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Le rapport du CNESCO sur les inégalités sociales de performances scolaires – et non, comme annoncé par son titre, sur l’effet de l’école sur les inégalités sociales – rappelle à juste titre que ces inégalités se sont accrues en France depuis une quinzaine d’années et sont aujourd’hui honteusement fortes. Je lis dans le Café pédagogique que le CNESCO propose, en réponse, de « dé-ségréguer les 100 collèges français les plus ségrégués ». Il y a là, à mon sens, une erreur de diagnostic et une erreur politique.

Stabilité de la ségrégation sociale

Dans un article sur l’origine de l’évolution, déjà désastreuse , de l’équité de l’école française de 2000 à 2009 ( Meuret, D. et Lambert, M., 2011, La dégradation de l’équité de l’école française dans les années 2000, Revue Française de pédagogie, n°177), nous éliminions, entre autres hypothèses, celle d’un accroissement de la ségrégation sur la base des travaux de D. Trancart qui montraient une stabilité de cette dernière au cours des années 1997-2006. Nous proposions de chercher l’ origine de cette dégradation, soit dans le retour à la tradition proposé par les ministres chiraquiens de l’éducation, soit dans l’affaiblissement de la régulation du système scolaire, affaiblissement de la régulation bureaucratique traditionnelle qu’aucune régulation post-bureaucratique fondée sur la mesure des performances des élèves n’était venu compenser.

Il se trouve que, dans un des rapports de recherche commandés par le CNESCO, Riegert et Ly font le même constat d’une stabilité de la ségrégation sociale dans les collèges, cette fois sur les cohortes ayant passé le brevet de 2006 à 2014. Il se trouve aussi que, dans le n °91 de la revue « Education et Formations » , Givord et al. diagnostiquent eux aussi une stabilité de la ségrégation sociale sur l’ensemble du système, à quoi ils ajoutent que cette dernière diminue dans le public, mais augmente dans le privé. Proposer une déségrégation de collèges publics pour enrayer la hausse des inégalités sociales semble donc fondé sur des raisons autres que factuelles.

Une erreur politique

Quant à l’erreur politique, je rejoins François Dubet. Ce serait évidemment fort bien, dit-il, de dé-ségréguer mais cela se heurterait à une opposition si forte que c’est infaisable : Bon courage à qui essaierait ! Une belle étude historique américaine (Cowie, J., Stayin’ Alive: The 1970s and the Last Days of the Working Class, New York: The New Press, 2010) rejoint cet argument en notant que la politique de déségrégation autoritaire (le « busing», lequel n’a pas eu d’effets positifs sur les performances scolaires des élèves noirs, mais en a eu sur leur vie professionnelle et sociale) fait partie des raisons pour lesquelles la classe ouvrière blanche a lâché les démocrates et voté Nixon en 1972. Elle va aussi dans le sens de la réponse de Mme Vallaud- Belkacem à Thomas Piketty, savoir qu’on peut inciter à la déségrégation, mais pas l’imposer.

L’autre voie…

La bonne nouvelle est qu’il semble exister une autre voie pour faire diminuer les inégalités sociales de compétences, celle d’une régulation incitant les établissements à améliorer les résultats de leurs élèves les plus faibles ou les plus défavorisés, celle que nous évoquions dans notre article de 2011.

Je tire cette nouvelle d’une donnée contenue dans un autre des rapports commandés par le CNESCO (Monseur et Baye, 2016, Quels apports des données PISA pour l’analyse des inégalités scolaires ?). Les auteurs ont calculé l’évolution de 2000 à 2012 de la corrélation entre le milieu social de l’élève et la moyenne de ses performances dans les trois domaines de PISA (Compréhension de l’écrit, Maths, Sciences). Dans 14 pays de l’OCDE, sur 26 pour lesquels les données requises étaient disponibles, cette corrélation a diminué. Elle a diminué fortement au Mexique, aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Norvège. Sur ces 14 pays, 10 avaient implanté en 2009 dans un grand nombre d’établissements, et 3 (Luxembourg, Suisse, Allemagne) seulement dans un très faible nombre d’entre eux, un « usage des données sur la performance des élèves pour se comparer avec d’autres, pour informer et pour prendre des décisions » (PISA 2009 results, vol 4, p149, disponible sur le web), bref une forme ou une autre de, horresco referens, régulation par les résultats.

Bien sûr, corrélation n’est pas causalité mais peu d’autres politiques en vérité, y compris l’éducation prioritaire (Meuret,1994, L’efficacité de la politique des ZEP dans les collèges, Revue Française de Pédagogie, n°109) et la déségrégation, présentent des corrélations aussi encourageantes.

Qu’on me comprenne bien. Je trouve aussi que la ségrégation sociale est une mauvaise chose pour l’école et pour ses effets civiques et sociaux, mais je considère que l’équité des résultats scolaires est trop importante pour qu’on n’essaie pas de s’en approcher par les voies les plus susceptibles d’être vraiment mises en œuvre et d’avoir les effets attendus.

Denis Meuret

Professeur émérite en sciences de l’éducation, université de Bourgogne-Franche comté, IREDU.

Meuret : Pour une école qui aime le monde

N Mons : On peut réussir à dé ségréguer l’école

Sur le rapport du Cnesco

François Dubet

Sur le pilotage par les résultats :

Le pilotage par les résultats vu par Y Dutercq

Pilotage par les résultats et travail enseignant

L’école à l’épreuve de la performance