais il y a des conditions. La première c’est qu’il faut un examen de qualité. Par exemple, on a vu, dans certains états américains, se mettre en place des tests par QCM . Cela a donné de mauvais résultats. Entre autre le Teaching to the test.

Il faut aussi que l’examen soit assis sur un champs large de matières. L’idée de limiter drastiquement le nombre de disciplines présentées à l’examen serait une lourde erreur. On perdrait l’effet bénéfique de l’examen final.

L’examen final permet de mieux ajuster les compétences des élèves au besoins ?

Il ya bien une demande des parents et des entreprises pour savoir quelles compétences sont acquises par les élèves qui explique que de plus en plus de pays passent à l’examen final. Mais dans le cas de la France, les études que nous avons faites sur l’enseignement professionnel montrent que dans certaines formations le bac professionnel n’est pas en adéquation avec les attentes du marché du travail.

Aujourd’hui le bac français peut apparaitre peu spécialisé avec pratiquement toutes les disciplines dans toutes le terminales. Ne faudrait -il pas le spécialiser davantage ?

Dans les pays anglo-saxons on regarde peu la spécialisation quand il s’agit d’entrer en université. On va s’intéresser davantage aux notes globales sur plusieurs années, aux activités sociales du jeune, à sa motivation. Ce que les universités cherchent c’est un niveau global de compétences et d’engagement. On s’intéresse au jeune et pas seulement à l’élève. En Suède tous les jeunes sont dans un lycée unique.

La France est plutôt marquée par un haut niveau de spécialisation avec des filières identifiées. Or on va avoir besoin de jeunes capables de changer de métiers, de travailler avec d’autres personnes.

Ce que vous dites là est valable pour l’élite. Mais est ce la cas pour les autres jeunes ?

Bien sur que oui. Le technicien qui vient réparer votre machine à laver doit pouvoir suivre l’évolution technologique. Il doit aussi avoir des compétences sociales car il représente l’entreprise chez le client.

Peut-on continuer à avoir le même examen pour certifier la fin du secondaire et accorder l’entrée en université ?

Il faudrait garder ce double rôle du bac. Mais il ne l’a plus aujourd’hui. On voit que dabs APB on a des licences « sous tension » auxquelles tous les bacheliers ne peuvent pas accéder.

Par ailleurs, on demande à tous les jeunes de s’inscrire à au moins une licence « libre » c’est à dire peu attractive. Ca pose un problème. Si elles sont libres c’est qu’elles conduisent peu à l’emploi. Est il bon d’y diriger les bacheliers ? C’est au moins paradoxal…

On dit en façade que le bac ouvre toutes les filières. Sauf qu’on ne peut pas accéder à toutes les filières. Il y a bien une sélection. Il vaudrait mieux le dire, l’assumer politiquement et définir la sélection plutôt que confier au logiciel APB le travail de sélection.

Avec le bac on préfère une égalité formelle à une égalité réelle ?

On a une démocratisation en trompe l’oeil. Tout le monde a son bac. Mais quel bac ? Quand on regarde le destin des bacheliers on voit bien que les bacheliers professionnels n’ont rien à voir avec les bacheliers généraux. Les 3 bacs n’ont pas la même valeur. Et chaque bac a son public bien particulier en termes sociaux.

On a environ 40% des jeunes qui sont dans les filières d’élite et 60% qui sont en dehors. Cette répartition 40/60 semble ancienne. Vincent Troger a pu montrer qu’elle existait déjà avant le collège unique.

Tout ce qu’on a fait c’est de substituer une inégalité horizontale à une inégalité verticale. On garde les mêmes inégalités mais dans une forme différente. Notre démocratisation du bac est un trompe l’oeil. C’est une démocratisation ségrégative.

Propos recueillis par François Jarraud

Pour en savoir plus :

Cnesco : le dossier du bac