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Vous pensez qu’une piscine est a priori destinée à la nage pour le plaisir et à l’entraînement sportif ? Voilà une conception bien restrictive que la cinéaste Solveig Anspach et son scénariste Jean-Luc Gaget remettent en cause d’entrée de jeu. Ils imaginent en effet les trésors d’invention déployés par le grutier Sami, victime d’un coup de foudre si puissant qu’il est prêt (alors qu’il sait nager) à prendre des leçons de natation avec Agathe, maître-nageur de son état et objet de son désir. Un mensonge et des conséquences en cascades qui nous conduisent, de l’eau chlorée de la piscine de Montreuil aux sources chaudes de la lointaine Island, sur les traces d’un couple improbable. Et nous savourons une comédie légère et décalée, mêlant cocasserie, burlesque et romance : les amoureux cèdent à leur désir et nous succombons à leur douce folie. « L’Effet aquatique » distille son charme.

Piscine, modes d’emploi

Un ouvrier, casque de chantier sur la tête, regarde d’en haut, les grands immeubles d’une cité. Plus tard, dans un bar, Samir (Samir Guesmi) le grutier, croise Agathe (Florence Loiret- Caille) et tombe éperdument amoureux. Comme elle est maître-nageur à la piscine Maurice Thorez de Montreuil, il est prêt à tout, même à prendre des cours de nage avec elle. Il ne lui suffit pourtant pas d’acheter un maillot de bain. A sa première visite dans un lieu dont il n’est pas un habitué, il découvre rites et codes : préinscription nécessaire, impossibilité de choisir son professeur, douche obligatoire…Il subit même les conseils appuyés de savonnage et les regards insistants d’une autre professeure de natation (Olivia Côte), un peu obsédée par la musculation masculine. A la première leçon particulière avec Agathe, c’est l’extase. Samir en élève appliqué profite au maximum des effleurements et des rapprochements physiques que le cours implique. Nous sommes avec lui, lorsqu’il plonge son corps sous l’eau, ouvre les yeux et contemple le corps de sa belle professeure. ‘C’est courageux d’apprendre à nager à votre âge mais c’est pas gagné !’, constate Agathe. Peu à peu, la piscine se transforme sous nos yeux et change d’usage, en particulier la nuit où elle devient territoire de séduction, espace de solitude et de liberté. Impossible de révéler ici le sort réservé par l’administration à un employé municipal pris en flagrant délit de visite nocturne de l’établissement en compagnie de deux filles à séduire. Toujours est-il que Samir lui aussi, comme par hasard, se retrouve enfermé sans l’avoir voulu de nuit dans la piscine et y découvre Agathe en train de profiter du silence et de la solitude du lieu. Tout en faisant des longueurs. Un contexte exceptionnel propice au vertige des sens. Il n’empêche. Samir est démasqué. Il sait nager. Agathe déteste le mensonge.

Plongée dans l’inconnu en Islande

Le réveil est brutal. Notre héros apprend que la belle a quitté la piscine. Elle est partie en tant que représentante de la Seine-Saint-Denis à un congrès international de sa profession en Islande. Le sang de Samir ne fait qu’un tour. Il prend avion et bateau pour atteindre le lieu de ce congrès et rejoindre celle qu’il aime. Accueilli froidement, il parvient cependant à se mêler aux congressistes et, sommée par Agathe d’exposer son projet en assemblée générale, il improvise. Il se présente comme un délégué israélien militant pour la paix et favorable à la construction d’une piscine avec des Palestiniens. Son mensonge séduit et Agathe fulmine. Il serait à nouveau criminel de dévoiler les multiples épreuves traversées par Samir pour (re)conquérir le cœur d’Agathe : échanges détonants avec des organisateurs(trices) fantasques, rencontres saugrenues avec des habitants aux mœurs étranges, mystérieuse course-poursuite à travers les magnifiques paysages d’Islande…

Au terme d’un périple semé d’embûches et de quiproquos, nous retrouvons les deux amants radieux, enlacés, plongés dans un lac de sources chaudes, entouré d’un halo de vapeur.

Sans surplomber ses personnages, pour son dernier film, Solveig Anspach (disparue au cours d’un montage achevé par son équipe) nous livre encore une comédie pleine de fantaisie, pétrie d’humanité, portée par des comédiens tous épatants. Depuis « Haut les cœurs » en 1999, -son premier long métrage largement récompensé, pour lequel Karin Viard la reçu le César de la meilleure actrice-, la cinéaste n’a cessé de mettre en scène des épreuves de vie singulière : ses personnages ne sont pas des risque-tout ou des brise-barrières mais de doux insurgés qui ne transigent pas avec leurs rêves profonds. A la manière de l’héroïne ordinaire de « Lulu, femme nue » (2012) qui prend le large sans coup férir, les protagonistes de « L’Effet aquatique » trouvent leur liberté sans renverser la table. Ils explorent les bienfaits de la brasse coulée en eau chlorée et finissent par savourer les délices d’une étreinte prolongée en sources chaudes. Et, mine de rien, le pouvoir subversif de leur état amoureux nous saute aux yeux.

Samra Bonvoisin

« L’Effet aquatique », film de Solveig Anspach-sortie en salle mercredi 29 juin 2016

Sélection ‘Quinzaine des réalisateurs’, festival de Cannes 2016