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Qu’est ce qui peut pousser un enseignant à quitter le métier ? Début décembre, le Café pédagogique soulignait la forte hausse des démissions d’enseignants, une information tirée du rapport du sénateur Carle sur le budget de l’Education nationale. Depuis l’information fait le tour des médias. Pourtant cette progression est plus relative que l’on croit…

Un millier de démissions en 2015

Selon le rapport Carle, on est passé de 1% de démissions chez les professeurs stagiaires en 2012 à 3.2% en 2015-2016 dans le premier degré. Une évolution comparable se dessine chez les stagiaires du second degré où on passe de 1.1% à 2.5%. Autrement dit, le taux de démission a triplé chez les futurs professeurs des écoles et doublé chez les futurs professeurs du secondaire.

Chez les titulaires le taux est nettement plus faible mais il augmente aussi. On compte 299 démissions en 2012-2013 chez les professeurs des écoles et 539 en 2015-2016. Dans le second degré le nombre de démissions de titulaires passe de 416 à 641.

« Le ministère n’a pas fourni d’explications », explique JC Carle. Il met en avant « le caractère éprouvant de l’année de stage », une année où le stagiaire doit à la fois enseigner et assurer un mémoire de master.

Le malaise enseignant est bien réel

Dans la rubrique « seconde carrière » du Café pédagogique, nous avons souvent croisé des enseignants démissionnaires. Ainsi G Perret, expliquait  » J’ai eu des classes difficiles à tenir, des parents d’élèves peu coopératifs, situation très déstabilisante psychologiquement. Certains se permettaient de venir faire la discipline dans les classes de mes collègues, d’autres voulaient interférer sur la pédagogie en indiquant à notre place comment enseigner les programmes aux élèves, etc. Je n’avais pas de soutien des parents pour mener des projets avec les élèves, peu de soutien de la part de la hiérarchie », en 2012. C Malaussena évoque ainsi ses dernières années d’enseignante dans le 1er degré :  » Les dernières années, au niveau du primaire, vu toutes les réformes auxquelles on a été soumis sans qu’on en comprenne toujours le sens, vu le poids de plus en plus lourd qui a commencé à se faire sentir sur le plan purement administratif, j’ai commencé à ressentir la perte de sens dans mon travail, comme si le système m’obligeait à brider ma créativité et m’imposait de plus en plus de contraintes ».

C’est un peu ce que dit aussi le Snes dans un communiqué publié le 5 janvier.  » L’Éducation nationale continuera-t-elle longtemps à fermer les yeux sur les témoignages des stagiaires, écartelés durant l’année de stage entre préparation des cours, du master, des formations à l’ESPE ? Quand prendra-t-on en compte l’expertise des personnels en matière de politique éducative au lieu d’imposer des réformes technocratiques ? »

Au delà des stagiaires, dont l’année de stage est effectivement incroyablement lourde, bien des enseignants ressentent une complexité croissante du métier en même temps qu’un sentiment de sa dévalorisation. C’est notamment ce qu’explique très bien Christian Maroy. Une récente étude ministérielle montre aussi que les enseignants sont la catégorie de cadres qui souffrent le plus des risques psycho sociaux. Si on veut un 3ème élément, le Baromètre Unsa montre chaque année les tensions et les déceptions que ressentent les enseignants. En résumé : la malaise enseignant existe bien et il ne diminue pas.

Des données à relativiser

Pourtant les données livrées par le rapport Carle nous semblent à relativiser fortement.

D’abord parce que ces taux français sont extrêmement bas par rapport à ce qu’on trouve dans les autres pays. Au Royaume Uni, en 2011 40% des professeurs stagiaires ont quitté le métier durant leur première année en poste, soit 10 800 enseignants qui se sont évaporés. Une étude de la National Foundation for Educational Research (NFER) en 2016 montre, toujours au Royaume Uni, que 8% des enseignants ont démissionné en 2015 contre 6% en 2011. Remis à l’échelle de la France cela représenterait près de 68 000 enseignants chaque année !

L’étude anglaise est aussi éclairante par les motifs quelle donne à ces départs. Les professeurs s’en vont parce qu’ils ont trop de travail et, entre autre à cause de réformes jugées trop fréquentes. Ils partent aussi car ils ont trop de pression hiérarchique ou parce qu’ils sentent que leur métier se dévalorise. Voilà des raisons qui semblent un peu universelles…

Il faut donc se demander pourquoi les taux de départ ne sont pas aussi forts en France. Il y a à cela des raisons administratives. Le nombre de démissions dépend d’abord des autorisations de l’administration. Or elle préfère garder les enseignants quitte à trouver des arrangements comme le congé. Autrement dit, sans ces efforts, le nombre réel serait plus fort encore.

Mais il faut sans doute aussi prendre en compte un facteur plus général mais qui a une intensité variable des deux coté de la Manche. Le métier enseignant est peut-être en train de changer. Quand on écoute les nouveaux enseignants, la moitié seulement se voit faire ce métier toute leur vie. La progression des départs que l’on constate au Royaume Uni comme en France tient aussi à cette évolution.

François Jarraud

L’article des Echos

La hausse des démissions article du Café du 2 décembre

Maroy : Quelle évolution pour le métier d’enseignant ?

Barometre Unsa

Comment sont traités les profs qui décrochent

La hausse des démissions article du 2 décembre

RU : 40% des nouveaux profs quittent le métier

Etude NFER

Snes

Le rapport Carle (pp 36-37)

G Perret

C Malaussena