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Victoire des extrémistes du parti Ukip, le Brexit s’annonce comme un cataclysme politique et économique au Royaume-Uni. Des observateurs relèvent qu’il va aussi toucher l’Ecole à la fois par le climat de xénophobie qu’il entretient et par les retombées de la crise économique. Une évolution comparable est à méditer en France. La « mobilisation pour les valeurs de la République » sera-t-elle une arme aussi peu efficace que l’enseignement des British Values en Angleterre ?

Impossible pour le moment d’estimer l’impact qu’aura la décision britannique sur l’Europe. Il est évident qu’il y aura un choc politique et aussi économique sur l’ensemble du continent La petite reprise qui s’amorçait devrait être touchée. En Angleterre les économistes envisagent une hausse du chômage qui pourrait atteindre 5 points et la seule récession britannique serait une mauvaise nouvelle pour nous. La France a un solde commercial très positif avec le Royaume Uni qui pourrait bien disparaitre et l’impact du choc boursier reste à définir.

Le Brexit aura donc un impact économique qui pourrait toucher l’Ecole. Mais il va aussi renforcer les leaders extrémistes. On les entend déjà demander un référendum identique. Mais intéressons nous à l’Ecole.

Les enseignants britanniques contre le Brexit

Les enseignants britanniques ne s’y sont pas trompés. Selon un sondage mené par le Times Education Supplément à la mi -juin, 70% d’entre eux projetait de voter pour le maintien du Royaume Uni dans l’Union européenne et 23 pour sa sortie. Les professeurs les plus jeunes étant davantage partisans du Remain.

Davantage au contact de jeunes de toute origine, animés par des idéaux humanistes, ils étaient sans doute mieux préparés à rejeter les thèses xénophobes.

Mais il leur est aussi apparu clairement que la question affecterait leur quotidien en classe. Ainsi 12% jugeaient que le Brexit aurait un effet positif sur l’avenir des élèves et 51% un effet négatif selon ce même sondage.

Une campagne de haine

Dans le même TES, John Dunford, ancien secrétaire général de l’Association of School and College Leaders union, justifie les votes en faveur du Remain. Pour lui, après le Brexit, enseigner va devenir plus difficile.

Il relève que la campagne a encouragé le nationalisme et le racisme. Elle a libéré les pires discours. Rappelons qu’elle s’est terminée par l’assassinat pour « trahison » de Joe Cox, une députée favorable au maintien dans l’Union.

C’est ce climat et ces arguments qui sont maintenant clairement légitimés par referendum dans un pays profondément divisé. Pour John Dunford, les enseignants vont avoir à gérer maintenant en classe des tensions entre les élèves beaucoup plus fortes qu’avant.

La Britishness enseignée à l’école a-t-elle nourri le Brexit ?

Cet événement intervient alors que le système éducatif anglais a introduit depuis 2014 l’enseignement des « british values » et de la « britishness ». En principe ces « valeurs britanniques » sont la démocratie, la tolérance, la défense des libertés et le respect.

Le problème c’est que ces valeurs là sont universelles. Et que rien que l’appellation de cet enseignement flatte les valeurs identitaires. En ajoutant cet enseignement, le gouvernement a-t-il renforcé la démocratie ou légitimé le nationalisme et la xénophobie dans l’école ?

Se mobiliser pour la fraternité

Cette question on la retrouve chez nous. Pour satisfaire l’opinion publique marquée par un même glissement identitaire, le gouvernement a lancé la « mobilisation pour les valeurs de la République ». C’est devenu un thème obsessionnel de l’éducation nationale. Le vocabulaire guerrier a largement pénétré l’Ecole. On a la mobilisation. On a les « réservistes ». Ce n’est que de la rhétorique. Mais elle enrichit le climat général…

Derrière le drapeau tricolore, il faudrait être bien certain qu’on défende les valeurs démocratiques et non une « francité ». Nul doute que les enseignants soient attachés aux valeurs démocratiques. Le récent travail de François Durpaire sur l’enseignement de la Marseillaise (dans Recherches en éducation) le montre.

Mais l’Ecole n’est ni hors sol ni à l’abri des stéréotypes et des discriminations. On voit bien comment la laïcité par exemple est tirée dans tous les sens et source de dérapages. De la porte d’entrée de l’école à la cantine, elle peut être utilisée dans une optique identitaire pour délimiter le « nous » et « les autres ».

Car l’école est au premier rang. C’est elle qui doit distinguer le voile du fichu ou la jupe trop longue d’une élève ou d’une mère de famille. On lui demande aussi de détecter les cas de « radicalisation ». Au lieu d’être le foyer d’accueil de tous les enfants et leurs parents, elle est parfois amenée à trier et rejeter.

La France vit déjà dans les peurs liées au terrorisme et à l’état d’urgence prolongé. A quelques mois des présidentielles, le Brexit va devenir un accélérateur de nos discordes. Alors que les extrémistes sont à la porte du pouvoir, les enseignants vont vivre ici aussi la montée des tensions et des pressions.

Le projet de l’Ecole est celui des valeurs d’humanisme, d’égalité entre les hommes et d’ouverture au débat et au dialogue. C’est celui de la fraternité. Dans les mois qui viennent il va falloir la défendre un peu plus que prévu.

François Jarraud

Pour une Ecole de la fraternité

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