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Spectateurs gavés d’images, abandonnez clichés et préjugés ! Ouvrez grand vos yeux au spectacle merveilleux du cinéma des premiers temps ! Initiateur de ce voyage dans le temps et dans l’espace, Thierry Frémaux, actuel délégué général du Festival de Cannes, cinéphile dès son plus jeune âge, se souvient avec émotion de sa découverte, fondatrice, de « La Sortie des usines Lumière » en 1982 à l’occasion de la création de l’Institut Lumière à Lyon. ‘J’en suis tombé amoureux’. Depuis ce choc de la première fois, notre passionné de cinéma n’a de cesse de faire connaître le trésor que constituent les 1 500 films tournés et montrés entre 1895 et 1905 par les frères Lumière et leurs opérateurs. Pour guider le public d’aujourd’hui, le réalisateur choisit une centaine de vues Lumière restaurées, les agence en une composition thématique, accompagnée d’un commentaire d’une pertinence rare et soutenue par la musique de Camille Saint-Saëns. Et il nous offre un document saisissant, source d’enchantement et de connaissance. A travers cette vision construite des premiers films des inventeurs du cinématographe, nous percevons à la fois l’incroyable modernité caractérisant leur façon de filmer et le regard unique porté sur la France et le monde à l’orée du XXème siècle.

Le merveilleux de la technique et de l’art

D’emblée, nous entrons dans la quête du réalisateur, entre jeu de pistes, regard cinéphilique et recherche historique. Il existe en effet trois versions de « La Sortie des usines Lumière », trois films de 50 secondes tournés avec une caméra fixe à la lumière du jour (comme toutes les vues Lumière). Les trois versions nous sont données à voir avec cette interrogation : comment savoir laquelle a fait l’objet de la première projection publique payante au Grand Café du boulevard des Capucines à Paris le 28 décembre 1895 ? Une question qui en soulève une autre : jusqu’à quel point les ouvriers et ouvrières ignoraient-ils qu’ils étaient filmés ?

Ainsi l’astucieux agencement des films choisis mélange des vues célèbres, comme « L’Arroseur arrosé », « Le Repas de bébé », avec des vues totalement inconnues montrant, par exemple, l’entraînement des chasseurs alpins ou des enfants s’égayant dans un village d’Indochine. La composition imaginée et commentée par Thierry Frémaux met en évidence de façon éclairante les questions que soulève l’art de filmer et auxquelles ces pionniers trouvent des ‘solutions’, toujours actuelles ! Où placer la caméra pour mettre en valeur le petit garçon distribuant à toute vitesse des grains de raisin à chacune des deux petites filles assises à table à ses côtés ? Comment cadrer le Sphinx d’Égypte tout en montrant les chameaux et les hommes ? Alors que le cinématographe impose la fixité de l’appareil, les opérateurs parviennent à faire bouger le cadre en plaçant leur engin sur un moyen de transport : gondole à Venise pour le premier travelling latéral filmant la berge, ballon dirigeable cadrant en plongée le sol qui s’éloigne, carriole qui quitte un village d’Indochine en un travelling arrière captant des enfants courant derrière le véhicule dont se détache une petite fille au sourire radieux. Même le ‘remake’ n’a plus de secret pour eux puisque plusieurs versions de « L’Arroseur arrosé »,- avec des variantes de situations et de mimiques des acteurs-, sont tournées pour satisfaire des spectateurs enthousiasmés par ce ‘sketch’ comique. Outre le genre comique, les Lumière abordent les différentes voies ouvertes par le cinéma comme le film intime et familial (la famille et les proches mis à contribution), le documentaire et le reportage (les opérateurs envoyés aux quatre coins de la planète)…

Un voyage passionnant dans le temps et dans l’espace

Pour la première fois, sont captés et donnés à voir Paris, Lyon, Biarritz, la France qui travaille, celle qui s’amuse, des enfants qui jouent et des citadins qui découvrent la mer, les voitures à chevaux et les trottoirs roulants de l’exposition universelle, les bassins des Tuileries et l’architecture de la Tour Eiffel. Pour la première fois aussi, Moscou, Londres, New-York…, les grandes capitales du monde s’ouvrent au regard des opérateurs Lumière, sans oublier des pans de l’empire colonial français. Et tous ces reportages uniques constituent des sources d’informations historiques inestimables sur l’état du monde et de la société française à l’orée du XXème siècle.

Le travail du réalisateur, par l’intelligence et la sensibilité de sa démarche, restitue continuellement la double nature (documentaire et fictionnelle) du cinéma dès ses origines : la capacité à enregistrer les surprises du réel et l’étrange alchimie qui se produit entre la caméra et les êtres filmés. Une des plus belles vues de cette réalisation nous montre deux fumeurs d’opium (un européen et un asiatique), allongés côte à côté, alanguis et immobiles, dans un état second dont le choix de cadrage et la durée du plan donnent une idée du lent balancement du temps. Et le commentaire en souligne discrètement la modernité.

Ainsi « Lumière ! L’Aventure commence » nous apparaît-il comme un hommage vibrant aux inventeurs du cinématographe, l’art du XXème siècle, servi par une pédagogie vivante, cinéphilique sans ostentation. Devant ce spectacle à la fois emballant et instructif, intelligent et poétique, nous rêvons d’accéder à d’autres ‘mystères’ révélés par les vues Lumière. Thierry Frémaux prévoit justement une deuxième création comportant des films autochromes (à l’origine en couleurs et non colorisés) et des films en relief. Décidément, les Lumière ont tout inventé !

Samra Bonvoisin

« Lumière ! L’Aventure commence », un film composé et commenté par Thierry Frémaux-sortie en salle le 25 janvier 2017

Sélections officielles : Cannes Classics, Festival de Toronto 2016