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Le jeu sérieux est il un moyen de supprimer le professeur pour mettre en place un enseignement individualisé ou un outil pour la classe ? Ces deux conceptions se sont clairement affrontées le 10 octobre lors de la journée Game for change, organisée avec le soutien du ministère de l’éducation nationale. D’un coté, appuyées sur les neurosciences, des entreprises subventionnées développent les jeux qui permettront de faire enfin des économies. De l’autre éditeurs scolaires et ministère veulent s’appuyer sur le jeu pour mettre de la réflexivité dans la classe. C’est bien deux conceptions éducatives qui s’affrontent…

Deux ou trois cultures ? Le 10 octobre, la Journée Education et jeux vidés accueille au Cnam environ 200 personnes. La plupart appartiennent au monde du jeu et leurs tweets ne sont pas tendres pour l’école. Il y a aussi le ministère, qui participe à la journée. En arrière plan les autorités de référence, en fait d’ailleurs une seule : Stanislas Dehaene sans cesse cité pour appuyer la démarche des startups.

Apprendre à lire sur ordonnance ?

« Les neurosciences ont des certitudes », explique Julien Caporal, « directeur pédagogique » chez Manzalab, une startup qui développe le projet Elan : Environnement ludique d’apprentissage basé sur les neurosciences pour la lecture. Soutenu par S Dehaene, le projet bénéficie « d’au moins 600 000 euros » d’argent public. Il développe des jeux qui sont testés dans 45 CP de l’académie de Poitiers.

Le projet s’appuie sur des découvertes des neurosciences : susciter l’attention, entrainer l’engagement actif de l’enfant, assurer un retour d ‘information, consolider les découvertes. Des principes que personne de sensé ne remettrait en question.

Mais le projet va plus loin. « Il y a une progression pédagogique optimale dont il ne faut pas s’écarter », explique J Caporal. Le projet vise à apprendre à lire vite et bien à un élève indifférencié en lui faisant suivre une sorte de traitement par le jeu.

Les jeux travaillent l’encodage et le décodage. Il s’adaptent aux progrès de l’élève. « On va tester s’il est bon d’apprendre le nom des lettres avant leur son, la coloration des lettres et des mots, l’espacement entre les lettres, l’accélération ». Cela pour aboutir au protocole quasi médical que l’élève devra suivre pour apprendre à lire.

Le projet Elan nourrit un autre projet, Kalulu, développé lui aussi par Manzalab qui vise tout bonnement à apprendre à lire à de jeunes tanzaniens en supprimant l’enseignant. Les jeux développés par Elan sont réutilisés en anglais et swahili dans ce but. Cassandra Potier Watkins, responsable du projet chez Manzalab, relève qu’il y a 129 milliards de dollars dépensés dans le monde dans des dépenses pédagogiques « sans intérêt » et qu’il faut des preuves. Kalulu veut faire les preuves de son efficacité.

Le problème de ces projets, largement dotés d’argent public ( pour mémoire la recherche fondamentale sur la lecture de Roland Goigoux a été soutenue à hauteur de 30 000 euros..), c’est que la lecture est une activité sociale. Si une meilleure connaissance des mécanismes de l’apprentissage de la lecture est précieuse, elle ne résout pas le facteur principal d’échec. Un enfant pour apprendre à lire a besoin que son entourage familier lui lise et que cet entourage lui même lise. La lecture s’apprend en société ce n’est pas une activité individuelle. Son apprentissage est directement liée au nombre de livres au domicile de l’enfant. Quand il n’y en a pas à la maison, la socialisation à l’école est d’autant plus nécessaire… Une dimension ignorée par ces projets.

Des jeux pour réfléchir ensemble

Evidemment les représentants du ministère et les éditeurs scolaires , présents également, sont sur une autre ligne. Pour Alain Thillay (Direction du numérique éducatif, ministère), le jeu n’est pas une nouveauté à l’école. Il a pour but de mettre d ela réflexivité, plus que d ela motivation, dans la classe. Il doit s’adapter au timing de la classe et être suivi d’un temps de débriefing en commun.

Catherine Lucet, présidente de Nathan Editis, a rappelé l’histoire des jeux Nathan depuis 1883. Son entreprise a racheté Daesign, une startup très innovante venue de la formation professionnelle dont certains produits ont été adaptés à l’enseignement professionnel. « Son approche pédagogique très solide est la base d’une comptabilité culturelle avec Nathan », explique-t-elle.

Dernière rencontre de cette Journée avec Dragon Box Numbers. Cette entreprise norvégienne a déjà développé un jeu mathématique destiné aux collégiens. Elle propose maintenant un jeu sur tablette (Android et iOs) pour l’apprentissage du nombre. Actuellement en test en France, le jeu bénéficie des conseils de Rémi Brissiaud,

« Le jeu reprend les apports des réglettes Cuisenaire », explique R Brissiaud, un jeu qui était très utilisé dans els écoles des années 1950 ou 1960. « Mais l’informatique lui donne d’autres possibilités ». Les réglettes sont devenues des « Noons » que les enfants peuvent diviser, ajouter , comparer, équilibrer.. Chaque nombre a une identité construite sur son rapport au nombre 5.

Le jeu entraine aussi l’attention et l’engagement de l’enfant, il apporte aussi une réponse immédiate mais « il sait profiter au maximum de la présence du maitre », explique R Brissiaud. « Le jeu permet de connaitre les nombres, mais aussi il encourage la composition et décomposition, l’addition, la soustraction, l’écriture des nombres. « Si on arrive à bien l’utiliser on sera susceptible de réduire l’échec scolaire », estime R Brissiaud.

Dragon Box Numbers est déjà disponible. Il ne bénéficie pas du Programme investissements d’avenir et donc de l’argent public. Il a mieux que cela : un expert qui tous les matins est dans une vraie classe avec de vrais élèves….

François Jarraud

Game for change

10 projets soutenus par les PIA

Manzalab

Les jeux Daesign

Nathan et sa Serious Games Store

Dragon Box Numbers

Les réglettes Cuisenaire sont toujours utilisées