Print Friendly, PDF & Email

Imaginons une carte numérique que chaque enseignant-e pourrait compléter à son gré pour présenter des pratiques pédagogiques jugées intéressantes, découvrir celles de ses collègues, les contacter pour en savoir plus ou même pour les rencontrer. Ce service existe : il s’appelle Cartoun, il a été mis en place dans l’académie de Rennes et se déploie actuellement sur tout le territoire. Professeure de français au lycée Bertrand d’Argentré à Vitré, Delphine Morand témoigne ici de ses usages d’un nouveau dispositif de coformation en ligne. Elle nous fait entrer, par les lettres, dans un espace pluridisciplinaire, horizontal, participatif et évolutif : « un processus d’essaimage particulièrement stimulant et enrichissant pour chacun-e. » Suivons la guide …

Cartoun permet de rechercher des activités pédagogiques menées par des collègues : avez-vous déjà utilisé cette fonctionnalité ? selon quelles modalités et avec quels profits ?

Effectivement, dès la mise en place de ce service de plate-forme participative, j’ai trouvé particulièrement enrichissant de pouvoir consulter des fiches d’activités renseignées par des collègues, et de mesurer la pertinence d’un outil numérique dans une séquence pédagogique, ou d’en découvrir de nouveaux. Grâce à des paramètres de recherche efficaces (par outil, thème, public visé, domaine d’enseignement, etc.), j’ai pu parcourir plusieurs fiches Cartoun. M’intéressant à l’écriture collaborative, j’ai sélectionné des fiches qui présentaient Framapad et Tout@pad, des logiciels qui facilitent l’écriture à plusieurs mains, ou encore des applications web telles que Calaméo ou Madmagz qui mettent en valeur les travaux des élèves sous la forme de magazines, recueils, journaux numériques.

A titre d’exemple, je citerai le projet de Claire Chevalier qui a proposé à ses élèves de 2nde de transposer le conte philosophique de Voltaire, en développant chez ses élèves de réelles compétences d’écriture : Après l’étude de quelques épisodes de l’œuvre particulièrement marquants pour les horreurs qu’ils dénoncent, la classe a dressé une liste de faits dramatiques inscrits dans l’actualité. Constitués en équipes, les élèves ont ensuite rédigé des textes fortement inspirés du style voltairien et les différentes productions ont alors été regroupées sous un numéro de conte numérique intitulé Malo, le Candide du 21ème siècle.

Avec Cartoun, j’ai également pu découvrir un très beau projet de François Jore qui a proposé à ses élèves de 5ème de réaliser un webdocumentaire pour retracer un séjour à Rome. A raison d’une heure hebdomadaire, les élèves ont d’abord effectué des recherches en vue de produire des articles sur la capitale italienne, une façon de préparer ce séjour et de construire, en groupes, des connaissances utiles à la compréhension des visites programmées. Durant le séjour, chacun s’est transformé en « reporter-photographe », prenant des clichés des sites observés afin d’enrichir, au retour, les articles déjà rédigés. A cette étape, ils ont également enregistré des commentaires en lien avec ces photographies animées dans le cadre d’une vidéo. Le webdocumentaire réalisé a mis en valeur les recherches documentaires des élèves, leur investissement lors du séjour qui s’est traduit par un ensemble de productions très créatives.

Quelles autres activités pourrait être dénichées par un•e professeur•e de lettres explorant la carte de votre académie ?

Les propositions sont diverses : elles touchent bien des niveaux, des domaines, des outils, des lieux. Voici, butinés sur la carte, d’un département à l’autre, quelques exemples d’activités partagées par des collègues de lettres de communes variées de l’académie de Rennes…

A Betton et à Mordelles, Karine Bourdois et Nicolas Le Cunff mènent un projet lettres / éducation musicale en 3ème : il s’agit de réaliser un diaporama sonore pour rendre hommage aux soldats morts lors de la première guerre mondiale. A Saint-Méen-le-Grand, lors de l’étude d’une œuvre théâtrale, Anne-Catherine Nedelec invite ses collégiens à interpréter une scène en playback. A Bréquigny, Stephanie Caire amène ses élèves de 5ème à élaborer un recueil de fabliaux multimédia. A Saint-Aubin du Cormier, les 6èmes d’Emmanuelle Toudic ont analysé par groupes un tableau en lien avec la mythologie et en ont préparé une présentation interactive avec Thinglink.

A Auray, Philippe Harnois raconte comment ses 2ndes ont réalisé, en interdisciplinarité, des vidéo-clips sur le dernier album de Laetitia Sherrif. A Ploërmel, Grégory Roger explique comment ses élèves de sixième ont mis en scène avec l’application Pages les mots de l’opération « Dis-moi dix mots ». A Lanester, Gaetane Le Dorven et Florence Le-Bras utilisent Padlet pour un atelier d’écriture avec contraintes autour de la thématique du sable. A Pontivy, les collégiens de Gwenael Grini ont réécrit L’Avare via Twitter.

A Brest, les 4èmes de Sandrine Baud transposent en roman épistolaire la pièce Cyrano de Bergerac. A Brest encore, les 1ères de Jean-Michel Le Baut choisissent un tableau d’un artiste en résidence, écrivent à son sujet des textes à la fois informatifs, descriptifs et poétiques, produisent ensuite des audioguides créatifs qui sont diffusés en ligne au moment de l’exposition. A Pont-l’Abbé, Armelle Le Gall fait réaliser par ses élèves de 6ème des livrets numériques autour des Métamorphoses d’Ovide. A Carhaix, Julien Kerguillec explique comment ses 2ndes produisent une revue de presse radiophonique, généraliste ou thématique.

