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Comment rendre attractive la pratique du calcul mental ? Comment repérer les lacunes chez les élèves dans ce domaine ? C’est le challenge que s’est lancé Bertrand Filloux professeur de mathématiques au collège de Afareaitu à Moorea en Polynésie française, en créant le défi Tata’u Upo’o. Ce projet consiste à engager le plus grand nombre d’élèves de cet archipel dans une compétition d’ « activités mentales ». Le but est de promouvoir cette pratique en faisant concourir entre elles des classes entières afin d’impliquer tout un chacun. D’abord radio diffusée, la finale de ce concours de calcul mental, victime de son succès, sera cette année retransmise en direct à la télévision. Comment la compétition crée-t-elle une émulation dans les classes ? Qu’est ce qui fait du calcul mental « un espace de liberté et de créativité » ? Qu’en retirent les élèves ? Rencontre avec Bertrand Filloux aux manettes du concours depuis 6 ans.

Qu’est ce que le défi Tata’u Upo’o ?

En tahitien, « Tata’u » signifie à la fois compter et concourir ce qui permet de faire un jeu de mot très approprié, et « Upo’o » signifie la tête d’où le nom choisi pour ce concours de calcul mental.

Le projet consiste à engager la plus grande partie des classes de Polynésie Française, des élèves de CE2 à ceux de Secondes, dans une compétition de calcul mental, ou plus exactement « d’activités mentales ».

Cette animation pédagogique a vu le jour en 2011, partant du constat des grandes insuffisances dans ce domaine. A l’époque j’étais « professeur ressource » de mathématiques et j’avais monté des stages « calcul mental » auxquels ne s’inscrivaient que de rares collègues convaincus. Sur proposition de l’un d’eux, nous avons lancé avec quelques collègues, l’idée d’un défi de calcul mental faisant concourir entre elles des classes entières pour impliquer tout un chacun. Le but étant de promouvoir largement cette pratique, et tout particulièrement le calcul mental « réfléchi », celui qui met en œuvre un raisonnement appuyé sur le sens des opérations.

Pour mener à bien ce projet, une équipe de six personnes, deux profs de maths de collège et quatre conseillers pédagogiques du 1er degré sont impliqués avec le soutien institutionnel du Ministère local de l’éducation et du Vice-Rectorat de Polynésie. Mais dans les établissements et les circonscriptions, de nombreux collègues, coordonnateurs, conseillers pédagogiques, enseignants, personnels de direction, apportent leur concours à la réussite du projet, en organisant les épreuves et en dépouillant les réponses.

Comment et pourquoi avez-vous fait le choix de travailler avec l’aide de la radio Polynésie Première?

La Polynésie est un vaste archipel de 118 îles habitées, éparpillées sur une vaste étendue aussi grande que l’Europe. Même si la plus grande partie de la population est concentrée sur l’île de Tahiti, nous avons tenu à ce que tout le monde puisse participer. C’est pourquoi nous avons fait appel à Polynésie Première, la chaîne de service public présente partout dans l’archipel, pour relayer notre questionnaire. Au tout début la chaine était réticente, craignant trop de silences à l’antenne, mais l’enthousiasme des auditeurs nous a tous conquis et encouragé à poursuivre.

Comment s’organise ce concours ?

Nous pouvons estimer que pour la phase qualificative, 20 000 à 25 000 élèves sont impliqués.

Jusqu’à l’an dernier, les qualifications se faisaient par diaporama et seule la finale impliquait la radio. Cette année, importante innovation, les qualifications sont radiodiffusées et une finale sera télévisée en direct.

L’édition 2017 est donc particulière et ambitieuse. Les qualifications sont radiodiffusées sur deux matinées. Pour l’occasion, Polynésie Première a décentralisé son antenne et s’est installée dans un établissement scolaire. Après ces qualifications, chaque circonscription du 1er degré sélectionne trois classes par niveau et chaque établissement du 2nd degré sélectionne une classe par niveau.

La finale se déroule sur deux dates. Le 16 mars 2017, pendant la semaine des mathématiques, les élèves de la 4e à la 2de s’affronteront à la radio. Les autres niveaux se présenteront le 9 mars en direct à la télévision, au cours d’un magazine spécial consacré au calcul mental entre 12h et 13h30, en place d’un magazine quotidien très populaire.

Pour la finale, il y a 20 questions, avec un temps de réflexion variable entre 10 et 30 secondes. Les concurrents répondent sur une feuille sur laquelle est prévue un cadre pour le brouillon. Il est autorisé, et même recommandé d’utiliser ce cadre pour y noter les données des petits problèmes, pour y faire des schémas, mais il est interdit de poser des opérations. L’intérêt de l’image est de proposer des énoncés visuels, mettant en œuvre des objets géométriques ou des collections d’objets. Comme pour les épreuves radiophoniques, et pour satisfaire les auditeurs et téléspectateurs qui se sont prêtés au jeu, la correction est donnée dans la foulée du questionnaire.

