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Qui est responsable de la ségrégation sociale à l’Ecole ? Alors que la question des inégalités sociales dans le système éducatif français s’est enfin imposée dans le débat public depuis la publication du Cnesco, la Depp, division des études du ministère de l’Education nationale, publie une nouvelle étude, dans la revue Education et formations, qui pointe principalement le rôle de la ségrégation résidentielle et du privé dans la ségrégation sociale à l’Ecole. Plus d’un an après une conférence internationale tenue par le Cnesco sur ce sujet, l’étude de la Depp s’appuie sur un nouvel indicateur et atténue la responsabilité de l’école publique…

Une étude qui vient un an après celle du Cnesco

« Sur le terrain, les « ghettos » scolaires sont connus, dénoncés, mais leur invisibilité statistique demeure. La ségrégation sociale à l’école reste taboue. Or, on ne peut développer de politiques publiques sans mesurer l’ampleur des phénomènes auxquels on s’attaque. La connaissance précède l’action. » En mai 2015, le Cnesco a organisé une conférence internationale sur la mixité sociale à l’Ecole, ap puyée sur de nouvelles études.

Sa conclusion c’était notamment que  » les collégiens et lycéens d’origine aisée comptent en moyenne dans leur classe deux fois plus de camarades également d’origine aisée que les élèves des classes moyennes et populaires.. De même, les meilleurs élèves comptent en moyenne deux fois plus de camarades d’un niveau équivalent au leur que les autres élèves ».

En partant d’une approche par catégorie sociale et niveau scolaire, l’étude du Cnesco pointait les inégalités sociales dans le système éducatif français. L’étude montrait aussi le rôle de la ségrégation entre les classes d’un même établissement dans la construction de la ségrégation. Enfin elle montrait également que la présence d’un établissement privé près de collèges public renforçait la ségrégation.

Un nouvel indicateur qui pointe le privé

L’étude, réalisée par P Givord, M Guillerm, O Monso et F Murat, montre que les collèges privés ont deux fois moins d’élèves venus des catégories sociales défavorisées que les collèges publics (20 contre 42%). La majorité des collèges publics compte plus d’élèves défavorisés que la moyenne nationale (38%) alors que c’est le cas de seulement 10% des collèges privés.

Part des élèves défavorisés en %

1er décile

médiane

9ème décile

Public

42.5

22.7

43.2

65.3

Privé

20.1

5.9

22

43.2

Ensemble

37.8

14.6

38.6

62.7

L’étude de la Depp établit un nouvel indicateur « d’entropie » qui calcule l’écart social entre l’établissement, en l’occurrence un collège, et son environnement résidentiel. L’étude montre que la ségrégation est plus forte en zone urbaine et en déduit qu’elle est liée aux ségrégations urbaines.

Un point intéressant de cette étude c’est de montrer l’évolution de la ségrégation selon l’indice d’entropie. La Depp établit que la ségrégation globale est stable depuis 2003. C’est à dire qu’elle aurait baissé dans les collèges publics, augmenté dans le privé et surtout entre public et privé. L’écart entre privé et public se creuserait, le privé accueillant davantage de catégories favorisées et le public davantage de défavorisées.

A vrai dire ce n’est pas vraiment une découverte. De travaux de Pierre Merle, par exemple, ont déjà montré le role du privé dans la ségrégation sociale. L’étude de la Depp la nuance d’ailleurs en montrant que le privé varie beaucoup d’une académie à une autre.

Mais quid des règles du public ?

Un second travail portant sur les lycées, réalisé par G Fack et J Grenet, établit que la ségrégation sociale entre les lycées dépend des préférences des familles mais aussi des règles d’affectation des élèves. D’un coté Affelnet avec la préférence donnée aux boursiers atténue les écarts sociaux. De l’autre la choix d’affecter en fonction du niveau scolaire renforce les inégalités sociales déjà constatées au collège.

Ce numéro d’Education et formations finalement atténue beaucoup les critiques du Cnesco sur le système éducatif français en pointant largement le rôle du privé.

Elle montre une baisse de la ségrégation sociale dans le public sous le quinquennat Hollande qui résulterait en fait de « l’écrémage » effectué par le privé. Pisa devrait dans quelques semaines nous dire si la situation des élèves défavorisés en France s’est améliorée ou pas à la fin du collège…

Or le privé ne scolarise que 20% des jeunes français. Et la même étude attribue elle même 59% du niveau de ségrégation aux seuls écarts entre établissements publics. Enfin l’indicateur retenu par la Depp atténue la ségrégation vécue par les élèves et leur famille ne serait ce que parce quil se situe au niveau de l’établissement et non à celui de la classe, comme l’étude commandée par le Cnesco.

Or s’il s’avère probablement difficile de revenir sur les rapports entre public et privé, le public peut déjà faire beaucoup pour faire reculer la ségrégation, comme le montre d’ailleurs cette étude sur les collèges et celle sur les lycées.

François Jarraud

Education & formations, n°91.

Résumé des conclusions du Cnesco

Dossier Mixité sociale

P Merle : le privé obstacle à la mixité sociale