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A-t-on le d’entamer une autre carrière après avoir enseigné 10, 20 ou 30 ans ? Longtemps , ce droit a été nié par l’institution Education nationale. Et puis est venue l’association « Aide aux profs ». Depuis 10 ans, elle porte cette revendication auprès du ministère. Et au quotidien, elle aide des centaines d’enseignants à faire le point et à construire un nouveau projet personnel après une vie d’enseignant. Le 15 juin, Aide aux profs a tenu congrès. Son président, Rémi Boyer, a annoncé une nouvelle étape.

Rémi Boyer entame sa troisième reconversion. C’est ce qu’il a dit aux quelques 120 personnes présentes au 3è colloque de l’association « Aide aux profs » qui fêtait pour l’occasion ses dix années d’existence. Aide aux profs se transforme au premier septembre en « Après prof », site déjà en ligne, mais qui va, à partir du 1er septembre prochain offrir des services que Rémi Boyer qualifie lui-même de vraiment « professionnels ». Mais avant de provoquer l’impatience du public présent face à cette nouvelle forme d’activité, la matinée a commencé par un rappel des années qui ont amené à ce troisième colloque. Ce n’est pas 2006, mais bien 1999 qu’il faut prendre réellement en compte si l’on veut faire la genèse de ce projet. Car tenter d’aider les enseignants en souhait d’évolution de carrière, de changement d’orientation professionnelle voire tout simplement des enseignants confrontés à leur épuisement professionnel et personnel, était au début du XXIe siècle quelque chose qui n’était pas entendu dans l’institution éducation nationale. Non que cela n’existait pas, mais cela ne concernait qu’une infime partie des enseignants, l’institution estimait que cela ne nécessitait pas un fort investissement. Qu’est-ce donc que 1,5% de personnes qui cherchent à « changer » ?

La seconde carrière oubliée du ministère ?

Ayant reçu des demandes de plus de 12000 personnes en dix années d’existence, le site aide aux profs a montré sa nécessité, et les questions posées par les participants présents confirmaient cela : comment faire face aux difficultés rencontrées pour évoluer professionnellement ? C’est justement cette réponse que tente d’apporter Rémi Boyer et les bénévoles de son association. Le savoir-faire accumulé au cours de ces dix années, les expériences rassemblées, les connaissances accumulées au travers de tous ces dossier, tout concoure à donner une réelle légitimité à cette démarche et à sa pérennisation. Si depuis ces années des cellules d’orientation et d’accompagnement ont été créées dans tous les rectorats, force est de reconnaître que leur efficacité est très variable. Les témoignages qui ont été rapportés au cours de cette journée et en particulier l’après-midi le confirment.

Cette journée débutée par un rappel de l’histoire de la création et de la vie de l’association a permis à Rémi Boyer de remercier tous ceux qui l’ont aidé et en particulier François Jarraud qui en lui ouvrant les colonnes du Café Pédagogique en 2006 lui a permis de faire connaître son projet. Il aussi remercié tous ceux, membres de l’association, qui ont appuyé et aidé la démarche. De même il a rendu un hommage particulier à Josette Théophile, qui était responsable de la gestion des ressources humaines au ministère de l’éducation et qui a compris la démarche d’Aide aux profs et surtout à encouragé la mise en place de textes et dispositifs permettant à ces actions de se déployer. Regrettant son décès survenu trop tôt, il signalait combien la personne avait été capitale dans l’émergence de la prise en compte de demandes d’évolution des carrières. Mais force est de reconnaître, exemples à l’appui, que depuis deux ou trois ans le paysage a changé et la gestion des personnels en évolution professionnelle, en particulier en reconversion externe, n’est plus une priorité ou tout au moins un sujet de préoccupation ministériel. A tel point même que les textes réglementaires récents vont plutôt dans le sens contraire, empêchant ainsi, ou limitant largement les possibilités de « mobilité professionnelle », qu’elle soit interne et encore pire, externe à la fonction publique.

L’établissement, le bon niveau de la seconde carrière ?

