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« Monsieur, quand est-ce qu’on fait un match ? »: Quel enseignant n’a jamais entendu cette phrase ou encore ne s’est jamais rendu compte que les élèves s’étaient détournés de la tâche d’apprentissage en coopération pour faire un « match » entre eux ? Si nos propos peuvent paraître provocateurs, il nous semble pour autant révélateurs d’une problématique professionnelle : Faut-il nécessairement passer par des situations d’apprentissage pour transformer nos élèves?

Une situation d’apprentissage : quésako ?

La compréhension la plus classique est, un dispositif décontextualisé, mis en place par l’enseignant, qui confronte l’élève à résoudre un problème. Par exemple, une situation de 2 contre 1 en Handball met l’accent sur le « bon » choix à réaliser puisque les élèves doivent s’organiser pour réussir à tirer en supériorité numérique. L’objectif de la tâche est de réduire le nombre d’informations à traiter ou encore de baisser la charge émotionnelle en proposant un nombre important de répétitions.

La réflexion didactique disciplinaire a longtemps été inspirée par l’importance des situations d’apprentissages. D’ailleurs, comme le précise Delignières et Garsault en 2004 : « les candidats aux agrégations doivent être en mesure de donner du sens à une série de quatre ou cinq tâches coincées dans l’espace réduit d’une séance ». Force est de constater qu’aujourd’hui aucun enseignant, ni même stagiaire n’oserait présenter une séance lors d’une visite d’inspection sans la moindre situation d’apprentissage. Sont-elles pour autant efficace ?

Le jeu et les jeux à l’opposé d’une tradition scolaire

De nos jours, l’intérêt pour les jeux éducatifs est de plus en plus grand. Nous avions en mai 2009 rencontré Jean Paul Monnet concernant le jeu du Cartaping, qui consiste à proposer aux élèves des cartes en Tennis de Table. Ces cartes donnent des « pouvoirs » aux joueurs pour modifier les paramètres du jeu. Dernièrement, Yoann Tomaszower propose « Hand’EPS : deviens joueur de LNH », un jeu éducatif à travers un scénario pédagogique enrichi par l’obtention de pouvoirs (même si ces derniers passent le plus souvent par des situations d’apprentissage) ou sous le même principe « Badminton Challenge » proposé par Julien Tixier. Plus récemment, Nicolas Terré prônait dans la revue EPS « des jeux pour apprendre en EPS » à travers 10 principes pour permettre aux élèves de vivre une expérience ludique. Nous sommes bien loin de la leçon traditionnelle en EPS…

Une séance sans situation d’apprentissage est-elle pour autant dépourvue de contenu ?

Nous présentions lors d’une rencontre avec Guillaume Dietsch en novembre 2014 une forme de pratique scolaire en Fut-sal pour un public difficile. Ce nouveau « jeu » a pour but de proposer un contenu à la fois moteur mais aussi éducatif dans le contexte singulier de cet établissement. L’accent est ainsi mis sur la règle des fautes collectives en valorisant la maîtrise technique et tactique au détriment du caractère « d’affrontement physique ». Si l’élève ne se maîtrise pas, il risque de pénaliser son équipe car un pénalty sera accordé à l’équipe adverse à la 3ème faute collective de l’équipe. Ce jeu de Fut-sal présente un contenu éducatif fort. De plus, la mise en place de temps d’échanges et de débat d’idées tout au long du cycle a également permis une évolution de la nature des échanges vers un discours orienté sur les solutions à mettre en oeuvre tactiquement par l’équipe afin de remporter la rencontre.

Un autre exemple probant est celui de Ghislain Hanula et d’Eric Llobet pour « faire jouer au relais vitesse pour permettre d’apprendre : le 12 secondes ». Les auteurs proposent une forme de pratique scolaire en relais vitesse à partir du temps réalisé par les élèves sur un 6 secondes arrêté et un 6 secondes lancé. Ainsi, en associant deux élèves, une vitesse cible est déterminée et matérialisée par un plot à atteindre. Le contenu proposé par ce jeu est de faire parcourir en 12secondes la plus grande distance possible, en coordonnant les actions du donneur et du receveur pour que le témoin ne ralentisse pas.