Quel bénéfice observez-vous chez vos élèves ?

L’objectif est que la pratique du calcul mental ne se limite pas à la préparation au défi mais qu’elle soit régulière et fréquente. La plupart du temps en classe, le calcul mental se pratique à partir d’un diaporama. Pour la forme radiophonique, une préparation particulière est utile, en se privant du support visuel et en s’interdisant de répéter plus d’une fois la question, ce qui oblige les élèves à être attentifs. Les annales du défi sont mises à la disposition de tous sur un site dédié au défi.

Le rapport annuel qui publie une analyse fine des résultats du concours item par item sur le site institutionnel de l’enseignement des mathématiques en Polynésie, donne des pistes d’amélioration, montre que le niveau progresse et que les efforts portent leur fruit, même s’il reste beaucoup à faire, dans le domaine des grandeurs et mesures, par exemple. En 2014, la moitié des élèves de Seconde ne pouvait convertir correctement 0,5 kg en grammes. Deux ans plus tard, ils ne sont plus qu’un tiers. Ce n’est pas encore parfait, loin de là, mais c’est en progrès sensible. Il s’avère utile d’instiller régulièrement des questions s’y rapportant dans les problèmes pour que les bonnes habitudes se mettent en place. La pratique régulière du calcul mental apporte donc de multiples bénéfices et est indispensable à la mise en place d’automatismes.

Pourquoi est-il important d’automatiser les calculs ?

Il est important de donner du sens à la notion. Pour ma part, l’enseignement des opérations sur les nombres relatifs, par exemple, passe pour l’essentiel par le calcul mental. Il est plus efficace de faire 15 secondes tous les jours une opération sur les relatifs plutôt que d’abrutir les élèves avec 4 ou 5 heures de cours et d’exercices à suivre sur le sujet, concentrés sur une seule semaine et aussi vite évaporés.

Le calcul mental est aussi une formidable occasion de pratiquer le raisonnement tout en renforçant le sens des opérations et les propriétés opératoires. Le raisonnement mis en œuvre pour calculer mentalement 19×25, ou 2017+98 ou même 26-19 ou participe à l’exploration des nombres et des propriétés opératoires.

Je me souviens d’une anecdote vécue à propos d’un élève de 3e à qui je refusais l’usage de la calculatrice pour calculer 26-19, il est devenu tout blême. Pour lui, un tel calcul mental était surhumain. Je lui demande alors 26-20. Il reprend quelques couleurs et après un moment de réflexion m’annonce le résultat. Mais toujours le même blocage sur 26-19, incapable de voir le lien avec la question précédente. Cet élève est persuadé que la seule façon de calculer mentalement est d’effectuer l’algorithme du calcul posé. Alors, on comprend mieux son désarroi.

Par la pratique du calcul mental, je fais découvrir aux élèves d’autres façons de calculer plus ou moins efficaces et pertinentes. Contrairement au calcul posé, où l’on est prisonnier de l’algorithme de la procédure, le calcul mental est un espace de liberté et de créativité. Comme le dit Denis Butlen, didacticien et spécialiste du calcul mental, pour chaque problème mental, plus que le résultat, l’important est l’adaptation à la situation. Quand les élèves ont compris et assimilé cela, ils sont plus audacieux et apprécient davantage l’exercice.

En quoi votre projet a-t-il crée une émulation en Polynésie ?

Le défi Tata’u Upo’o est désormais installé dans le paysage polynésien. Les élèves savent qu’ils se mesurent aux autres classes du Territoire, que leur performance, s’ils réussissent sera médiatisée, alors ils s’engagent beaucoup plus volontiers dans l’exercice quand il s’agit d’une compétition. Nous avons tenu aussi à faire concourir des classes entières, de sorte que tous les élèves se sentent impliqués, même et surtout les plus modestes qui peuvent s’accrocher pour faire gagner quelques points à leur classe car c’est la moyenne obtenue par la classe qui départagera les concurrents.

Des heures d’antenne radio, non seulement pour les questionnaires mais pour expliquer le pourquoi et le comment de ce défi, de multiples reportages de presse écrite ou télévisée y ont été consacré. La formule 2017 a décuplé l’impact médiatique du projet. Toutes les familles ou presque ont eu un enfant qui a participé aux phases qualificatives radiodiffusées et qui l’a fait savoir, donc autant de familles à l’écoute. Gageons aussi que la finale télévisée, à une heure d’audience populaire dans les familles, nous donnera une visibilité inégalée. Les auditeurs qui s’expriment sur les réseaux sociaux ont largement manifesté leur intérêt et nous encouragent dans notre démarche.

Entretien par Barbara Le Douarin

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