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Côté pile, Etienne Petitgand est professeur de musique dans un collège près de Nancy. Côté face, il a créé le Choeur d’enfants du monde (1) et fait chanter les jeunes migrants qu’il rencontre dans les foyers, les hôtels, la rue… Portrait en forme d’hommage à tous ces enseignants solidaires.

 » On se redresse, on respire de l’intérieur, une respiration tranquille, on pense à quelque chose qui va bien dans la vie même si on a beaucoup de problèmes, on s’étire, on se frotte les mains, on laisse tomber les bras, mes problèmes sont dehors… »

Debout derrière son piano électrique, Etienne Petitgand ne quitte pas des yeux les enfants en face de lui : quatre Albanais, une Syrienne et une petite Géorgienne venue accompagnée de sa mère. Tous sont dans des situations difficiles – familles sans-papiers, déboutées du droit d’asile, en attente d’une réponse bien improbable ou déjà expulsables… Un frère et une soeur albanais ont dormi deux mois dans la rue.

Si certains parlent déjà bien le français, d’autres commencent juste à l’apprendre. Etienne Petitgand fait les gestes avec eux et ils le suivent avec entrain.

Chanson turque

Le professeur se met au piano. Avant de répéter une chanson turque – tout le répertoire est issu des pays des jeunes migrants -, il faut échauffer la voix échauffer.  » Lundi, mardi, mercredi… », fait-il chanter. Très vite, les enfants marquent le rythme en se balançant sur leurs pieds. Puis Etienne Petitgand distribue des maracas et un tambourin. Et là, c’est la joie.

Comme chaque mercredi, la séance a débuté à 16 heures 30 dans le local de l’association ATD Quart Monde au centre de Nancy. Pour cette reprise après les vacances de Noël, ils ne sont que six. Au total, une trentaine d’enfants, d’une dizaine de nationalités, sont inscrits à la chorale cette année. Les répétitions ont lieu deux fois par semaine – également le samedi.

 » L’affluence varie beaucoup, on ne peut jamais savoir, les parents ont tant de problèmes, ils ne peuvent parfois pas amener les enfants, explique le professeur de musique, ils ne se rendent pas toujours compte combien la régularité est importante. « 

Maraudes

Etienne Petitgand enseigne au collège Louis Marin de Custines, une commune de 3 000 habitants proche de Nancy. Un petit établissement tranquille où  » l’on prend le temps face à un élève en difficultés « . Il fait un métier qu’il aime et qui, en plus, lui laisse du temps pour militer et s’engager.

Etienne Petitgand fait notamment partie du Réseau éducation sans frontières (RESF) apparu en 2004 autour de la défense d’élèves sans-papiers. Chaque dernier dimanche du mois, il participe au  » cercle du silence  » place Venceslas – cercles créés en 2007 pour protester contre les placements en rétention. Il est aussi membre de la Ligue des droits de l’homme – il assure la permanence du vendredi.

L’idée de la chorale est née d’une rencontre.  » Je fais des maraudes le soir pour voir si des personnes dorment dans la rue et les mettre à l’abri. J’ai rencontré une famille avec deux enfants albanais que j’ai accompagnée ensuite. Je me suis aperçu que la petite fille chantait très bien et le frère jouait bien du tambour.  »

Hôtels Formule 1

Passionné de chant chorale – il avait déjà constitué une chorale dans son précédent collège rural de Haute Marne -, il crèe en septembre 2014 le Choeur d’enfants du monde.  » Dans les hôtels Formule 1, ils n’ont que la télé à regarder. Généralement ils n’ont aucune activité. C’est aussi l’occasion pour eux de rencontrer d’autres enfants et de découvrir d’autres cultures. « 

Etienne Petitgand parle de sa chorale aux familles qu’il visite dans les foyers et les hôtels, ou qu’il rencontre à la soupe populaire le dimanche midi place Carnot. Des membres des réseaux militants lui signalent des enfants. La psychologue d’un CMPP (centre médico psycho pédagogique) qui prend en charge des migrants lui a adressé la petite fille syrienne.

L’an dernier, deux élèves de son collège de Custines venaient chanter. Mais le trajet était long. Ses collègues de Louis Marin sont solidaires. Lorsqu’il a eu besoin de lunettes de ski pour un enfant partant en classe de neige, ils lui ont trouvées. Il récupère aussi des vêtements qu’il apporte aux migrants.

Echarpes

Le répertoire de la chorale est exclusivement étranger.  » Les enfants me font connaître les chants les plus populaires dans leur pays, je cherche alors les partitions. Ils sont fiers de les faire partager et de voir que leur culture a de la valeur aux yeux des autres. « 

Le Choeur d’enfants du monde se produit parfois en public. A la MJC du quartier Beauregard où vivent des migrants, lors d’une Université populaire d’ATD Quart Monde, pour le 50è anniversaire des prêtres ouvriers, etc. L’Unicef vient de l’inviter pour son congrès régional.

 » Je présente la chorale en précisant qu’elle est constituée d’enfants migrants, explique Etienne Petitgand, mais je passe vite, je ne veux surtout pas jouer sur la corde misérabiliste. Ce que l’on propose est de qualité. Et les enfants sont fiers de montrer qu’eux aussi peuvent apporter des momens de plaisir . « 

L’association, financée par les dons de militants, vit sur un tout petit budget (1). Il sert essentiellement à financer les tickets de bus pour venir aux répétitions. La chorale vient de recevoir un don assez important. Etienne Petitgand va enfin acheter des chemises blanches pour ses choristes et faire faire des écharpes aux couleurs de leur pays.

Véronique Soulé

(1) Retrouvez la page facebook du Choeur d’enfants du monde

(2) Pour prendre contact ou faire un don, écrire à cedm@numericable.fr

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