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Comment redonner un élan aux élèves entrant au lycée professionnel ? Découvrez la pédagogie « CARE » pour la Coopération, l’Autonomie, la Responsabilité et l’Efficience des élèves. Emmenées par Carine Perrin, enseignante en Lettres Histoire au lycée professionnel La Mache de Lyon (69), 5 classes appliquent désormais cette nouvelle approche. Quels sont les avantages de ce fonctionnement d’inspiration finlandaise ? Quels sont les changements nécessaires en classe ? Entretien avec Carine Perrin présente au forum des enseignants innovants.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la pédagogie CARE ?

Pédagogie CARE ou pédagogie pour la Coopération, l’Autonomie, la Responsabilité et l’Efficience des élèves. Autant dire que pour nous, c’est un vaste chantier, car il s’agit d’un changement de fond, à la fois de nos pratiques, de notre posture, mais aussi de la posture des élèves, de leur « métier d’élèves ». Notre objectif est avant tout de permettre aux élèves de s’épanouir dans les apprentissages, de (re)trouver le plaisir d’apprendre, d’être acteurs de leur formation. Il se joue quelque chose à l’entrée en lycée professionnel, où les jeunes ont souvent vécu des années scolaires assez difficiles. Notre idée, c’est de redonner confiance, de redonner un élan, pas seulement par un projet ponctuel et isolé, mais en agissant sur une démarche de fond. La pédagogie CARE, c’est aussi un état d’esprit de travail en équipe. C’est la force du projet et c’est vraiment un enrichissement que de pouvoir travailler avec ses collègues de matières générales ou de matières techniques.

Concrètement, quels sont les changements mis en place pendant vos cours ?

Nous faisons évoluer nos cours petit à petit. Et pour ma part je n’enseigne plus du tout comme il y a quelques années. Tout d’abord, la façon de s’approprier les connaissances : dans notre classe, ce sont les élèves qui sont aux commandes. Avec ressources à disposition, production à réaliser, et surtout compte-rendu au groupe : c’est le principe de la classe renversée. Car on renverse tout : les rôles enseignants et élèves, le cheminement du savoir, les espaces d’apprentissage. On explique aux élèves que c’est en transmettant (j’ai envie de dire : en enseignant) un savoir qu’on se l’approprie et qu’on l’ancre en soi.

La métacognition a aussi une large part dans notre enseignement, que ce soit en AP ou sur nos temps de cours. Comment fonctionnent mon cerveau, mon attention et ma mémorisation, quel est mon profil d’apprentissage ? Les élèves apprennent ainsi à se connaître. On s’aide beaucoup des connaissances en neurosciences pour avancer dans ce sens. La respiration, les temps de pause réflexive, ponctuent également nos heures d’enseignement. Ce sont des temps précieux pour les élèves. Je précise qu’ils ont cours de 7h45 jusqu’à parfois 18h… il est donc cognitivement impossible d’accumuler des infos en pensant que tout sera retenu.

Le mode d’évaluation est aussi un temps fort dans notre classe. Une semaine avant les vacances y est consacrée. Avec des temps de révision, un temps d’évaluation bien sûr, et un temps de remédiation. Concrètement, pour les temps de révisions, nous proposons plusieurs méthodes et les élèves choisissent en fonction de leur profil d’apprentissage. Nous leur proposons aussi de réaliser eux-mêmes les évaluations. Plus besoin de leur dire de réviser, ils le font spontanément, et se prennent au jeu de la réalisation de questions ou d’exercices pour les évaluations à venir.

Ce qui fonctionne bien aussi, c’est le tutorat entre pairs. Un élève expert travaille avec deux ou trois élèves sur de points sensibles dans différentes matières. « avoir 18/20 en maths, c’est une chose, mais savoir transmettre ce que l’on sait, c’est une autre paire de manches » nous confiait un élève. Ainsi le tutorat entre pairs, s’il est profitable aux élèves en difficultés, l’est aussi pour les « bons » élèves qui développent d’autres compétences. Et c’est bien ce que l’on cherche à mettre en œuvre : sortir d’une école individualiste et mettre en œuvre de la solidarité entre les élèves.

