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On les avait laissés en novembre 2015 en train de faire des fouilles dans le centre de Bondy, en Seine-Saint-Denis (1). On a retrouvé les élèves latinistes de 5ème C du collège Pierre-Curie samedi 18 juin à la mairie de Bondy, où ils rendaient compte de leurs travaux en public. Rafraîchissant.

« Sur le terrain où on était, il y avait des sépultures de personnes mortes de la Peste noire qui a sévi en 1348 en Europe … « , explique Zeina, très sérieuse face au public. Juste avant, elle a rappelé que les fouilles menées à Bondy depuis plus de cinquante ans avaient mis à jour une nécropole gallo-romaine, une mérovingienne et un village médiéval.

« Je vais maintenant passer la parole à Charlotte qui va nous parler de la fouille », poursuit la collégienne. Elle cède sa place à la tribune et va s’asseoir sur une chaise derrière. La salle est attentive. La conférence des archéologues en herbe débute bien.

« On avait besoin d’une truelle pour creuser, d’un coussin pour poser ses genoux et d’une pelle pour mettre la terre dans le seau, égrène Charlotte. On mettait les objets trouvés aussi dans des sachets… Je laisse la place maintenant à Iness. »

Scène

Sur la scène qui surplombe la salle en forme d’amphithéâtre, les collégiens sont très à l’aise. Chacun lit un court texte à tour de rôle. A côté, sur un grand écran, des illustrations et des graphiques appuient ce qui est dit. Un élève désigne de la main les points importants.

Dans le public, une cinquantaine de personnes : des familles des collégiens, des professeurs de Pierre-Curie, des représentants de la mairie, du conseil départemental, de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives)…

Le département de Seine-Saint-Denis finance un programme de résidences d’artistes dans les collèges, baptisé « In Situ ». Cette année pour la première fois, il proposait une résidence archéologique avec Cyrille Le Forestier, de l’INRAP.

Ossements

Manifestement, les élèves ont beaucoup aimé fouiller – il faut dire que participer à une vraie fouille, sur un chantier que terminait l’INRAP, est une occasion rare –, et aussi manipuler les objets – les laver avec une brosse à dents, les identifier, etc.

« Grâce aux ossements du bassin, on peut découvrir le sexe, si c’est une fille ou un garçon, explique fièrement Antonio. Pour l’âge, il faut regarder les dents de lait et aussi voir s’il y a de l’arthrose dans le cas de personnes âgées. En deux séances, on a découvert l’anatomie humaine. »

« Maintenant les squelettes ne me font plus peur, lance Iness, sa partenaire à la tribune, parce qu’étudier les morts c’est apprendre les vivants ! » La phrase fait mouche.

Micro

Après l’exposé, c’est au tour des questions. Un micro passe dans les rangs. Les frères et soeurs des collégiens-archéologues se lancent les premiers.

– « Comment vous pouvez savoir que la personne est malade ? Vous le voyez aux os cassés ? », demande une petite fille au premier rang.

– « Ah non ! Car ça peut être à cause du temps qu’ils sont cassés », répond une voix à la tribune.

– « Les spécialistes savent ça », complète une autre, catégorique.

– « Dans tous les cas, ce sont des hypothèses », précise sa voisine.

– « Est-ce que ça vous a donné envie de devenir archéologue ? « , interroge un adulte dans la salle.

– « Euh oui, c’est un métier que j’aime bien, mais je me vois le faire plutôt pendant mes loisirs », répond un collégien.

– « Moi comme un hobbit (pour hobby) », renchérit sa voisine.

– « Moi, je crois pas que ce soit possible comme un loisir, c’est beaucoup de travail », corrige un collégien. Cyrille Le Forestier, assis dans le public, s’amuse.

Histoire de mettre tout le monde d’accord, un collégien conclut: « de toute façon, on est bien trop jeune pour savoir quel métier on va faire ». Beaucoup de questions suivent, sur les ossements, la céramiques, les sépultures…

Démarche

Deux enseignantes du collège Pierre-Curie qui ont travaillé durant l’année avec Cyrille Le Forestier assistent à la conférence. Professeure de latin, Béatrice Lietz explique: « cela aide les élèves à reconstruire les périodes les plus anciennes, ils comprennent mieux, cela devient plus concret ».

« Ils ont une idée du métier d’historien et ils voient comment s’écrit l’histoire, se félicite Aurélie Finck, sa collègue d’histoire-géographie, ils comprennent que l’on part de documents et de matériaux, et que pour les périodes anciennes, on peut avoir une vision parcellaire. »

Auurélie Finck se souvient encore du jour où, au beau milieu de l’année scolaire, un élève l’a interpelée : « et tout ce que vous nous racontez, madame, c’est vrai ? ». « Nous dispensons des connaissances mais nous n’expliquons pas toujours comment on est arrivé là, souligne-t-elle. Avec cette résidence, les élèves ont découvert une démarche et c’est sans doute le plus important. »

Véronique Soulé

(1) Voir cet article

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