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Pas facile de monter ce numéro de revue sur un thème quasi inaudible aujourd’hui. Coordinatrice, ave Geneviève Zoia, du numéro de Recherches en éducation sur École, citoyenneté, ethnicité, Béatrice Mabilon-Bonfils témoigne de leur difficulté à publier. Surtout elle fait le lien entre les blocages de l’école française, notamment sa crise pédagogique, et la crispation identitaire autour de la laïcité.

Longtemps l’Ecole a été assimilationniste. Elle a préparé des jeunes à entrer dans la société française en les passant dans un moule uniforme. Pourquoi remettre cela en question aujourd’hui ?

Parce que le paysage français a changé. La France est devenue beaucoup plus pluriculturelle. Et des demandes de pluri-culturalité lui sont adressées sans qu’elle y réponde. Il y a un véritable déni autour de ces questions. Cette non réponse renforce les discriminations et les inégalités. L’Ecole a été politiquement construite pour fabriquer du commun. Mais ce commun, produit d’une hégémonie culturelle, n’est plus aujourd’hui intériorisé.

Du coup cette fabrique du commun doit prendre en compte une autre forme de construction du commun. Depuis une génération, l’école scolarise tous les publics elle doit s’adapter dans une laïcité d’inclusion. Car les discriminations ethniques sont importantes à l’école.

La laïcité est devenue une question centrale de l’Ecole. Pourquoi ce débat entre laïcité souple et rigide ?

Aujourd’hui elle est devenue, pour moi, au moyen d’un affichage excessif, un instrument d’agression des minorités. Elle est vécue comme quelque chose d’injuste par toute une partie des publics scolaires au lieu d’être un instrument de construction du commun.

Jamais dans l’histoire elle n’a connu une interprétation aussi extensive. La loi de 2004 finalement aurait pu clore la question. Si, d’un coté, elle a engendré un développement des écoles musulmanes, de l’autre la plupart des jeunes filles musulmanes ont joué le jeu.

Mais on voit maintenant le problème se démultiplier. On voit des jeunes filles exclues parce qu’elle portent une robe noire. On voit la question posée dans les cantines. La question du voile fait aussi surface à l’université, dans les stages, ou pour les étudiants professeurs.

Au delà de la question de l’Islam, la laïcité renvoie à une crispation identitaire qui dépasse le cadre scolaire. Cette interprétation extensive n’est pas sans effet sur les imaginaires mais aussi sur les pratiques notamment scolaires.

Je vais vous donner un exemple. Une étudiante qui prépare le concours du professorat du secondaire professionnel porte le voile en dehors de l’établissement. Arrivée devant son lycée elle enlève son voile dans sa voiture. Elle est convoquée par le proviseur qui lui indique que certains enseignants et élèves peuvent la voir dans sa voiture. Ce type de pratique est possible du fait de cette interprétation extensive de la laïcité.

D’où l’idée qu’il faut reconstruire une laïcité qui fasse sens notamment pour les publics les plus déshérités qui mesurent bien l’écart entre un discours d’égalité des chances et la discrimination sociale et ethnique et les ghettos scolaires.

Il faut bien voir qu’on est arrivé à un apartheid, une éducation séparée, avec des établissements homogènes ethniquement.

Cet écart grandissant entre le discours affiché de laïcité et du vivre ensemble et la réalité du ghetto montre qu’il faut repenser la laïcité. Sur ce point les « 11 mesures pour remettre la laïcité dans l’école » ont été très contre productives.

Dans la revue, vous apportez des faits. Quels exemples rappelleriez vous pour ces discriminations a l’intérieur de l’école ?

Je dois d’abord dire que cela a été très difficile de trouver une revue scientifique qui accueille ce travail. Il a fallu plus d’un an de recherche . Cela est à mettre avec les difficultés de penser en France les questions de la laïcité.

Dans la revue on pointe des arguments scientifiques pour montrer quels types de discrimination ethnique l’école peut porter.

L’article de Iuliana Lunca Popa montre en quoi la variable ethnique est la plus discriminante en matière de performances scolaires c’est a dire de prophétie auto réalisatrice. Les travaux d’Olivier Cousin qui travaille sur les questions de diversité en comparant l’hopital et l’école met en évidence que face aux mêmes questions ils répondent de façon différente. Les adaptations que l’hopital peut trouver ne se retrouvent pas dans l’école où les enseignants pensent l’élève comme un être abstrait sans appartenance ethnique.

Ce numéro étudie les effets de ces représentations de l’autre sur les pratiques. Qu’il s’agisse de l’image des musulmans dans les manuels et les curricula, ou de la manière dont dans les conseils de discipline on attribue l’altérité sur les individus. F Durpaire, dans un article sur la Marseillaise montre bien le sentiment de discrimination scolaire. L’appartenance ethnique est bien la variable la plus discriminantes.

Pourquoi l’école réagit-elle comme cela ?

Parce que il y a une espèce de grammaire sociale scolaire qui construit l’imaginaire enseignant. Une des raisons profondes c’est que l’identité professionnelle enseignante a vécu. Cette crise de l’identité suscite un besoin de quelque chose pour tenir. On se réfère alors à la laïcité que chacun voit à sa manière. Il y a aussi un vide dans la recherche car on n’a pas de statistiques ethniques. Il y a aussi une peur à affronter cette question. Le grand débat sur l’identité nationale laisse des traces et rend plus difficile, en cette période de tension, de poser ces questions.

On l’a bien vu lors de la minute de silence. Au lieu de se demander pourquoi des élèves bavardent durant cette minute et d’être dans le débat on réagit par la sanction. Quand on répond par des cours de morale laïque très surplombants et transversaux on oublie de penser qu’aujourd’hui la forme scolaire ne peut plus fonctionner ainsi.

Par delà la superficialité des réformes successives, la forme scolaire transmissive a peu bougé. Si bien que cette forme rigide dans une école de plus en plus « liquide » ne fonctionne plus vraiment. La question ethnique est le point d’émergence de cette mise en question de la forme scolaire.

Que peut faire l’Ecole face à cela ?

Une véritable révolution dans la pensée. Il faudrait recruter et former les enseignants autrement. Sinon les questions de société resteront complexes à aborder pour eux. L’école devrait être plus ouverte à la pédagogie, à la recherche collaborative, aux parents aussi, par exemple aux mamans voilées. Il est temps de revoir la pédagogie.

Propos recueillis par François Jarraud

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