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Peut-on débattre sereinement de la laïcité et spécifiquement de la laïcité à l’Ecole ? Pas sur. De charte de la laïcité à la « mobilisation » pour les valeurs, de la jupe trop longue à la maman trop voilée, il semble que l’Ecole soit prise d’une frénésie identitaire qui envahit peu à peu tout l’espace scolaire. Paradoxalement, elle le fait d’autant mieux que celui-ci est déjà clivé ethniquement d’une façon qui saute aux yeux mais que personne ne semble vouloir voir. C’est sur cette réalité que la revue Recherches en éducation ouvre les yeux à travers une dizaine de travaux sélectionnés par Béatrice Mabilon-Bonfils, Université Cergy-Pontoise, et Geneviève Zoïa, Université de Montpellier. Un numéro interroge fortement l’Ecole.

La laïcité une nostalgie de réaction ?

« La laïcité procède aujourd’hui d’une nostalgie collective de réaction : elle n’a jamais été autant sollicitée, mais sa promotion dans l’espace public manifeste une crainte de l’avenir et des mutations dont il est porteur, et une crainte des différences culturelles présentes dans la société. Elle est, concrètement, de plus en plus comprise comme le contraire de la possibilité de différences culturelles coexistant dans l’espace public », écrivent B Mabilon-Bonfils et G Zoia dans la présentation de ce numéro.  » Le modèle idéal républicain contraste fortement avec les fonctionnements concrets de nombre d’établissements scolaires ».

Co-auteure de « Fatima moins bien notée que Marianne », Béatrice Mabilon-Bonfils a déjà secoué l’Ecole avec l’idée qu’il « y a une islamophobie dans l’école qui est aussi de et par l’école ». Dans ce numéro, avec G. Zoïa, elle publie des travaux rares qui montrent la profondeur de la dimension ethnique dans l’école française.

Le clivage ethnique mis e évidence jusque dans la classe

Et d’abord que pensent les élèves de la laïcité ? Jean-François Bruneau met en évidence le clivage ethnique et religieux par rapport à cette notion qui oppose, en gros, des chrétiens non pratiquants partisans d’une conception « rigide » de la laïcité à des musulmans et des Maghrébins partisans de la « souplesse ».

Il faut lire l’article de Iuliana Lunca Popa qui met en évidence l’importance de la dimension ethnique dans l’évaluation d’enfants de Cm1 en procédant à une correction anonyme sur support numérique.  » Les représentations des enseignants à l’égard des élèves dont le nom laisse à supposer qu’ils ont une origine française étaient plus positives avant le travail collaboratif et anonyme. Ce résultat pourrait nous faire penser que les enseignants ont des préjugés quant à l’origine supposée de l’élève », écrit-elle.

François Durpaire a travaillé de son coté sur l’enseignement de la Marseillaise. Il montre que les enseignants sont réticents à son enseignement. Mais aussi que le critère ethnique est le plus déterminent pour la connaissance de ce chant.

La nécessité de former les enseignants

B Mabilon-Bonfils et Virginie Martin rappellent les études sur les conseils de discipline qui montre « l’attribution d’altérité dans les interactions » des conseils. Elles mettent en évidence la même dimension ethnique dans le sentiment de discrimination ressenti à l’Ecole.

Pour G Zoia,  » côtoyer à l’école des individus différents constitue une expérience à la fois extrêmement valorisée en théorie, et en réalité une épreuve souvent difficile pour les parents, les élèves, les professionnels du système éducatif : ni les uns ni les autres ne sont formés ou accompagnés pour ces rencontres pourtant quotidiennes ».

Laissons lui la conclusion :  » Contrairement à ce que laisse entendre la notion de conflit de socialisation, les valeurs et les comportements des émigrés et de leurs enfants ne sont pas le produit d’une plus ou moins grande résistance à l’incorporation d’éléments de la société majoritaire (Simon, 2013), mais dépendent largement du modèle de la société d’accueil (Streiff-Fénard, 2006) et témoignent de constructions et d’aménagements identitaires subtils. Notre analyse montre que la formation universitaire des futurs enseignants évite ces sujets qui travaillent pourtant en retour l’institution scolaire et la société. Cet évitement est compensé par des approches institutionnelles de réaffirmation de valeurs républicaines qui ne sont pas débattues. Nous pouvons reprendre l’expression d’une étudiante et parler de son « foulard républicain » : ce signe, que sa mère n’arbore pas, autorise pour elle une démarche négociée. Cette complexité gagnerait à être travaillée en formation pour les étudiants et stagiaires futurs enseignants. S’ils en pressentent la nécessité, ces derniers – ainsi que leurs formateurs – la redoutent tout autant. L’institution scolaire, incarnée par les instances hiérarchiques locales, leur propose un habitus « qui sait », qui a des réponses et les applique, alors que ses représentants sont en réalité individuellement en grande insécurité sur la maîtrise des ces enjeux contemporains ».

François Jarraud

Le numéro peut être lu intégralement gratuitement

Recherches en éducation, n°26, Ecole, citoyenneté, laïcité.

Fatima moins bien notée que Marianne

Sur la Marseillaise