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« Comment sauver le bac ? ». Pour Terra Nova, un think tank proche du PS, le bac actuel est  » une machine qui tourne à plein régime mais que personne ne contrôle et dont l’utilité réelle devient chaque année plus floue ». Un rapport présenté le 15 juin, propose de réformer le lycée et pas seulement le bac pour accompagner les lycéens vers leur orientation post bac. Une bonne idée qui soulève des questions : celle des inégalités entre les lycées et de la sélection à l’entrée du supérieur par exemple.

 » La réforme du baccalauréat que nous proposons suit des objectifs simples : alléger le dispositif de l’examen ; repenser une validation des acquis adaptée aux besoins des élèves et aux capacités de l’institution ; aider davantage les élèves à construire leur parcours en accompagnant mieux leur orientation et en préparant l’accès au supérieur ». Présenté ainsi le rapport de Terra Nova, rédigé par Martin Andler, professeur à l’université de Versailles, Armelle Nouis, proviseure, Marc Olivier Padis, directeur des études de Terra Nova, Jérome Ferrand, Régine Paillard et Françoise Sturbaut, remporterait tous les suffrages. S’il avance certaines idées positives, d’autres points peuvent inquiéter.

« Au bord de la rupture »

Pour le rapport, le bac est « au bord de la rupture ». C’est une machine lourde que décrit A. Nouis, qui absorbe l’énergie des lycées dès le mois de mai. Du fait du bac , les élèves de 2de et 1ère sont souvent libérés en juin et toute l’énergie de l’institution est utilisée pour gérer les 700 000 candidats, les 170 000 correcteurs et les 4 millions de copies. Le rapport dénonce l’inflation des épreuves de l’examen final.

Pourtant le bac échoue à évaluer correctement et encore plus à préparer le passage vers le supérieur, estiment les rapporteurs. « Qu’évalue le bac ? Il est impossible de répondre à la question en raison de la logique compensatoire du baccalauréat », disent-ils. Ils relèvent une vérité apparue dans un rapport de l’inspection de 2011 :  » En 2010, entre 25,1 % (série S) et 46,6 % (série L) des bacheliers ont obtenu leur diplôme avec une note inférieure à 10 dans deux des trois disciplines les plus caractéristiques de chacune de leur série ».

Le bac ne prépare pas au supérieur car le choix de la filière se fait sur n mode hiérarchique et non d’orientation, estiment les auteurs. Ainsi seulement 58% des bacheliers S entament des études scientifiques. Pour eux le bac est trop encyclopédiste pour préparer vraiment à une orientation post bac.

Pour changer le bac, réformer le lycée

Du coup ce que propose le rapport de Terra Nova c’est déjà de réformer le lycée. Les années de 1ère et de terminale seraient découpées en 4 semestres. Dans chaque trimestre les élèves suivraient 7 modules de 4 heures. Ainsi ils pourraient avoir des enseignements plus approfondis. Une partie des modules serait imposée et une partie serait au choix des élèves de façon à leur apprendre l’autonomie.

Le nouveau bac interviendrait à deux moments. En mars de l’année de première les élèves passeraient une épreuve nationale de français et d’une autre matière. Et un an plus tard une épreuve de philosophie et d’une autre discipline. Au total le nouveau bac occuperait 2 journées avec 4 épreuves nationale corrigées de façon anonyme par des correcteurs extérieurs. Les autres disciplines seraient évaluées en controle continu, avec des banques nationales de sujets. Le travail des malheureux proviseurs serait bien allégé et les élèves resteraient en classe jusqu’a fin juin.

Un parcours des élèves au choix

Et l’orientation ? Pour les auteurs, la suppression du redoublement impose de développer l’autonomie et la responsabilité des jeunes. Par conséquent les élèves choisiraient une partie des modules et le niveau qu’ils veulent suivre (maths simples ou maths scientifiques par exemple). Mais au moment de l’orientation , les établissements d’enseignement supérieur exigeraient pour admettre un candidat qu’il ait réussi tel ou tel module. Il n’y aurait plus de notes compensatoires. « Sélection : le mot est inacceptable… Parlons orientation », nous a dit Martin Andler, tout en précisant que Terra Nova est d’accord pour la sélection à l’entrée de l’université.