Cependant, faire apprendre les élèves est un problème complexe qui exige un temps d’apprentissage long. Didier Delignières et Christine Garsault ont souligné le rôle de cycle long dans les transformations réelles des élèves. Naturellement, jouer ne veut pas dire proposer un zapping de différents jeux aux élèves, mais bien au contraire penser leur permanence pour transformer les élèves. Un autre écueil serait de faire penser qu’il existe des jeux « magiques » qui permettraient naturellement de transformer l’élève. Ce serait minimiser, pour ne pas dire déconsidérer, le rôle de l’enseignant. Ceci représente d’ailleurs un point commun fort avec une certaine vision des situations d’apprentissage là aussi « magiques » au sein desquelles il suffirait de tremper les élèves pour qu’ils en ressortent transformés.

Un autre regard sur la place et le rôle de l’enseignant

Il nous semble fondamental de souligner le rôle de l’enseignant dans les apprentissages des élèves. Pas uniquement un rôle de concepteur de situations d’apprentissage ou de jeux mais bien un rôle de professionnel de l’apprentissage. Delignières et Ria ont démontré que les préoccupations des enseignants, notamment novices, se centraient principalement sur la conservation de leur plan de leçon, sur le contrôle des élèves et sur le fait de maintenir les élèves en action. Quel enseignant n’a t-il pas connu ce moment de solitude car sa situation préparée pendant un temps important ne fonctionne pas, et qu’il essaye éperdument de la faire comprendre et vivre aux élèves ? Son énergie et son action s’organisent pour que sa situation « marche ». On l’imagine bien aller de droite à gauche pour rappeler les consignes, le sens de rotation, le respect de l’ordre, le nombre de répétitions à effectuer, mais aussi pour réguler les élèves qui sont tout simplement en train de contourner la tâche…

Tout d’abord, il est important, par la notion de jeux, de permettre à l’élève de tâtonner, de se tromper, de réussir et inversement, pour qu’il puisse avoir une réelle expérience dans ce jeu. De plus, Il nous semble essentiel que l’enseignant puisse adopter une posture de personne ressource pour aider, voire évidemment « guider » l’élève vers une solution, mais aussi « accompagner » et même « enquêter » pour reprendre les propos de Carole Sève. L’enseignant peut être un catalyseur d’histoires d’apprentissage prometteuses mais aussi le garde fou des échecs ou des échanges respectueux.

Osons ?

Si nos propos peuvent choquer, ils mettent en évidence une problématique professionnelle, qui propose, à l’instar de situations « magiques » ou « incontournables », une réflexion sur une mise en forme scolaire orientant l’élève ou les élèves à la fois sur le pourquoi, le but recherché et les moyens pour y arriver ! Ils laissent aussi une part importante au rôle de l’enseignant, non pour faire vivre « sa » situation mais s’intéresser au comportement de l’élève apprenant. Sans parler du plaisir pour l’élève et du gain moteur d’une pratique plus importante. Bien naturellement, la place de situation décontextualisée est nécessaire, notamment dans certaines APSA, mais elle nous semble devoir être pensée en aval de jeu confrontant l’élève à la complexité des connaissances mises en jeu. A ce propos, nous souscrivons aux propositions de JL Ubaldi et d’Alain Coston autour d’une petite boucle venant apporter une solution quand la seule grand boucle (situation contextualisée) ne permet pas la résolution des problèmes des élèves.

Par Antoine Maurice et Benoît Montégut

Le cartaping

Hand’EPS : deviens joueur de LNH

Badminton Challenge

Le « Fut-sal », une forme de pratique scolaire du football en milieu difficile.

Carole Sève : Le suivi, entre guidage, accompagnement et enquête

Bibliographie

Didier Delignières et Christine Garsault « Libres propos sur l’éducation physique » 2004

Didier Delignières, Luc Ria « les préoccupations des enseignants débutants en EPS » revue EPS n°295, janvier 2002

Nicolas Terré « des jeux pour apprendre en EPS » revue EPS 368, novembre décembre 2015

Ghislain Hanula et Eric Llobet « faire jouer au relais vitesse pour permettre d’apprendre : le 12 secondes » cahier du CEDREPS n°11, 2011

Alain Coston Jean Luc Ubaldi « une EPS malade de ses non choix » cahier du CEDRE n°7, 2007