A Saint-Brieuc, Jacques-Olivier Martin utilise des tablettes numériques pour illustrer l’argumentation : elles permettent de créer des pièces à conviction dans le cadre d’un procès imaginaire. A Quintin, les 3èmes de Josiane Bicrel ont réalisé un magazine numérique sur la République romaine et ses rapports avec le présent en ce qui concerne la maison romaine et la maison bioclimatique. A Lannion, Bénédicte Carré montre comment ses collégiens ont utilisé Quozio pour mettre en forme un texte et l’exposer lors d’un événement autour de la 1ère guerre mondiale. A Tréguier, les élèves de Rozenn Jestin enregistrent des audio-livres « à feuilleter ». Etc.

Cartoun permet à chaque enseignant•e de partager ses propres activités : en tant que professeure de lettres, quelles activités avez-vous vous-même publiées sur la carte ?

Appréciant de découvrir des fiches rédigées par les collègues qui m’ont permis d’enrichir mes pratiques, et de choisir des outils numériques adaptés aux projets que je souhaitais mettre en place avec mes classes, il m’est apparu tout à fait évident de contribuer à mon tour. J’ai ainsi publié plusieurs fiches, et je reviendrai ici sur deux d’entre elles.

La première a été consacrée à la construction et publication d’un magazine numérique en lien avec l’étude du roman de Laurent Gaudé, Eldorado : un projet mené en enseignement d’exploration « Littérature et société », proposé en classe de 2nde. Dans ce partage d’expérience, il s’agissait notamment de poser l’accent sur la mise en place d’activités d’écriture collaborative, avec la constitution de groupes d’élèves évoluant en équipes de journalistes; après la lecture du roman de Gaudé et des recherches documentaires réalisées au CDI, ils devaient en effet rédiger des textes de genres journalistiques variés (éditorial, interview, portrait, fait divers, reportage, etc.) sur les thèmes de la migration et du regard porté sur l’homme et le monde.

Dans une autre fiche Cartoun dédiée à la réalisation d’un CV vidéo par des étudiants de BTS Communication, j’ai décrit les différentes étapes du projet, de l’écriture du synopsis,- avec l’importance des choix en terme de contenu – aux prises de vue puis au montage des séquences filmées; j’ai mentionné les logiciels de montage vidéo utilisés en fonction, le plus souvent, des équipements des étudiants (ordinateurs portables, smartphones). Naturellement, ce public étant plutôt expert dans la maîtrise des outils numériques et particulièrement créatif, les productions ont souvent été réellement exploitables dans la phase de recherche de stages…

Comment jugez-vous la procédure de publication ?

Dans la rédaction et publication de ces fiches, je n’ai pas rencontré de difficulté particulière : pour éviter toute déconnexion en cours de réalisation, j’ai pris soin de rédiger le texte en amont et de le copier ensuite dans cette plate-forme. Organisée selon des rubriques pertinentes (le contexte, la présentation de l’activité, le scénario pédagogique, l’analyse du professeur et les pièges à éviter), la fiche permet de passer en revue les points incontournables pour découvrir l’outil dans un contexte donné, mesurer les étapes de concrétisation, et bénéficier d’un retour réflexif sur cette expérience.

Beaucoup d’enseignant•e•s ont pris l’habitude de rechercher en ligne des documents et des idées pour enrichir leurs pratiques : quels vous semblent les intérêts spécifiques de cette « cartographie dynamique » par rapport à des sites de ressources institutionnels, associatifs ou individuels ?

De mon point de vue, la première force de cette plate-forme est de nous placer dans un même espace de partage d’expériences, nous permettant de nous inscrire alors dans une réelle dynamique : nous pouvons à la fois consulter des fiches-ressources, et contribuer à notre tour, selon un processus d’essaimage particulièrement stimulant et enrichissant pour chacun•e.

Grâce à la géolocalisation des contributions qui apparaissent derrière des balises fixées sur les établissements, nous avons accès à des expérimentations d’outils et des pratiques innovantes, et entrons ainsi en réseau avec des collègues de l’académie (et depuis peu, à l’échelle nationale) qui pourront nous donner envie de tester des outils, de nous approprier des projets validés par nos pairs. La valeur d’authenticité de ces témoignages, confirmée par la possibilité de contacter par mail le professeur-contributeur, est vraiment très rassurante : la fiche présente à la fois les atouts des outils, mais également les pièges à éviter, reflétant ainsi un regard critique forcément précieux dans ce type d’échanges professionnels.

A noter bien sûr que cette cartographie participative repose sur une réelle diversité des contributions, diversité portée par la variété des disciplines représentées, des établissements et donc des publics-élèves et professeurs-contributeurs, ce qui aboutit à plusieurs degrés de transférabilité de ces pratiques : en fonction de son niveau de « maturité numérique », de son lieu d’exercice, chacun peut trouver et adapter des séquences ou séances pédagogiques intégrant le numérique qui lui correspondent, acceptant alors de tester à son tour ce qui a bien fonctionné dans la classe d’un autre collègue. Ainsi, cette Cartographie des Usages Numériques s’utilise à la fois comme un espace d’échanges entre pairs, mais aussi comme un dispositif favorisant la formation de proximité : l’enseignant qui s’est imprégné de nouvelles pratiques pourra en faire bénéficier ses élèves, mais également les collègues de son établissement.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Cartoun en ligne

Delphine Morand dans Le Café pédagogique

François Jore dans Le Café pédagogique

Sandrine Baud dans Le Café pédagogique

Magazine sur un roman à Vitré

Réécriture de Candide à Auray

Livrets de 6ème autour d’Ovide à Pont-L’abbé

Audioguides créatifs à Brest

L’Avare sur Twitter à Pontivy

Magazine numérique à Quintin