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De l’estime de soi à l’éthique enseignante, de l’éthique enseignante à la déontologie de la profession, Eirick Prairat, Eirick Prairat, professeur à l’Université de Lorraine, nous emmène dans un parcours philosophique. Une autre approche du métier dévoilée le 20 octobre dans le cadre de l’Université d’automne du Snuipp.

L’estime de soi en tant que capacité à agir

Tout acte d’enseignement est un mode d’intervention marqué par la dissymétrie entre enseignant et enseigné. L’éthique va venir réguler ce rapport. Elle va construire « l’estime de soi », qui ne se réduit pas à la « confiance en soi ». Paul Ricoeur nous dit qu’elle est à la foi affirmation de soi et reconnaissance d’autrui. Elle est principalement liée au « pouvoir faire », à notre capacité d’agir, de dire, de faire. On apprend à s’apprécier parce que l’on est l’auteur de nos actes, capacité à agir qui constitue notre propre humanité, mais aussi celle de l’autre. Conquête lente et difficile, elle requiert de croire en soi. Et on ne croit en soi que parce que quelqu’un croit en nous. On ne vaut plus seulement par ce que l’on est mais par ce que l’on fait.

Les vertus de l’éthique comme incarnation des valeurs

Dans la mise en œuvre de cette éthique, le maître va installer la vertu de justice, qui va considérer l’élève à la fois comme sujet de droit et comme sujet apprenant. La respect du droit et des lois par le maître donne à chacun cette garantie de traitement qui lui est due. Dans sa manière d’organiser l’apprentissage, le maître va faire vivre la dialectique de l’égalité et de l’inégalité qu’il placera sous le signe de l’équité.

La présence éthique du professeur va s’appuyer sur ces deux autres vertus que sont la sollicitude et le tact. La « présence » du maître est d’habiter la classe. C’est l’art d’être impliqué, c’est l’art d’être disponible dans le temps présent, l’art du présent en tant que cadeau, don de son savoir.

La vertu de sollicitude appelée aussi « bienveillance » consiste à « prendre soin d’autrui ». Le bienveillant veille. La vertu de tact, très présente au cœur de l’éthique médicale est paradoxalement absente du monde de l’enseignement. Il faut distinguer le tact de la civilité pour mieux le comprendre. Il y a « tact » quand les règles et préconisations viennent à manquer. Il se crée et s’invente dans son effectuation, dans des moments d’absence normative.

Il s’appuie sur « le sens de l’adresse » : c’est à lui, à elle que je parle. Il s’appuie sur « le sens de l’à propos » : ce que je dis et comment je le dis, ce que je dois taire .

Le tact, c’est l’intelligence des situations, différent d’une simple habileté relationnelle. Vertu presque invisible qui manifeste la sensibilité à autrui, le souci de la relation, notamment par l’éthique de la parole.

L’exemplarité professorale a quelque chose de simple. Elle est du côté de la fidélité silencieuse à quelques principes qui rend le professeur respectable aux yeux de l’élève. On n’est pas dans une conception héroïque de l’exemplarité mais plutôt dans une tâche toujours recommencée, une sorte de professeur Sisyphe. Comment durer, comment tenir ? L’éthique enseignante, pour relever le défi du temps doit s’appuyer sur une déontologie claire.

La déontologie se construit en dehors de l’injonction

Elle inventorie des recommandations à l’initiative des professionnels et s’appuie sur une première question qui est celle de l’identité professionnelle : qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui, dans l’école de la république, dans une société de la connaissance ? Elle guide l’action, facilite la prise de décision, donne à la profession des points de repère dans un contexte de travail difficile.

Enfin, la déontologie va instaurer des normes morales en lien avec l’éthique, distinguant les pratiques douteuses, inacceptables des pratiques recommandables. Il y a dans la déontologie, quelque chose de l’ordre du minimal, qui puisse être partagé.

Le nombre de règles est restreint, on est dans une sobriété normative. Il n’y a pas d’obligations « extravagantes » afin d’assurer une stabilité professionnelle, un sens suffisant de la morale dans l’exercice de la tâche. Enfin, il n’y a pas de « maître idéal » parce que l’excellence se décline de plusieurs manières.

Et pour clore ce parcours philosophique, Eirick Prairat propose de faire un pas de plus qui nous emmènerait de la déontologie professionnelle à la confiance des usagers, premier pari d’une institution.

Dans la salle, une main se lève, une petite voix se fait entendre : « Est-ce que le tact peut s’apprendre ? » « Il s’apprend en le rencontrant ».

Michèle Vannini