 » Globalement, ces propositions s’inscrivent dans le cadre des disciplines et des programmes actuels qui peuvent être découpés en unités d’enseignement de différents niveaux. Elles n’obligent pas à tout reconstruire et ne remettent pas en cause l’idée d’une formation généraliste », précisent les auteurs.

« Cette logique de parcours apparaît relativement facile à mettre en place pour les baccalauréats généraux et technologiques. Elle permet de briser le clivage entre ces deux filières. En fonction de leur équipement informatique et de leur laboratoire, les établissements peuvent proposer des modules d’enseignement technologique que l’on trouve dans les programmes de STG, STI2D, STL voir ST2S. En supprimant la distinction entre filières technologique et générale, on supprime un facteur tacite d’inégalités. On accroît également les chances qu’ont les élèves plus fragiles de faire leurs années lycées dans le même établissement ». C’est déjà moins vrai pour les élèves du professionnel qui pourraient passer des modules supplémentaires pour espérer atteindre le supérieur.

Un lycée modulaire pour des élèves autonomes…

Terra Nova n’est pas la seule organisation à envisager le lycée modulaire. Le Sgen Cfdt nourrit aussi un projet comparable. Et un tel lycée existe par exemple en Suède. Le grand avantage c’est de brasser des élèves de profils différents dans le même établissement. On a là un outil efficace de réduction des inégalités sociales qui est le principal défi de notre système éducatif.

Le lycée envisagé par Terra Nova aurait aussi l’avantage de rendre les élèves plus autonomes et plus responsables. Martin Andler a souligné avec raison combien les élèves français se démarquent de leurs camarades en ce domaine. Le projet prévoit d’ailleurs une nouvelle épreuve de TPE en terminale pour renforcer cette dimension.

Qui aggraverait les inégalités sociales

Mais le rapport a aussi ses points faibles. Le premier c’est l’obsession gestionnaire qui l’anime. Le projet est avancé pour alléger le travail de l’administration de l’éducation nationale et gérer les élèves jusqu’à fin juin. Cela prend beaucoup de place (trop !) dans l’argumentation…

Mais le point le plus faible du rapport reste l’évaluation de ce nouveau bac. Il pourrait anéantir les bonnes intentions avancées par les auteurs.

Réduire le bac à 4 épreuves est une vieille idée déjà avancée par B Apparu, un député Les Républicains, en 2009, reprise depuis par F Fillon et défendue à l’Assemblée nationale le 13 juin par la délégué nationale à l’éducation des Républicains. Il est intéressant de voir que Terra Nova s’aligne dessus…

Le piège de la réduction des épreuves et du controle continu

Certes ça simplifie beaucoup le bac. Mais le Cnesco a pu démontrer qu’en réduisant le nombre d’épreuves on diminue le niveau global des candidats et on répond moins bien aux attentes de la société. Le Cnesco montre aussi que c’est l’examen final plus ou moins large qui s’impose dans les pays développés là où, le plus souvent, il n’y avait que des certificats d’établissement.

Terra Nova répond qu’il y a les autres disciplines évaluées en contrôle continu. Mais compte tenu des énormes inégalités entre les lycées, cette évaluation locale pourrait bien mettre fin au diplôme national. On sait que les exigences des enseignants sont bien différentes selon les lycées. On aurait ainsi des bacs plus spécialisés officiellement mais de niveau très différents en réalité. Résumons : on aurait des diplômes d’établissement.

Or c’est sur ces critères que serait instituée une sélection officielle effectuée par les établissements d’enseignement supérieur. A ce moment là, le sort des bacheliers du lycée J Ferry de centre ville sera bien différent, à diplôme « égal », de celui du lycée Gagarine d’une banlieue populaire. Ce que propose au final Terra Nova, c’est de généraliser à tous les bacheliers le mode de recrutement actuel des classes préparatoires où ce qui compte c’est la recommandation des professeurs des bons lycées. Et ça, même enrobé avec des préoccupations pédagogiques fort sympathiques, ce n’est pas une bonne idée.

François Jarraud

Le rapport de Terra Nova

Le rapport du Cnesco

Le bac sur la défensive