Didier Cozin responsable d’une entreprise de formation et de conseil (l’Agence de la Formation Tout au Long de la Vie), ancien enseignant ayant quitté « sans regret » son « statut » ainsi que l’institution qui le portait a brossé, en plusieurs étapes, le parcours qui permet d’aller vers une reconversion externe, partielle ou totale. Déplorant le DIF et le CPF, dispositifs illisibles et surtout inutilisé, il a mis en évidence la question cruciale de l’accompagnement à la mobilité. Certes c’est d’abord la personne qui s’engage dans l’évolution professionnelle et sa motivation doit être grande, mais les relais institutionnels ne devraient pas être aussi pauvres que ce qui a été démontré tout au long de la journée. De plus Didier Cozin a montré au public les différents aspects de ce qui constitue la démarche pour se lancer dans le grand bain de la création d’entreprise (90% des reconversions externes analysées par Rémi Boyer sont dans ce cas.

Jean Michel Blanquer, directeur de l’ESSEC, a partiellement endossé ses habits d’ancien haut fonctionnaire de l’éducation nationale mais aussi d’homme engagé pour montrer que l’institution avait largement progressé, mais que de fait, elle avait encore du chemin à faire. Mais ce chemin ne peut se faire, a-t-il suggéré que si la mobilité va aussi dans les deux sens : société vers école et inversement. Autrement dit les enseignants peuvent aller à l’extérieur de l’institution, mais des personnes extérieures peuvent aussi y entrer au cours de leur vie. Il a situé cette possibilité dans le cadre plus large d’un flexi-sécurité. Mais le cœur de sa proposition est de faire en sorte que l’enseignant développe une nouvelle mentalité, qu’il soit davantage responsabilisé et pas infantilisé (le modèle de concours par exemple), qu’il soit heureux d’être au travail, dans son travail. C’est en particulier à l’échelle de l’établissement qu’il voit les principales ouvertures et non pas au niveau national, la « machine » étant beaucoup trop lourde pour être capable de prendre en compte les problèmes des évolutions de carrière de manière précise et fine.

Quelle place pour les compétences numériques ?

Bruno Devauchelle, après avoir rappelé son parcours fait lui aussi de « reconversions » multiples a mis en évidence le rôle et la place de l’informatique et du numérique dans l’évolution de carrière. Il a d’abord rappelé que toutes les professions, en particulier intellectuelles, font appel aux compétences numériques et que c’est un premier élément de base de la mobilité professionnelle. Ensuite il a évoqué les possibilités d’évolutions dans les métiers du numérique. Après avoir rappelé les parcours internes et externes possibles dans le domaine il a souligné l’articulation nécessaire entre les multiples compétences nécessaires, aussi bien techniques, qu’humaines, sociales et organisationnelles (projet). Parlant de la Validation des Acquis, il a mis en évidence combien cette modalité peut être intéressante. Mais dans le domaine de l’informatique et du numérique, il y a une multiplicité de métiers qui font appel à des compétences très différentes les unes de autres : un community manager développe des compétences bien différentes de celle d’un développeur, ou d’un ergonome…

Inégalités de traitement et souffrances

La deuxième partie de la journée a été consacré à des témoignages d’enseignants ayant effectué des parcours d’évolution professionnelle. Cette partie est probablement la plus riche mais la plus difficile. Dès les questions posées le matin, on ressent que l’évolution est un problème d’autant plus complexe qu’il ne concerne pas seulement des compétences mais surtout des postures et des affects qui parfois sont difficiles à vivre. Mais c’est aussi la richesse de ce colloque que de permettre des rencontres, de favoriser l’entraide, la mise en réseau, l’échange d’expérience. C’est en particulier ces dimensions qui sont essentielles pour permettre une évolution professionnelle.

Au cours de cette journée on a pu mesurer les « inégalités de traitement » entre les différentes situations présentées. Inégalités liées aussi à l’évolution du cadre juridique et des réglementations érigées par le ministère dont on peut dire, aujourd’hui après ce large tour d’horizon qu’elles ne facilitent pas vraiment la mobilité, interne et externe et qu’elle est de plus en plus un frein à la prise en compte des besoins, mais aussi des souffrances, de la plupart des enseignants qu’accueille Rémi Boyer et son association Aide aux profs. Dix ans c’est plus que l’âge de la raison, souhaitons bon vent au nouveau projet « Après prof » encore gardé sous le boisseau en attendant qu’il devienne opérationnel au 1er septembre prochain.

Bruno Devauchelle

Après Prof

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Seconde carrière : Depuis 2007, une rubrique du Café pédagogique