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Non seulement ils se retrouvent seuls dans un pays inconnu après des périples épuisants, mais ils sont à la rue, désoeuvrés, traînant leur angoisse. Cette première chronique de l’année est consacrée à ces jeunes privés de rentrée scolaire : les mineurs étrangers isolés.

Ce lundi 5 septembre, Marthe fêtera ses 16 ans. Comme chaque jour, elle restera le plus longtemps possible dans le centre où elle dort en ce moment à Paris. Il ferme entre 7 heures 30 et 17 heures mais une salle demeure ouverte.

Puis avec sa nouvelle copine Blondel, 14 ans, débarquée en France aussi au début de l’été, elles iront marcher dans les rues pour passer le temps, puis chercheront un parc pour s’asseoir.

A force d’errer sans un sou ni même un ticket de métro, toutes les deux n’ont plus grand-chose de neuf à se raconter. Alors elles lisent les romans qu’elle trouve au centre. Marthe sort de son sac celui qu’elle lit (voir photo):  » Album de famille  » de Danielle Steel.  » Lire, ça passe le temps, explique-t-elle, mais j’aimerais bien mieux aller à l’école ! « 

Non accompagnés

Marthe et Blondel faisaient partie des jeunes migrants isolés – ou « non accompagnés » dans la langue officielle -, qui participaient à la manifestation organisée le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire, par des collectifs et par des militants devant l’Hôtel de Ville, à Paris. Thème de la mobilisation :  » Et pour eux, quelle rentrée ? « 

S’il est impossible de connaître leur nombre exact, des dizaines, voire à certaines périodes des centaines de mineurs étrangers hantent les rues de Paris. A l’instar des adultes, la plupart viennent de pays en conflit. Ils sont érythréens, soudanais, afghans, mais aussi guinéens, maliens, congolais, algériens….

A leur arrivé, ils doivent se présenter au DEMIE (le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers). S’ils sont acceptés, ils seront pris en charge par l’ASE (l’Aide sociale à l’enfance) et pourront bénéficier d’un certain nombre de droits – hébergement, allocation, scolarisation (1), etc.

Soupçons de non-minorité

Mais comme Marthe et Blondel, la plupart sont refusés (2). « Ils sont bien 90% à l’être, assure Agathe Nadimi qui se présente comme une citoyenne solidaire. Soit on les soupçonne de masquer leur âge et de ne pas être mineurs, soit leurs récits sont jugés incohérents ou incomplets. Ils sont alors renvoyés à la rue et plus personne ne s’en occupe ! « 

Une partie des  » refusés  » déposent des recours, comme Blondel et Marthe. Entre 50% et 60% seront finalement acceptés… Mais cela signifie plusieurs semaines, voire plusieurs mois d’attente. Certains sont hébergés dans des centres ou dans des hôtels sociaux. Mais la plupart survivent à la rue, dans les campements parisiens.

D’autres « refusés » disparaissent, poursuivant leur route vers le nord de la France, l’Allemagne…

Sans fin ni but

Place de l’Hôtel de Ville le 1er septembre, les organisateurs du happening avaient distribué des emplois du temps factices pour illustrer les journées sans fin ni but de ces mineurs  » refusés « . Alors que d’autres étudient l’histoire et la géographie, eux passent la matiné à faire des test osseux pour prouver qu’ils sont mineurs, et l’après-midi à tenter de s’expliquer sans interprète au travailleur social du DEMIE.. Et la plupart du temps, sans manger le midi.

Agathe Nadimi et d’autres militants ont obtenu une salle à la Bibliothèque Couronnes, dans le 20è arrondissement de Paris, les jeudi et vendredi matin. Ils y donnent des cours de français à de jeunes migrants non francophones.

 » Qu’on arrête de leur faire perdre du temps sans école ni cours, un temps précieux pour leur reconstruction, explique-t-elle. Ils étaient encore une trentaine la dernière fois présents aux cours. Malgré leur vie difficile, ils arrivent à se lever et à venir à l’heure. Preuve qu’ils sont motivés.  »

Refus politique

D’après elle, la Mairie de Paris (3) ne fait rien ou presque.  » La responsable en charge du dossier se félicite que l’on soit passé de 70 à 100 places d’hébergement d’urgence. Et ça lui suffit. Mais pourquoi n’a-t-on pas ouvert cet été une Maison des mineurs ? »

Parmi les signataires à l’appel à manifester le 1er septembre, le collectif RESF 75 (4). Très actif auprès des jeunes sans papiers scolarisés dans la capitale, il a remporté un certain nombre de victoires, réussissant à en faire prendre en charge une centaine dans des centres d’accueil.

Pour beaucoup, le blocage actuel sur la scolarisation des mineurs isolés arrivant en France est largement politique. En acceptant de les scolariser dans les classes d’accueil des lycées parisiens, les pouvoirs publics redoutent de se retrouver face à des mobilisations et à un bruit médiatique qui les obligeraient à mettre ces jeunes à l’abri.

 » L’école, ma priorité « 

 » Si je suis là sur cette place, c’est pour demander de pouvoir aller à l’école. Pourquoi, nous, on n’y aurait pas droit ? C’est le seul moyen pour faire quelque chose dans la vie. Au lieu de ça, on a des journées à rien faire, longues, longues « , soupirent Marthe et Blondel.

Interrogées, elles racontent leurs histoires par bribes. Marthe a quitté Kinshasa, en République Démocratique du Congo, avec une dame qui lui avait promis de l’embaucher pour garder ses enfant. Mais à l’arrivée, il n’y avait pas d’enfants. Et la femme lui a demandé de se prostituer pour lui rembourser les frais du voyage en France.

Blondel, visage rond et cheveux retenus par un serre-tête, a fait le voyage depuis l’Angola. Elle suivait l’école là-bas, en portugais. Ses parents étant congolais, elle parle aussi bien le français.  » L’école, c’est ma priorité, j’aime étudier, j’ai besoin d’aller à l’école « , insiste-t-elle.

 » Nous accueillons…. »

Blondel est partie d’Angola avec des connaissances et est arrivée le 17 juin à Paris – Marthe. Sa mère est décédée. « Je ne sais pas si je suis aussi orpheline de père. Depuis un affrontement armé en 2015 je n’ai plus de nouvelles de mon père. »

Place de l’Hôtel de Ville, alors que certains improvisaient un cours par terre, cahiers et crayons en main, une main avait accroché sur un tronc d’arbre un verbe conjugé au présent: « j’accueille, tu accueilles, il accueille, nous accueillons.. »

Véronique Soulé

(1) sur le droit à la scolarisation: http://infomie.net/spip.php?rubrique205

(2) sur les difficultés de l’accueil: http://www.gisti.org/spip.php?rubrique260#nb1

(3) le dispositif de la Ville de Paris sur les mineurs isolés étrangers

(4) http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article54143

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