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Comment établir un relai direct entre la science vivante et l’enseignement ? Réponse avec le projet « Embarquez en Antarctique » ! Annabelle Kremer, enseignante de SVT au collège des Sept Arpents à Souffelweyersheim (67) et formatrice à la Maison pour la Science en Alsace part plusieurs semaines en Terre Adélie à la fin de l’année. Son objectif est de rendre compte des programmes de recherche à des établissements scolaires alsaciens et bretons durant son expédition. Ce projet exceptionnel est mené par la Maison pour la Sciences en lien avec le muséum National d’Histoire Naturelle et l’Institut polaire français. Un échange direct avec les collégiens est même prévu le 13 janvier 2017. Quels sont les sujets de recherche valorisés ? Comment ces échanges vont-ils nourrir les 8 EPI spécifiques menés dans 50 classes ?

D’où partez-vous ? Pourquoi ?

Je travaille à mi-temps à la Maison pour la science en Alsace, au service des professeurs (MPLS-Alsace) qui a pour mission de former les enseignants à la démarche d’investigation en sciences et technologies en les mettant au contact de la science vivante, de la science en train de se faire dans les laboratoires. Nous travaillons dans le sillage de La main à la pâte. Toutes nos formations sont co-construites par des formateurs pédagogiques et des chercheurs. Ce projet d’expédition en Antarctique est en fait un exemple de formation « extrême » qui s’étale sur deux années.

En avril 2015, l’équipe de la MPLS-Alsace dirigée par Mélodie Faury – avec le soutien du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) – a proposé le projet « Embarquez en Antarctique » à l’Institut polaire français (IPEV). L’idée était de créer un lien très fort, sur deux années, entre des chercheurs qui font leur terrain en Antarctique et des enseignants tout en permettant à ces derniers de construire et mettre en œuvre un projet pédagogique inédit avec leurs élèves. Un projet interdisciplinaire qui fait rêver et qui donne envie de faire des sciences ! Missionner un formateur pédagogique à Dumont d’Urville (D.D.U) – une base scientifique située en Terre Adélie – allait être l’occasion de suivre la recherche en Antarctique dans toutes ses dimensions (scientifique, technique, humaine et logistique) et d’établir un relai direct entre la science vivante et l’enseignement. Il faut savoir que chaque année l’IPEV peut attribuer une place à D.D.U à un « non-chercheur » pour rendre compte d’une manière ou d’une autre du travail scientifique qui se fait en Antarctique et de ses enjeux.

Yves Frenot, directeur de l’IPEV et Aude Sonneville, responsable du département de communication à l’IPEV ont été emballés par le projet parce qu’il met très étroitement en contact des chercheurs et des enseignants bénéficiant d’un accompagnement pédagogique et scientifique sur un temps long. Et comme l’IPEV est situé à Brest, la Maison pour la science en Bretagne était un partenaire naturel du projet pour accompagner des équipes enseignantes bretonnes.

Je partirai donc à Dumont d’Urville depuis Hobart en Tasmanie, le 30 décembre 2016 après pas mal d’heures d’avion. Plusieurs jours seront nécessaires pour affronter les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants et se frayer un chemin dans la banquise qui normalement sera bien fragmentée en cette saison.

Quels sont les partenaires scientifiques du projet ? Quelques mots sur les programmes de recherches mis en avant …

Les partenaires sont à la fois locaux et nationaux. Tout d’abord, il y a l’IPEV, situé à Brest, qui assure le soutien logistique et la mise en œuvre des programmes de recherche à Dumont d’Urville et qui me fait partir. Au niveau national, il y a également le MNHN dont je vais suivre à D.D.U le programme Revolta 1124 qui s’intéresse à l’évolution des espèces benthiques antarctiques. Au niveau local, à Strasbourg, il y a l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC) : je suivrai leur programme ECOPHY Antavia 137 qui étudie l’écophysiologie des manchots et l’Ecole et observatoire des sciences de la Terre (EOST) dont je suivrai les programmes de sismologie et de magnétisme (SISMO/Obs 133 et GEOMAGNETIC/OBS 139).

S’ajoutent, en cohérence avec les projets des enseignants, le suivi du travail de la station de Météo France basée à D.D.U. Je me rendrai aussi à Cap Prud’homme à quelques kilomètres de D.D.U pour voir le travail de scientifiques concernant les glaciers côtiers et leur contribution à l’élévation du niveau marin.

Enfin, il faut souligner l’implication importante du Jardin des sciences de Strasbourg (JDS), qui va développer, en partenariat avec la MPLS-Alsace des ateliers scientifiques qui seront ouverts à tous les scolaires de l’Académie de Strasbourg ainsi qu’un cycle de conférences grand public sur la recherche en Antarctique.

Comment pensez-vous rendre compte des travaux menés en Antarctique aux établissements scolaires ?

Depuis D.D.U, je pourrai envoyer quotidiennement différentes ressources qui seront dans la foulée diffusées sur des sites web : il y aura celui de MPLS-Alsace qui s’occupera d’abord de trier puis mettre en ligne les différents documents issus de mes observations (journal de bord, photos, vidéos, interview de chercheurs, données de terrain…) et celui du MNHN qui relayera davantage les travaux liés au programme de recherche Revolta 1124.

