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« Cette maîtresse d’école est une vraie héroïne qui transcende le quotidien ! ». Sara Forestier, la comédienne qui l’incarne dans « Primaire», affiche un enthousiasme à la mesure de l’investissement de son personnage dans le métier. Hélène Angel, la réalisatrice, ne lui facilite pas la tâche cependant. Dans sa classe de CM2, la professeure des écoles, fortement impliquée auprès de ses élèves, s’attache en effet au plus fragile d’entre eux, Sacha. Une décision lourde de conséquences sur son existence de mère (son fils Denis est aussi son élève), de jeune femme (récemment séparée) et sur les fondements de sa vocation initiale. Tout en accordant respect et attention aux enfants de cette ‘classe de fiction’, la cinéaste met en lumière la véritable nature d’un espace collectif comme l’école, à la fois lieu d’apprentissage, condition de socialisation et épreuve de vérité pour les adultes qui s’y consacrent. Et, sous ses dehors documentés de chronique sociale, derrière la foi émouvante en une pédagogie ouverte, « Primaire » nous apparaît progressivement comme le portrait romanesque d’une jeune femme d’aujourd’hui, éprise d’absolu, à la recherche, difficile, exaltante, de son accomplissement. De nos jours, signer une comédie dramatique sur l’école, réconciliant l’éducation, l’amour et la vie, sans mièvrerie, ne manque pas de panache.

Vocation déclarée, aspirations cachées

Dès les premiers plans, aux côtés des enfants, remuants, bruyants, dont Florence, la douce maîtresse à la voix ferme, capte l’attention et obtient la concentration, nous y sommes. Dans le vif d’une classe de CM2. Au cœur de l’exercice quotidien du métier d’enseignante auquel la jeune femme se voue avec fougue. Sans didactisme, le cadre s’élargit peu à peu et les différents aspects du quotidien de l’école nous apparaissent, toujours incarnés, en situation. De la nécessité (ou pas) de prévenir les services sociaux de la situation d’un élève délaissé par sa famille, du statut (précaire) d’une assistante de vie scolaire et de ses répercussions sur l’accueil d’une jeune autiste, de la gradation des punitions en fonction des ‘fautes’ commises, en passant par les débats passionnés entre collègues et la préparation au long cours du spectacle de fin d’année.

Pour l’heure, Florence s’attache aux pas de Sacha, son jeune élève qui fait les 400 coups et a du mal à avouer qu’il est seul chez lui le soir ‘parce que ça fait dix jours que sa mère n’est pas rentrée’. Convocation du référent (en fait, un ex-amant de la mère, Mathieu-Vincent Elbaz, comédien épatant-sympathique livreur aux horaires variables et aux engagements incertains), accueil de l’enfant chez elle (quitte à engendrer une crise avec son fils Denis), vaine rencontre avec la mère en incapacité totale de s’occuper de son fils…Assistante sociale, psychologue, nouvelle mère, Florence veut tout assumer au nom d’un idéal de justice. En réalité, elle prend la tangente, et part s’allonger dans l’herbe à quelques encablures de l’école. Il lui faudra du temps pour prendre conscience, émotionnellement et intellectuellement, de ses aspirations intimes : renouer avec son jeune fils déstabilisé par la récente séparation et l’affection manifestée par sa mère auprès d’un autre enfant que lui. Ouvrir son cœur à un nouvel amour. Trouver la bonne distance avec ses élèves.

Vraisemblance et romanesque

« Primaire » n’est pas un documentaire sur l’école, à la manière de la saisissante chronique de l’année scolaire d’une classe unique en milieu rural proposé par « Etre et avoir » de Nicolas Philibert (2002). Il ne s’agit pas non plus de la progression au jour le jour des tout-petits lors de leur première scolarisation, captée par Jean-Paul Julliard dans « Dis, maîtresse » (2014), ni du portrait empreint de nostalgie d’un instituteur au soir de sa carrière, toujours attaché aux principes républicains, brossé par Emilie Thérond dans « Mon Maître d’école » (2015). Scrupuleusement documenté, fruit d’observations et de rencontres, le scénario de « Primaire », conforté par un casting d’enfants réussi, innerve cependant la fiction au point de rendre immédiatement crédible, à nos yeux, la classe de Florence et son établissement. Rapidement, nous nous retrouvons en immersion dans cette petite communauté humaine et l’enjeu humaniste de l’engagement de la jeune institutrice nous touche nécessairement puisqu’il renvoie au fondement de son métier. Jusqu’où un enseignant doit-il aller pour sauver un élève en perdition ? A quel moment le pédagogue doit-il céder la place à l’éducateur, s’en remettre aux services sociaux ? L’engagement dans ce métier va-t-il jusqu’au sacrifice de sa vie personnelle au nom d’un idéal de justice sociale ?

Epoustouflante de générosité et de vibration émotionnelle, la comédienne Sara Forestier (brillante débutante césarisée en collégienne dans « L’Esquive » d’Abdellatif Kechiche en 2004) incarne avec justesse les métamorphoses de cette jeune professeure des écoles en pleine remise en cause. Au fil de la pratique de son métier (entre pragmatisme et absolutisme), dans la confrontation avec les surprises du réel (notamment les jeux de l’amour et du hasard !), l’actrice de « Primaire », dans le rôle de Florence, impose à l’écran la figure, sensible, amoureuse, humaniste, d’une enseignante qui ‘donne tout’.

Samra Bonvoisin

« Primaire », film d’Hélène Angel-sortie le 4 janvier 2017