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La journée de ce mercredi 25 août, à Ludovia a été marquée par l’intervention de Monsieur Jean Marc Monteil, conseiller du premier ministre en charge d’une mission sur le numérique en éducation, qui ouvrait la journée. Très attendue de la part d’un public acquis à la cause du numérique, cette conférence s’est en fait transformée en cours universitaire du professeur Monteil. Pendant plus d’une heure, l’orateur a fait cours et a donc exposé les travaux des recherche (presque exclusivement les siens d’ailleurs) concernant une partie du thème de ces rencontres : « contexte et performance cognitive ». S’il faut retenir une interrogation, posée dès le début, mais tardivement explicitée, c’est celle qui consiste à se demander : « que peut le numérique ? » dans cet espace de l’enseigner et de l’apprendre. A l’instar de Patrick Boucheron professeur au collège de France dont la leçon inaugurale était intitulée « que peut l’histoire ? », Jean Marc Monteil a donc fait une « leçon » imitant parfois Stanislas Dehaene (dont on peut voir les vidéos des cours sur le site du collège de France) dans la méthode comme sur le fond. Quelle pouvait donc être l’intention de l’orateur ? D’une part sortir des questions strictement centrées sur le numérique; d’autre part rappeler sa légitimité scientifique; enfin tenter de faire passer un message sur le lien entre la recherche et l’enseignement. La journée a d’ailleurs continué dans la même tonalité comme nous le verrons plus loin.

Un cours un peu loin…

En revenant au contenu du cours, les auditeurs, nombreux, ont pu comprendre plusieurs éléments essentiels. En premier lieu, l’effet du contexte de la tâche comme facteur favorisant ou non la réussite des élèves. JM Monteil a mis en évidence, à partir de ses propres travaux, le fait qu’une situation scolaire influe positivement sur la performance des élèves en réussite scolaire. En deuxième lieu il a montré que les élèves sont très influencés par ce qu’il a nommé le contexte de soi. Selon que je me considère comme bon ou mauvais élèves, je réussis plus ou moins ce que l’on veut me faire apprendre. Ensuite il a mis en évidence le poids de la réputation des disciplines dans la réussite des différents types d’élèves. Un élève brillant sait mesurer l’importance d’une discipline et ainsi orienter son attention sur celles qui sont prioritaires. Enfin les auditeurs ont pu comprendre combien la comparaison sociale et cognitive est un facteur important sur la réussite des apprentissages.

Devant un public acquis à la cause du numérique, le cours a pu sembler un peu loin des préoccupations de cette session de Ludovia. Or c’est là que le propos de JM Monteil touche juste. D’une part, comme nous l’avons fait remarquer précédemment, avant de parler numérique, il faut comprendre le fonctionnement humain. D’autre part il est temps que les praticiens et les chercheurs se rencontrent et collaborent davantage. Sans critiquer a priori le travail des chercheurs, JM Monteil explique que l’on n’a pas assez adossé la pratique à la recherche. Mais la question qui a été posée dans la salle était de savoir de quoi l’on parlait : qu’est-ce qu’une recherche, qu’est-ce qu’une pratique ? Sans tenter de répondre à ces questions, il a au moins soulevé le voile en évoquant d’autres champs disciplinaires dont la médecine. Mais il a aussi évoqué la question du lien entre la recherche fondamentale, considérée comme indispensable, et la recherche appliquée vue comme la « traduction » opérationnelle des travaux de recherche. Mais quid du numérique ? Dans une conclusion un peu surprenante JM Monteil a évoqué, prudemment et sans vraiment la nommer, la théorie des intelligences multiples de Howard Gardner. Surprenant car, alors qu’il évoquait la nécessaire rigueur scientifique, il convoquait un travail dont on connaît bien les interrogations qu’il laisse aux spécialistes de la question. Cela a permis à JM Monteil de signaler simplement que le numérique élargit l’habillage des tâches et qu’en cela il ouvre un espace des possibles nouveau pour l’enseigner et l’apprendre. En d’autres termes, le numérique permet d’enrichir les supports que l’enseignant peut proposer à ses élèves.

Explorcamp et barcamp…

La suite de la journée a été marquée par la dispersion des participants autour de la multiplicité des sollicitations simultanées. Entre les explorcamp, les tables rondes et le colloque scientifique, difficile de s’y retrouver, d’autant plus que chacune des propositions peut intéresser. Nous nous sommes, l’après-midi, intéressé à la suite de la participation de JM Monteil accompagné de l’IGEN Alain Seré qui travaille avec lui auprès du premier ministre. Le début de l’après-midi a amené les laboratoires de recherche à présenter leurs travaux. Le CRI de Paris (Ange Ansour), Techne de Poitiers (Bruno Devauchelle et quatre doctorants), ou encore l’Université de Toulouse (André Tricot) ainsi que d’autres doctorants, ont présenté, rapidement, leurs travaux. Ils ont surtout démontré combien les questions évoquées le matin dans la conférence rencontraient des échos dans les laboratoires présents. En effet chacun des laboratoires a montré son implication auprès des enseignants et des équipes éducatives dans leurs travaux.

Reste évidemment la question du lien. Ce fut l’objet du « barcamp » piloté par Michel Guillou en fin d’après-midi. Malheureusement, la question du rapprochement entre la recherche et la pratique reste en fait une question sans réponse. Mais c’est d’abord parce qu’elle est mal posée. En effet, en entendant le cours du matin, nombre de présents ont dû se dire qu’ils étaient bien éloignés de ces travaux de recherche expérimentale en sciences du comportement. Ce sont en particulier les enseignants qui ont mesuré combien il y avait d’écart entre des travaux de laboratoire et le quotidien de l’enseignant. Conscient de cela, JM Monteil n’a pas nié la difficulté, mais n’a pas, non plus, au cours de la journée, apporté de clés ou d’ouvertures pour envisager d’autres modalités. N’évoquant qu’anecdotiquement la formation et encore plus rarement les modalités concrètes de cette évolution, des deux côtés, il n’a pas vraiment apporté de pistes nouvelles, si tant est qu’il en avait.

Finalement l’intérêt de cette journée est bien de rappeler qu’une pratique n’est pas neutre, qu’elle a des effets, qu’elle est parfois fondée sur des savoirs mais plus souvent sur des représentations ou des impressions. Or c’est justement parce que ce « plafond de verre » est présent que l’on regrettera que les propositions n’aillent pas plus loin. Pour le dire autrement, si les travaux de recherche sont essentiels, il est encore loin le temps du lien avec la pratique. Il est probable qu’il ne suffira pas d’un « pool » de doctorant et de chercheurs patentés pour qu’enfin le lien se fasse. Il faut travailler sur les représentations de tous les acteurs, or le cours de Monsieur Monteil a constitué, pour certains un contre-exemple, malgré l’intérêt réel qu’il a suscité…

Bruno Devauchelle