Une journée spéciale se prépare en France métropolitaine avec un échange en visio devant un amphithéâtre de collégiens. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Il s’agit d’abord de faire venir les élèves sur le campus universitaire. Un grand amphithéâtre de Strasbourg a été réservé pour l’occasion par le JDS qui se charge de coordonner ce grand événement et de permettre à une trentaine de classes d’être au plus près de la science. Les partenaires scientifiques, des représentants de l’Université de Strasbourg et les partenaires de l’Education nationale seront présents. Les chercheurs témoigneront des aspects quotidiens de leur métier. Ce sera aussi l’occasion pour le JDS de présenter les ateliers pédagogiques qui seront ouverts aux scolaires en janvier 2017 au sein de l’Université de Strasbourg. Et, si les conditions sont bonnes et surtout si le bateau n’est pas retenu dans la glace, je prendrai la parole en direct de DDU. La date à retenir : le 13 janvier 2017 !

8 projets d’EPI au collège auront donc des informations en direct d’Antarctique grâce à vous. Quels sont ces projets menés dans les établissements ? Comment ont-ils été sélectionnés ?

Il y a 8 projets d’EPI (collèges), dont 5 en Alsace et 3 en Bretagne et 2 projets d’école élémentaire en Alsace. En tout c’est environ 50 classes qui participent au projet. Il y a eu un appel à projet, lancé en novembre 2015. Un comité de sélection constitué de représentants de la MPLS-Alsace, d’un Académicien, d’un représentant de chaque partenaire de recherche et de l’IA-IPR de SVT de Strasbourg a ensuite retenu les propositions de projet les plus abouties et les plus compatibles avec les thématiques de recherche suivies à D.D.U tout en proposant, très tôt, des pistes pour guider la construction des projets. L’idée n’était pas de faire du quantitatif mais du qualitatif afin d’être en capacité, à la Maison pour la science en Alsace et à la Maison pour la science en Bretagne, d’accompagner la construction puis la mise en œuvre de chaque projet sur les deux années. Le projet « Embarquez en Antarctique » a été assez peu visible à son démarrage, en plein milieu de la réforme des programmes scolaires ! Aujourd’hui, sa diffusion attire bien d’autres établissements qui auraient souhaité y participer. Nous tâcherons de partager sur notre site et lors de nos prochaines formations suffisamment de ressources pour que d’autres EPI ou projets d’établissements puissent se construire autour de la recherche scientifique en Antarctique.

Les projets actuels qui sont en cours de mise en œuvre depuis cette rentrée scolaire sont tous différents. Leurs points communs sont qu’ils associent plusieurs disciplines – scientifiques et non-scientifiques – qu’ils se déroulent sur l’année scolaire entière et que les contenus sont en lien avec les programmes de recherche que je vais suivre à D.D.U. Sans rentrer dans les détails, certains projets sont axés sur la différence entre météo et climat, le changement climatique et ses conséquences sur la biodiversité en Antarctique. Un projet breton en particulier s’intéresse aux activités humaines comme facteur de réchauffement climatique et pose la question : quel combat commun mènent les pingouins bretons et les manchots de Terre Adélie ? Un autre projet cherche à comprendre comment s’inspirer des adaptations des manchots pour créer des vêtements qui pallient aux limites de la physiologie humaine en Antarctique. D’autres projets sont davantage tournés vers l’élaboration d’un carnet de voyage sur la faune et les milieux antarctiques. Certains d’entre eux s’appuient de manière importante sur les disciplines non scientifiques : La faune Antarctique, entre imaginaire et réel ou encore Pourquoi aller vers l’inconnu ? L’homme est-il maître de la nature ? Et bien sûr, il y a aussi les projets qui s’articulent autour des défis technologiques qui rendent possible la recherche en milieu extrême, des contraintes humaines et logistiques qu’elle suppose. La découverte et l’exploration de ce continent, le fonctionnement du « labo » scientifique sont aussi des thèmes qui viennent agrémenter les projets.

Récemment vous avez contribué à l’ouvrage grand public « Charles Darwin, une révolution » chez Actes Sud junior avec l’illustrateur François Olislaeger. En quoi est-ce important d’enseigner l’évolution dès le plus jeune âge ?

Pour reprendre les mots d’Armand de Ricqlès, professeur au Collège de France, «La théorie de l’évolution est la synthèse la plus puissante dont on dispose pour expliquer le monde vivant ».

Je pense que la biologie de l’évolution doit occuper une place centrale dans l’enseignement des sciences, pour deux grandes raisons. D’abord, s’agissant de ses enjeux : elle permet de comprendre le monde qui nous entoure aussi bien sous l’angle du changement que sous celui de la stabilité et sans établir de hiérarchie entre les espèces. Elle représente aussi un bon moyen de faire la distinction entre les croyances, l’idéologie et les faits scientifiques. Ensuite, s’agissant de sa portée : aujourd’hui les mécanismes de l’évolution et en particulier celui de la sélection naturelle s’étendent des protéines aux cultures humaines. La médecine et l’anthropologie vont s’appuyer de plus en plus sur la biologie de l’évolution !

On peut enseigner la classification scientifique et l’évolution dès le cycle 2. Je dirai même dès la grande section de maternelle. J’ai eu l’occasion d’amener mes élèves de sixième à transmettre leurs connaissances sur ce sujet à des élèves de grande section et l’expérience fut très concluante. Pour les adultes, la théorie de l’évolution est souvent perçue comme étant contre-intuitive et sa compréhension peut être brouillée par l’anthropocentrisme et par des conceptions réductrices centrées sur le gène. Pour des enfants elle semble évidente, nul besoin de génétique pour la comprendre, on part de l’observation de la variation dans la nature même si cette variation est due à de multiples facteurs, dont génétiques.

Entretien par Julien Cabioch

Marion Burgio, enseignante de SVT en expédition scientifique sur l’océan indien