Quelle est l’origine de ce projet ?

Deux éléments : une interrogation toujours présente sur notre école et un voyage en Finlande à la Toussaint 2012, en équipe, pour observer différents établissements. Là ça a été comme une évidence : il fallait se nourrir de ce système, sans vouloir le copier, pour répondre aux problématiques qui sont les nôtres. Le profil de la classe expérimentale s’est dessiné au retour, dans l’avion ! Ensuite des collègues intéressés et moteurs nous ont très vite rejoints dans l’aventure.

Comment les enseignants sont-ils formés à cette pédagogie ?

Nous nous formons collectivement, par les formations que nous choisissons scrupuleusement de suivre, par les multiples échanges entre nous, par les temps de réunion, par la veille pédagogique que nous essayons d’assurer. Et pour les autres équipes qui se forment à la pédagogique Care, nous travaillons une journée avec elle, en essayant de faire vivre réellement ce que nous proposons aux élèves. Ensuite chacun doit s’approprier le projet, en fonction de ce qu’il est et de son public. Même s’il y a des éléments incontournables, le projet doit pouvoir s’adapter.

Comment évaluez-vous votre projet ? En quoi vos bilans sont-ils positifs côté élèves ? Et côté prof ?

Nous sommes transparents avec les élèves sur ce que nous mettons en place et pourquoi nous mettons telle ou telle stratégie en œuvre. Chaque semaine les élèves ont ainsi un droit de regard sur nos pratiques. Cela les responsabilise. Et de notre côté cela nous permet d’ajuster. En début et en fin d’année, les élèves remplissent une enquête assez conséquente sur chaque paramètre du projet. Là également cela nous permet de réajuster. Et de mesurer les progrès des élèves, en terme d’autonomie ou d’efficacité par exemple. Les élèves nous disent ainsi apprécier et utiliser la méthodologie des apprentissages à hauteur de 70 %, 88 % trouvent pertinent notre système d’évaluation …

Nous menons également des enquêtes auprès des collègues afin d’avoir une vision objective et quantifiée du projet et de son impact sur notre métier. C’est surtout la veille pédagogique et les échanges entre nous qui sont appréciés : 80% des collègues se disent bien informés. Nous interrogeons enfin les parents, qui sont assez unanimes sur le projet : « votre classe expérimentale devrait être une classe normale, toutes les classe devraient être des classes CARE ».

On mesure par ailleurs les effets du projet au dynamisme des élèves : ils ont monté il y a deux ans un projet de classe numérique. Tous travaillent aujourd’hui avec des ordinateurs … un nouveau changement dans notre pratique car il a fallu nous former à l’utilisation pédagogique de cet outil.

Objectivement, l’on sait aussi que les élèves arrivent en lycée professionnel et que c’est un nouveau départ pour eux. Il y a avant tout ce que met en place le lycée qui contribue à la réussite des élèves. Le projet CARE, c’est donc en quelque sorte une plus-value. Une démarche scientifique exigerait que l’on ait un groupe témoin et un groupe expérimental pour mesurer les écarts. Mais déontologiquement nous nous sommes toujours refusés à cela. Néanmoins quelques faits sont observables : les élèves en difficultés menés jusqu’au bac avec mention pour certains, des élèves « à l’aise dans leurs baskets », qui essaient et qui ont une relation de confiance envers l’adulte. Il ne faut pas oublier les élèves réfractaires, les collègues aussi, car tout changement suppose une remise en question de soi. Mais globalement c’est très positif, et c’est pour cela que nous continuons. D’une classe en 2013, nous sommes passés à 5 cette année. Et ce sont même maintenant les élèves, qui, sensibles à ce qu’est notre système éducatif, assurent une veille, nous envoient des informations, et nous encouragent à continuer. Pour moi c’est une raison largement suffisante pour continuer à avancer !

Entretien par Julien Cabioch

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