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Le Big datathon a pour objectif d’inviter des équipes à imaginer et initier des applications qui permettent d’utiliser de manière éducative les données massives. Sur 50 équipes qui ont concouru en mai pour ce big datathon, 6 sont venues à CANOPE pendant cette dernière semaine. Le projet de chaque équipe a été présenté en clôture du Campus européen d’été, dans les locaux poitevins du conseil régional « nouvelle Aquitaine ». Si le projet primé concernait la mise en place d’un réseau de projets pédagogiques (Lycée Polyvalent innovant de Poitiers), les autres projets semblaient bien intéressants : la collecte de données sur les petits déjeuners des enfants pour éduquer à la santé, un projet d’analyse du bruit ambiant en temps réel pour améliorer le confort sonore des établissements, une application d’éducation aux données utilisant elle-même les données pour en prendre conscience, un projet d’e-learning adaptatif et enfin un projet sur l’orientation et l’adéquation formation emploi en Afrique. Dans tous ces projets, ce sont les données recueillies et traitées qui sont au coeur de l’application. Ainsi a pu être facilement démontré que la place prise par les données est désormais si importante qu’on ne peut les négliger.

Ne pas subir les algorithmes

Dominique Cardon, désormais enseignant chercheur au Medialab de Sciences po à Paris, est venu compléter les apports de la semaine en apportant, à la suite de son ouvrage sur les algorithmes, ses questionnements et son souhait de voir une réelle prise de conscience sur les big data et plus largement sur l’éducation nécessaire de la population à cette question. Le risque d’une invisibilité totale de ces données et de leur traitement pourrait entraîner des conséquences importantes aussi bien pour la compréhension que pour la liberté. Pour Dominique Cardon, nous ne sommes pas condamnés à subir les algorithmes. Le retour en grâce, pour la troisième fois, de l’idée d’intelligence artificielle doit nous amener à comprendre que l’on passe des données aux contextes. Autrement dit, ce que l’ordinateur est invité à faire ce n’est pas d’abord d’analyser les données, mais de s’adapter progressivement au contexte dans lequel ces données émergent pour ensuite s’adapter et fournir à l’utilisateur les éléments pertinents à ce contexte. C’est évidemment la question de l’enfermement progressif de chacun de nous dans notre propre contexte dont il est question. Plus je fournis d’information aux moteurs de recherches et autres réseaux sociaux, plus ceux-ci sont capable de nous renvoyer des informations proches. Nous sommes alors face à un algorithme qui prédit ce que nous attendons de trouver et nous le fournit. Ainsi la découverte de ce qui est nouveau nous sera presque interdite, limitée par ces services qui s’appuient sur ces travaux dits d’intelligence artificielle et dont Dominique Cardon montre qu’il faut rester très lucide sur leurs performances somme toute limitées.

Nos données face au marché et à l’Etat

Nous sommes monotones et les algorithmes nous renvoient à notre monotonie, ils nous offrent un miroir de nos conduites. C’est ainsi que l’on peut essayer de comprendre aussi bien l’apparente force des données et des programmes. Toutefois cette centration sur l’usager et son contexte sont une interrogation éducative majeure : Comment éduquer les jeunes à accéder à autre chose que ce qu’ils connaissent déjà ? Mais aussi comment amener les jeunes à comprendre la place des données et les algorithmes associés ?

A la fin de cette semaine consacrée aux données, il reste à l’éducateur un nouveau champ de réflexion à explorer. Petites ou grandes, elles sont omniprésentes dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas nouveau, mais l’accélérateur du numérique est très puissant. Aussi chacun tente d’y voir clair : les pouvoirs politiques pour mieux contrôler les populations (comme la votation en Suisse de ce 25 septembre l’illustre) ; les marchands pour garantir leurs parts de marché ; et tant d’autres pour qui l’exploitation des données peut apporter un plus à leur activité.

Fascination de voir, peur d’être vu…

En conclusion, il faut lancer un appel à la lucidité dans l’enseignement. Depuis très longtemps nous sommes avides de mieux connaître nos élèves et leurs comportements. Suivre sur un système d’enseignement à distance ou sur un ENT les activités des élèves est un autre moyen d’accéder à ces comportements : à quelle heure font-ils leurs devoir ? quels document utilisent-ils ? sur quels sites internet vont-ils ? etc. Si les propositions de certains concepteurs de logiciels se confirment il est probable que les données sur les élèves vont se multiplier. Elles seront parfois analysées automatiquement pour proposer un diagnostic aux enseignants. On peut même imaginer que les élèves aient aussi des retours sur leur manière d’apprendre et ainsi des conseils pour s’améliorer. Jusqu’à présent les notes, les absences étaient les seuls éléments de suivi. Avec la multiplication des moyens de capter des informations sur les élèves, jusqu’où pourra-t-on ne pas aller ?

A la fin de cette semaine consacrée aux données en éducation, il reste un sentiment partagé : d’une part la fascination de voir mieux, d’autre par la peur d’être vu… Et entre les deux il y a l’acte éducatif. Des entrepreneurs aux institutionnels ou aux chercheurs, tous ont bien remarqué qu’il y avait une faiblesse générale face à la protection de nos données, de notre personne. Le fameux « si je n’ai rien à me reprocher, je n’ai rien à cacher » est la porte ouverte à tous les excès. Il est nécessaire de reformuler cet adage : « si je n’ai rien à me reprocher, je suis encore plus vigilant sur ce que l’on veut savoir de moi » ! Nous sommes probablement déjà dépassés par l’enregistrement, à notre insu, de nos données.

Bruno Devauchelle

Post Scriptum : Rappelons aussi que la région de Poitiers est un acteur de plus en plus dynamique dans le domaine des « edtech », les technologies pour l’edutainment et de l’éducation. Le label French Tech a été attribué à l’ensemble des acteurs regroupés dans le SPN (réSeau des Professionnels du Numérique), et jeudi 22 au soir dans les locaux de l’Université de Poitiers à l’ESPE, était officiellement remis ce label en présence de tous les acteurs concernés et des élus de la région. Le dynamisme des acteurs de la région autour des technologies éducatives mais aussi du jeu et de l’image (Angoulême en particulier) est un élément important au moment où l’insistance sur la question du numérique en éducation fait consensus dans le monde des décideurs politiques. Encore faut-il que la recherche, l’innovation soient au rendez-vous ce qui est le rôle de ce label destiné à accompagner les entreprises et les acteurs du secteur dans des projets variés.